de Patrick Scemama

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La République de l'Art
Arnaud Cohen censuré à Sens

Arnaud Cohen censuré à Sens

Dans mon précédent billet, je vous parlais de la vandalisation à Versailles de l’œuvre d’Anish Kapoor, Dirty Corner, par des excités qui y voyaient une atteinte à l’esprit et à la noblesse du lieu. Ce billet, vous vous en êtes sans doute rendu compte, m’a valu des commentaires hargneux et haineux, pas tant sur l’idée que j’y défendais d’ailleurs (à savoir que cet acte n’était peut-être pas étranger à un climat né de La Manif pour tous), mais plus sur le sacrilège que constituerait le fait d’installer des œuvres contemporaines dans les jardins de l’intouchable château. Un nouvel exemple de l’intolérance qui sévit en France en ce moment vient de se produire au Musée de Sens. Arnaud Cohen y a été invité à concevoir deux expositions : une, Rémission, qui est une grande installation dans la salle synodale, et une seconde, Rétrospection, qui se tient dans le Musée adjacent, où l’artiste a pu dialoguer avec les œuvres de différentes provenances qui s’y trouvent. C’est cette dernière qui est aujourd’hui l’objet de censure. Car Arnaud Cohen a installé deux œuvres dans le Trésor de la Cathédrale, une chapelle désaffectée qui fait bien partie, il faut le préciser, du Musée, et non de la Cathédrale elle-même, dont une devant un très beau parement d’autel du XVe siècle. Cette œuvre, The Kiss, qui représente une bouteille de Coca-Cola en bronze poli attaquée par deux avions (référence bien sûr aux attentats du 11 septembre) et qui est représentative de l’esthétique que l’on pourrait qualifier de néo-pop de l’artiste, n’a rien de sacrilège. On peut là-encore discuter de sa pertinence ou de sa place devant le parement d’autel, mais elle a sa symbolique et surtout, elle été acceptée par la direction du musée qui en a même fait une des pièces phares de l’exposition, au point d’envisager d’en éditer une carte postale. Or il se trouve que les responsables de la Cathédrale toute proche ont été choqués et qu’ils s’en sont plaints à la députée-maire de Sens, pourtant présente le jour du vernissage et apparemment très contente, laquelle a demandé que les deux pièces en question soient retirées. On a donc proposé à Arnaud Cohen de replacer les deux pièces à un autre endroit de l’exposition ou de les mettre en réserve, ce que l’artiste évidemment a refusé. On en est là pour le moment, mais si la direction du musée persiste dans sa décision, Arnaud Cohen menace de démonter toute l’exposition…

Ce nouvel acte de censure est d’autant plus inacceptable qu’il intervient après celui de l’œuvre de Mounir Fatmi à Hyères (une vidéo représentant Salman Rushdie dormant) et de celle de Zoulikha Bouabdellah à Clichy (un hommage à la femme musulmane). En France, par peur du moindre remous, on se couche désormais devant les lobbys religieux ou les groupes pouvant faire preuve d’une quelconque puissance. Et les responsables publiques, qui avaient cautionné les projets dans un premier temps, oubliant tout courage ou toute intégrité, n’hésitent plus à retourner leurs vestes. Qui plus est, comme il s’agit d’un sujet jugé secondaire, on préfère sacrifier les artistes plutôt que de perdre des voix aux prochaines élections. C’est triste, affligeant, désolant. Décidément, la liberté de pensée n’a plus bonne presse dans le pays de Voltaire.

 

La photo reproduite est le projet de carte postale (avec au premier plan, l’œuvre d’Arnaud Cohen, et au second, le parement d’autel) envisagé par la direction du musée.

PS: aux dernières nouvelles, il semblerait que la mobilisation ait porté ses fruits et que suite au tollé suscité par cet acte de censure, la mairie de Sens et la direction du musée ont décidé de revenir sur leur décision et de laisser les œuvres en place. C’est une victoire dont on ne peut que se féliciter mais il faut rester vigilant, de telles situations risquent de se reproduire prochainement.

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43

commentaires

43 Réponses pour Arnaud Cohen censuré à Sens

christiane dit :

Les tempêtes de l’art… J’ai lu les échanges de ferrailleurs à propos de Anish Kapoor à Versailles. Rien de nouveau sous le soleil ! Les salons au XIXe siècle n’étaient pas plus paisibles. Votre République est une arène propice aux combats. Et c’est vivifiant vos regards sur ces créations qu’on ne sait comment vivre…
Quant au combat Jacques Chesnel / M. Court. Il est digne de la tirade du nez de Cyrano. Du panache ! Les deux peuvent se répondre sans qu’il y ait offense ! Faquin ! Freluquet ! Butor ! Maraud ! Allons messieurs, bataillez !

Jacques Barozzi dit :

Meurtre dans la cathédrale : c’est l’art qu’on assassine !

Versus dit :

Excellentes questions posées dans votre sujet, Patrick Scemama.
La censure est dans le cas évoqué, certaine mais elle existe aussi et encore plus sournoise, plus répandue, dans le fait par exemple de ne pas entretenir des sculptures dans l’ espace public, en laissant le vandalisme ordinaire inexorablement les détériorer. Un ami sculpteur a du récemment batailler ferme, en faisant respecter son droit moral auprès de la mairie du lieu où sa sculpture est exposée.

En revanche, on connait des confréries de pensées ( minorité qui impose non démocratiquement leur goût/conviction dans l’ espace public) qui ont imposées l’ édification d’ un sculpture en public.
Il est évident que l’ on doit respecter le droit moral du sculpteur dans le cas que vous citez, surtout s’ il y a un engagement de cette mairie.
Vous posez aussi la question des rapports souvent ambigus entre l’ art et le pouvoir, entre le pouvoir symbolique de l’ art et celui du politique.
Vaste débat!

xlew.m dit :

« Censuré à Sens », voilà qui n’aurait pas déplu à Pierre Dac. Les personnes qui ont la foi n’ont décidément plus aucun sens civique, plus aucune espèce d’amour du prochain artiste qui viendra habiter par ses oeuvres des lieux de cultes désacralisés.
Il faudrait les éduquer de force à d’autres religions révélées.
Après tout de nombreux plasticiens acceptent l’affichage d’images pieuses et de sculptures en plâtre de saintes ou de saints dans leurs ateliers, n’est-ce pas ? (comment ça, non ?)
« La photo reproduite est le projet de carte postale (avec au premier plan, l’œuvre d’Arnaud Cohen, et au second, le parement d’autel) envisagé par la direction du musée », écrivez-vous. En effet c’est bien une question de lutte de plans, et seulement ça.
À la rigueur l’enjeu de la « carte postale » pourrait passer comme la seule mise en danger de la part de l’auteur de l’oeuvre et sans doute de celui de son processus créateur, pour le reste…
Aujourd’hui, dans les galeries parisiennes on peut admirer des oeuvres (Leroy, Monfleur, Li Fang) qui donnent de la beauté et qui ne versent pas forcément dans les resucées (à la laideur fantastiquement bien peignée, certes) d’un quelconque wahrolisme désoulé (à quand une « Campbell’s soup can » entourée d’une étiquette reproduisant l’une des Vierges Noires des églises d’Auvergne ?)
On dirait que certains artistes adorent aller au clash en confectionnant des oeuvres (lesquelles si elles n’étaient pas exposées sur certains autels des croyances anciennes pâliraient devant n’importe quel jouet, voiture de pompiers, Jaguar de course, alignés sur des tables à l’occasion d’une convention Dinky Toys) totalement vide du moindre propos.
Tout juste l’appel au plus petit dénominateur référentiel commun (le fameux « 11 septembre », tu parles d’un courage intellectuel, d’un fond spirituel !), et le systématique refrain crin-crin sur la société de consommation faisant l’affaire et sa mise en sac.
« Consummatum est », comme on disait chez les Chrétiens d’antan.

Mouse dit :

Merci xlew.m

Versus dit :

xlew.m dit: 27 juin 2015 à 10 h 07 min

On peut, sans porter de jugement de valeur sur l’ œuvre proprement dite ( ce que vous faites avec brio )insister sur la volonté de l’ artiste à rivaliser avec le sacré ecclésial. Symptomatique.

COURT dit :

N’importe quel regard un peu cultivé enverrait promener ce néant de bronze,au mieux recalé au Prix Marcel Duchamp, mais Mr Cohen ne refuse pas un peu de publicité, aussi Mr Scemama surfait-il nettement sa marchandise meme si la remarquable M…..édiocrité en question est écrasée par la splendeur du parement d’autel.
Il est bon de rappeler qu’on ne peut mettre n’importe quoi n’importe ou, et n’importe comment. Ceci s’appelle tout simplement, comme à Versailles, de la pollution visuelle.

MC

PS
« Les responsables de la Cathédrale toute proche » Et pour cause: le musée se trouve dans l’ancien Evèché.Mais il ne m’appartient pas de revenir sur les spoliations de l’imbécile loi de 1905; En revanche, raser l’hideux Hotel de Ville hérité de feue la Troisième, serait une activité des plus salubres, autrement utile que les gentillettes sculptures de Mr Cohen, promu ici au rang de Michel Ange persécuté….

COURT dit :

Xlew a raison. Ce blog est le héraut du nouvel académisme. Au feu les pompiers!

Jacques Barozzi dit :

« Censuré à Sens »

Sens interdit ?

Jacques Barozzi dit :

« il ne m’appartient pas de revenir sur les spoliations de l’imbécile loi de 1905; En revanche, raser l’hideux Hotel de Ville hérité de feue la Troisième »

Pour le retour de la cour à Versailles, Court ?

Jacques Barozzi dit :

Sens censure et Senlis s’enlise, xlew !

COURT dit :

Voir, Jacques Barozzi, le site voué à l4hotel de Ville de Sens ou l’on vous explique qu’il a été conçu pour écraser la cathédrale par les républicains radicaux de 1905;le résultat est proche d’un chateau de la Loire gonflé à l’ Hélium devant ce qui demeure un chef d’oeuvre du pré-gothique.
La Cour à Versailles, non.ce qui est mort est mort. La reconstruction des Tuileries me suffirait.On y pense, d’ailleurs.
j’ajoute qu’une statuaire anti religieuse ne me choque pas pourvu qu’elle soit montrée en galerie; Joos van der Torm en est un exemple parfait.
MCourt

christian dit :

pollution visuelle, écrit MCourt en pensant sans doute à ses pollutions nocturnes

Jacques Barozzi dit :

J’ai encore à la mémoire le souvenir de l’exposition Henry Moore à Bagatelle, M. Court : magique !

Jacques Barozzi dit :

S’il y a encore une chose à sauver c’est bien la loi de séparation de l’Eglise et de l’Etat, M. Court, c’est toujours d’actualité !

cavalière dit :

Henry Mooore à Bagatelle, Baroz, du Court-circuit cuit cuit

Valentin dit :

Ces installations sont pourtant une occasion d’attirer un peu de monde dans ces lieux de moins en moins fréquentés.

JLB dit :

La liberté d’autoriser ou non, de censurer même, doit rester… La liberté ne se partage pas. Dans ce cas, l’application de cette liberté s’avère de salubrité (visuelle) publique et fait émerger malheureusement ce rien en bronze du néant où il aurait dû rester….

radioscopie dit :

L’oeuvre que vous présentez est parfaitement typique de l’art contemporain : elle délivre un message évident (votre « bien sûr » est à cet égard révélateur), tellement évident qu’il ne nécessite pas de s’y arrêter. C’est parfait pour le visiteur pressé qui dégaine ça et là ses regards rapides comme des flashs et ne voit rien tout compte fait.
Je comprends d’autant moins qu’on veuille la déplacer qu’elle confronte heureusement deux formes de dogmes, celui de l’art chrétien du XVème d’une part, celui de l’art contemporain d’une autre.

Patrick Scemama dit :

Je crois que vous avez tort de réduite tout l’art contemporain à ce type de définition. De nombreuses œuvres proposent heureusement des niveaux de lecture subtils et profonds. Mais il est vrai qu’une branche de cette forme d’art (ce qu’on appelle communément le « pop ») vise l’immédiateté en délivrant des messages qui rappellent l’esthétique publicitaire. Elle est en cela à mille lieux de la subtilité de l’art religieux ancien qui nécessitait culture et patience pour pouvoir bien l’appréhender. Mais elle est aussi caractéristique d’une époque qui privilégie la vitesse et la plus grande accessibilité. On peut le déplorer, mais c’est ainsi.
Je voudrais toutefois rappeler que mon billet ne portait pas sur une question esthétique (qu’il vaudrait sans doute la peine d’aborder plus posément à un autre moment). Il y était question d’un cas de censure inacceptable, qui heureusement a été résolu depuis.

Jacques Barozzi dit :

« Il y était question d’un cas de censure inacceptable, qui heureusement a été résolu depuis. »

Un bon coup publicitaire, finalement, c’est pop !

Jacques Barozzi dit :

Les images d’Epinal, c’était rapide et de grande accessibilité aussi, très pop avant la lettre !

radioscopie dit :

@Patrick Scemama dit: 28 juin 2015 à 10 h 58 min
Merci pour votre réaction même si, contrairement à ce que vous avancez, je ne réduis pas TOUT l’art contemporain à ma caractérisation de l’oeuvre présentée. Pour tout dire, quitte à passer pour rétrograde, ringard, réac etc., en tant qu’amateur d’art, également ouvert à la nouveauté, je demeure parfois perplexe devant des oeuvres qui ont pourtant reçu l’homologation de grands critiques, de grandes institutions, de grands collectionneurs… Cette absence de dialogue, de rencontre avec ces oeuvres me pose question, à commencer sur moi-même, aussi sur la fonction de l’art dans le monde présent. Mais peut-être que c’est partiellement sa fonction que de susciter ces questionnements.

jean dit :

vivifiant vraiment ?! sur la rdl les nouveaux beaufs wg et chaloux cassent du boche

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