de Patrick Scemama

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La République de l'Art
Autour de Paris

Autour de Paris

Aujourd’hui, pas de point commun entre les expositions dont il est question dans ce post, si ce n’est qu’elles se tiennent toute en banlieue parisienne. La première a lieu à la Fondation Arp, à Clamart, un lieu que l’on ne connaît pas assez et qui fut la maison dans laquelle vécurent Jean Arp et son épouse, Sophie Taeuber. C’est elle, d’ailleurs, qui a construit cette maison moderniste et qui y est aujourd’hui à l’honneur, à l’occasion des quatre-vingt ans de sa mort. Née en Suisse en 1889, élevée par une mère sensible à l’art et qui accueille des étudiants en pension pour arrondir les fins de mois, elle se tourne d’abord vers les arts appliqués qu’elle étudie à Munich et Hambourg. En 1915, elle rencontre Jean Arp, alsacien réfugié en Suisse pour échapper à l’enrôlement dans l’armée allemande, à Zurich. Avec lui, elle participe aux manifestations Dada et dirige la section textile de l’Ecole des arts appliqués de la ville. En 1926, elle réalise, avec Jean Arp et Théo van Doesburg du mouvement De Stijl, le chantier de l’Aubette à Strasbourg, lieu destiné aux loisirs et aux divertissements qui est une création majeure de l’architecture du XXe siècle, et dont une partie est encore visible. La même année, le couple obtient la nationalité française et, un an après, ils achètent le terrain à Meudon pour faire construire leur maison (aujourd’hui sur la commune de Clamart). En 1940, ils sont obligés de la quitter avec l’arrivée des troupes allemandes et se réfugient à Grasse, avec leurs amis Sonia Delaunay et Albert Magnelli. En 1943, alors qu’elle n’a que cinquante-quatre ans, Sophie Taeuber-Arp meurt à Zurich, asphyxiée par les émanations toxiques d’un poêle, alors qu’elle séjournait chez son ami Max Bill.

Ce sont tous les aspects de cette artiste attachante et très créative, que l’on associe aussi à l’Art concret, qui sont présentés dans cette petite exposition, mais qui a lieu dans le lieu même où de nombreuses pièces furent crées. On y voit donc des textiles (elle créa des costumes et des tapis, mais contrairement à Sonia Delaunay, ne les firent pas éditer), des dessins, des sculptures, des projets d’architecture (dont ceux pour l’Aubette), des estampes et aussi des meubles, puisque, non contente d’imaginer des espaces, elle voulut les remplir de structures qui se caractérisent par la simplicité de leur forme et leur fonctionnalité, proche de l’esprit du Bauhaus. Et aussi des marionnettes, puisqu’en 1918, elle créa des marionnettes pour Le Roi Cerf, la pièce de Gozzi, à la demande du directeur du Werkbund suisse. Enfin, on peut découvrir des volumes en métal que Jean Arp, inconsolable après la mort de son épouse, réalisa à partir de ses dessins. L’occasion de redécouvrir cette merveilleuse et très novatrice artiste, donc, qui fut un peu éclipsée par la notoriété de son époux et qui est aujourd’hui célébrée par les plus grandes institutions du monde.

Rien à voir avec Morning Sun, l’exposition de Hoël Duret qui se tient à la MABA de Nogent-sur-Marne et qui est un nouvel avatar d’un corpus d’œuvres qu’il avait présenté en 2019 sous le titre Low et qui n’a cessé de se transformer et de s’enrichir au cours d’expositions, entre autres, à la Fondation Vuitton et au CCC OD de Tours. Soyons clairs : nous n’avons pas compris grand-chose à cette histoire dans laquelle interviennent des méduses, où les miroirs se mettent à trembler et où l’image animée occupe une place prépondérante (mais à notre décharge, l’artiste lui-même, qui pose la fiction comme postulat, avoue se laisser parfois dépasser par sa création). Mais qui veut bien se laisser porter par la science-fiction et les mondes parallèles et accepter que la technologie et les machines, comme le dit Mathilde Roman, « supplantent les corps réels et incarnent totalement le récit » y trouvera peut-être son compte. Car il faut bien avouer que sur le plan formel, les créations de l’artiste sont assez fascinantes avec cette atmosphère aquatique qui se répand d’un bout à l’autre du parcours, ces sculptures où le végétal, soudain, trouve sa place, cette musique hypnotique qui accompagne les œuvres (due à Vincent Malassis) et en fait des installations immersives et troublantes. Enfin, à l’étage, une pièce étonnante, qui est censée être la clef de l’ensemble (alors qu’elle elle surtout la résultante d’un film que Hoël Duret devait tourner en Nouvelle-Zélande, pendant la Covid), attend le visiteur : il s’agit d’un renard assis sur une chaise, dont la tête est constituée par un hologramme et dont le regard (les yeux de l’artiste), vous suit en permanence, tandis qu’un texte résonne dans un haut-parleur. Qui est-il ? Que représente-t-il ? Mystère. Mais sa présence est suffisamment sidérante et théâtrale pour qu’on le fixe avec fascination.

Enfin, c’est à une petite (par le nombre de pièces) exposition que nous convie Ali Cherri, dont le film Le Barrage est sorti récemment en salles (cf Ali Cherri ensorcelle « Le Barrage » – La République de l’Art (larepubliquedelart.com)), au CAC La Traverse d’Alfortville. Petite, mais particulièrement bien pensée, car elle permet d’avoir une idée synthétique du travail de l’artiste. Son titre, Ceux qui nous regardent, met déjà l’accent sur un point essentiel : celui du regard, des autres qui nous entourent et dont nous n’avons pas toujours conscience, mais aussi du sien, celui qu’il porte sur le monde, et ce sur ce qui en constitue l’essence, depuis les objets enfouis que la folie des hommes s’obstine à vouloir débusquer jusqu’au monde animal que l’on a voulu disséquer et ranger dans des vitrines de musées pour mieux le dompter et l’aseptiser. Son film Somniculus, qui est présenté ici et qui, en latin, signifie « sommeil léger », s’ouvre sur des plans d’yeux ouverts et fermés et, à un moment donné, le personnage central, qui n’est autre que l’artiste lui-même, se recouvre le visage de sparadrap avant de faire une légère incision pour pouvoir ouvrir les yeux. Et les autres œuvres tournent autour de cette notion de regard, que ce soit l’autre film Petrified, qui évoque justement la question des fouilles archéologiques et de la violence qui l’accompagne ou ces sculptures qui associent des fragments de diverses provenances et de diverses cultures à des oiseaux naturalisés.

Et ce sur quoi ouvre ce regard, c’est la vulnérabilité de l’existence, la fragilité des êtres, l’omniprésence de la mort. Car en observant, la nuit, les yeux fixes de ces bêtes ou de ces statues figées pour l’éternité, c’est notre propre mort que l’on cherche à exorciser. Comme on cherche à théâtraliser la mort des oiseaux qui viennent se cacher dans le recoin d’un tronc d’arbre redessiné pour y laisser leur dernier souffle. On connaît l’histoire d’Ali Cherri, son enfance au milieu de la guerre du Liban, sa proximité avec la fracture et la souffrance pour bien envisager ce qui se joue dans son travail. Mais là où l’artiste est magnifique, c’est qu’il ne cherche pas à effrayer le spectateur pour lui transmettre ses peurs, qu’il n’a pas recours à un vocabulaire trash pour désigner l’horreur. Au contraire, chez lui tout se joue sur le mode de la métaphore, de la poésie, du surréalisme souvent. Et c’est ce que nous rappelle cette précise et fine exposition.

-Sophie Taueber-Arp, plastique, multiple, unique, jusqu’au 10 décembre à la Fondation Arp, 21 rue des Châtaigniers 92140 Clamart (www.fondationarp.org)

-Hoël Duret, Morning Sun, jusqu’au 16 juillet à la MABA, 16 rue Charles VII 94130 Nogent-sur-Marne (www.fondationdesartistes.fr/lieu/maba)

-Ali Cherri, Ceux qui nous regardent, jusqu’au 17 juin au CAC La Traverse, 9 rue Traversière 94140 Alfortville (www.cac-latraverse.com)

Images : Sophie Taeuber, Six espaces distincts, Photo JP Pichon, droits Fondation Arp.jpg ; Hoël Duret CONT#CT, 2022 Vue d’exposition personnelle, CCC OD, Tours Photo : CCC OD / Aurélien Mole, 2022 © Hoël Duret / Adagp, Paris, 2023 ; vues de l’exposition Ceux qui nous regardent au CAC La Traverse, photos : Ali Cherri

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