de Patrick Scemama

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La République de l'Art
Cristof Yvoré, révolution intérieure

Cristof Yvoré, révolution intérieure

Il a plusieurs fois été question de Cristof Yvoré, ce peintre français malheureusement disparu il y a déjà six dans ces colonnes (cf http://larepubliquedelart.com/cristof-yvore-ou-la-solitude-en-peinture/ et http://larepubliquedelart.com/intimes/). Et c’était à chaque fois pour déplorer que le travail d’un artiste de cette envergure ne soit pas davantage défendu en France, que seule sa galerie, la puissante Zeno X, qui représente aussi Marlene Dumas et Luc Tuymans, le montre sur les foires ou dans ses espaces anversois, qu’il faille aller aux Etats-Unis, en Allemagne ou en Chine pour pouvoir découvrir son œuvre…Une première exposition, il y a deux ans, au Frac PACA, avait permis de voir ses dessins, une part moins connue de son travail, mais néanmoins passionnante et révélatrice. Et aujourd’hui, dans ce même lieu, une grande exposition se déployant sur deux plateaux et réunissant une soixantaine de peintures permet enfin d’avoir une approche globale de sa courte carrière (rappelons que l’artiste est mort prématurément à l’âge de 46 ans).

Cette exposition est importante à plus d’un titre. D’abord, encore une fois, parce qu’elle est la première de ce type en France (elle ira ensuite au Frac Auvergne et au Kunstforum de Darmstadt). Mais aussi parce qu’elle se tient à Marseille, la ville où Cristof Yvoré a travaillé et vécu. Et, première constatation, sa peinture est en tous points différente de ce qu’on peut attendre d’un environnement baigné de lumière et de soleil : ici, point de « bleu Klein » ou de couleurs pop, mais une palette sourde, comme « fanée », qui privilégie les gris, les bruns, les ocres, bref, toutes ces teintes que l’on associe plutôt au Nord (d’où, peut-être, son manque de reconnaissance locale et le fait que ce soit une galerie flamande qui se soit intéressée à son travail). Mais Cristof Yvoré n’a jamais rien fait comme tout le monde. Il a commencé à peindre à une époque où, en France, la peinture était considérée comme définitivement ringarde et, qui plus est, des bouquets de fleurs, des pots, des pans de murs, bref, autant de sujets qui n’avaient aucune valeur héroïque en soi et qui s’inscrivaient au contraire dans la longue tradition d’une imagerie usée jusqu’à la corde.

C’est sur cet aspect que l’exposition du Frac PACA, intitulée Pots, lapin, fenêtres, fleurs, met l’accent. Elle regroupe ces thèmes que l’artiste a peint inlassablement, mais pas de manière sérielle et sans jamais tomber dans la tentation du kitsch : comme des figures de répertoire auxquelles il faisait subir des variations et qui se maintenaient toujours dans un entre-deux, entre l’objet et le souvenir qu’on en a (d’où la maladresse volontaire du dessin), entre le sérieux et l’ironie (certains cadrages révèlent une bonne dose d’humour), entre le figuratif et l’abstrait (c’est surtout vrai pour les « fenêtres » qui sont autant de devantures d’immeubles que de compositions purement abstraites). Et, accrochée avec beaucoup de sobriété et de de force –de manière plus ou moins chronologique-, par Valérie Bourdel, la compagne de l’artiste, peintre elle-aussi, et Frank Demaegd de la galerie Zeno X (sous le commissariat de Pascal Neveux, directeur du Frac), elle permet de mesurer le chemin parcouru en aussi peu d’années. Car les premières peintures, qui datent des années 90 (une seule, qui ouvre l’exposition, représente une figure humaine, ensuite, il n’y aura plus que des natures mortes) se distinguent par leur violence, leur âpreté, leur refus de séduction. Les toiles sont épaisses, pas préparées, la matière semble jetée dessus comme sans ménagement et sans éviter les coulures. Ce n’est  que progressivement que l’horizon va s’éclaircir, que des couleurs chaudes vont apparaître, que la sensualité et le plaisir de peindre vont se faire jour et qu’on sentira une forme de quiétude et de sérénité chez l’artiste qui ouvre, dans les toutes dernières œuvres, sur des tonalités et des atmosphères encore jamais envisagées.

Dans la seconde partie de l’exposition, sur le second plateau, se trouvent quelques toiles absolument majeures : je pense à ces grands bouquets de fleurs où les rouges, les crèmes et les bruns se fondent et s’écrasent avec la luxuriance et l’exubérance de pivoines ouvertes et à cette toile acquise par le Frac PACA et qui représentent, d’une manière presque naïve si elle n’était sublime,  des cerisiers en fleurs sur un fond bleu azur. Mais pour autant, Cristof Yvoré n’aura jamais renoncé à ses principes : c’est de la matière que le sujet émerge, c’est la superposition de couches qui lui donne sa densité et sa lumière, c’est l’acte de peindre (presque une mystique de la peinture) qui est le cœur de la démarche.

Mine de rien – et n’en déplaise à ceux qui jetteront un regard trop rapide sur cette œuvre, la jugeront trop classique, voire académique-, la peinture de Cristof Yvoré a un aspect révolutionnaire. C’est une peinture rebelle, punk, dans un rapport toujours de combat avec le médium et qui n’a aucun souci des convenances et du bon goût. Mais à la différence de certains, qui ont voulu trouver un vocabulaire et des moyens d’expression absolument inédits, l’artiste a préféré rester dans le cadre plus traditionnel de la peinture à l’huile et de l’histoire de l’art. Et à la différence de certains qui ont choisi le cri, la rage ou la violence revendiquée pour marquer leur territoire, il a préféré le silence, l’introspection, l’expérience intérieure. Son travail n’en est que plus exigeant, plus austère, plus monacal. Il est aussi de ceux qui vous poursuivent plus longtemps.

-Cristof Yvoré, Pots, lapin, fenêtres, fleurs, jusqu’au 22 septembre au Frac PACA, 20 bld de Dunkerque 13002 Marseille (www.frac-provence-alpes-cotedazur.org). L’exposition ira ensuite au Frac Auvergne du 12 octobre au 5 janvier 2020.

Images : Cristof Yvoré, Pots, lapin, fenêtres, fleurs, vues de l’exposition au Frac Provence-Alpes-Côte d’Azur, photos Laurent Lecat/ Frac Provence-Alpes-Côte d’Azur, Marseille. Courtesy Zeno X Gallery, Anvers.

Cette entrée a été publiée dans Expositions.

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commentaire

Une Réponse pour Cristof Yvoré, révolution intérieure

Christèle DELOURME dit :

Bonjour,

Je viens de découvrir votre blog et cet article m’a donné envie de prendre le temps d’aller jusqu’à la Frac pour l’exposition de M. Yvoré. Merci pour votre travail !

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