de Patrick Scemama

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La République de l'Art
Culture, tout contre

Culture, tout contre

Pour ceux qui ont eu la chance – ou la malchance, tout dépend de quel point de vue on se place- de connaître les années qui ont suivi mai 68, l’exposition que présente actuellement la Maison Rouge, L’esprit français, Contre-cultures 1969-1989, agira comme une madeleine de Proust. Car on y trouve tout ce qui a fait le sel de cette « parenthèse enchantée », marquée par un vent de contestation et de liberté, qui était la conséquence logique d’un trop plein de rigidité et de conservatisme et qui se traduisait dans tous les modes d’expression de la société (dans les arts autant que dans la musique, la littérature, la télévision et la radio qui s’émancipaient, la bande dessinée, etc.). C’est d’ailleurs ce qui frappe dans l’exposition conçue par Guillaume Désanges et François Piron : il ne s’agit pas d’une exposition d’art au sens traditionnel où les œuvres sont regroupées par les unes derrière les autres, mais plus un regard sur la société qui fait appel à des documents filmiques, sonores, des tracts, des affiches, des livres et qui retrace les grandes lignes de ce monde nouveau : la naissance du féminisme, la reconnaissance des minorités sexuelles, le militantisme, l’antipsychiatrie, les mouvements, hippies, punk, jusqu’à la chute du mur de Berlin qui correspond à la fin des idéologies. Vingt années pendant lesquelles la société s’est transformée en profondeur et qui a donné lieu à des formes nombreuses et très diverses de revendications.

Torchon n¯01 bisQue voit-on alors dans les multiples pièces de cette évocation pleine d’énergie et un peu foutraque où tout cohabite sur un même plan ? Des extraits d’Apostrophes avec Guy Hocquenghem qui vante la « gloire du métis », des bandes dessinées de Reiser, des couvertures d’Hara-Kiri, les éditions originales de Debord et du situationnisme, des dessins et des extraits de pièces du génial Copi, des numéros d’Actuel ou de images de Gainsbourg reprenant La Marseillaise en reggae. Une salle est consacrée au Palace, le temple de la nuit parisienne de l’époque (gay ou pas) avec quelques-unes de ses égéries : Marie-France, Alain Pacadis, Pierre et Gilles. Et l’art à proprement parler, même s’il n’y est pas prédominant,  occupe une place de choix avec des pièces très fortes de Michel Journiac (incroyable Piège pour une exécution capitale, un réquisitoire contre la peine de mort qui fait froid dans le dos), Pierre Molinier, Pierre Klossowski, Daniel Pommereulle, des toiles de Gilles Aillaud ou de Monory. Enfin, des pièces ont été commandées spécialement pour l’exposition, comme des collages de Kiki Picasso, membre du groupe des Bazooka, qui reviennent sur les événements marquants de ces vingt années, ou une installation de Claude Lévêque, à partir de la musique de Bérurier Noir, le groupe phare du punk français.

L’exposition est riche, foisonnante, pleine de surprises. Qu’est-ce qui fait toutefois qu’on n’y adhère pas totalement? Peut-être parce que les commissaires, même s‘ils s’en défendent, ont fait preuve de trop de nostalgie et qu’ils ont privilégié ce qui leur semblait faire encore sens aujourd’hui (ce n’est surement pas un hasard si l’exposition est programmée avant les élections). Du coup, ils jettent un regard très partial sur cette période, mettent certaines choses un peu artificiellement en avant et font l’impasse sur d’autres, qui manquent pour dresser un panorama complet des contre-cultures de cette époque (l’émergence, au début des années 80, de la figuration libre, entre autres, qui avant d’être récupérée, était un bel exemple de révolte rock and roll). Mais il est vrai qu’on manque encore de distance pour porter un regard lucide sur ce passé qui est à bien des égards toujours vivant et qu’il faudra sans doute attendre encore un peu pour voir plus clair au milieu d’un terreau particulièrement fertile.

Horvitz 1Peut-on considérer l’artiste américain David Horvitz comme appartenant à la contre-culture ? Sans doute pas si l’on s’en tient à un sens uniquement politique, plutôt à une culture décalée, poétique, à la marge. Sa première exposition solo à Paris, en tous cas, à la galerie Allen, est un petit miracle de délicatesse, d’invention, de fantaisie. L’artiste, que l’on pourrait plutôt ranger dans la catégorie des « conceptuels » et dont on a déjà pu voir plusieurs éditions à la librairie Yvon Lambert (cf http://larepubliquedelart.com/de-lart-sous-le-sapin/), est parti du fait que, lorsqu’on a installé l’éclairage électrique à Paris, de nombreuses personnes se sont plaintes du fait qu’on ne pouvait plus voir les étoiles. Du coup, il a décidé de rendre une certaine visibilité aux étoiles dans la capitale en éteignant des réverbères selon un axe qui reproduit une constellation surtout visible dans l’hémisphère sud, Eridan (Eridanus en anglais), qui porte le nom  d’un fleuve dans la mythologie grecque. En une nuit, il est parti d’un point pour accéder à un autre, près de la galerie, et, à l’aide de clefs qu’il a fabriquées, a éteint 30 réverbères, qui étaient comme 30 étoiles d’Eridan tombées sur la carte. Il a ainsi reproduit, comme il le dit lui-même, « une constellation, non de lumière, mais d’obscurité », rendu « la rue à la nuit » et peut-être, mais juste peut-être, « permis à certaines étoiles de regagner le ciel ».

Horvitz 2A la galerie, ce sont les témoignages de cette action qui sont présentés : la carte de Paris avec les emplacements des réverbères qui correspondent au tracé de la constellation Eridan, les clés qui ont permis d’ouvrir les boites électriques de ces réverbères, un diaporama de 60 photos, où on voit à chaque fois le réverbère allumé, puis éteint. Et il y a ajouté quelques œuvres qui lui ont semblé en écho avec ce propos : une photographie d’étoiles, mais prise, elle, dans le Colorado, sur le site d’un camp d’internement japonais où sa grand-mère fut retenue pendant la seconde Guerre mondiale, une autre constellation, Delphinus (la constellation du Dauphin), réalisée sur un billet de 100$, une série d’aquarelles, envoyées par la poste depuis le vernissage, et qui disent toutes : « your body, of water of the…(lakes, seas, rain, etc.). Bref, un instant de pure grâce dans ce monde de brutes…

L’esprit français, Contre-cultures 1969-1989, jusqu’au 21 mai, à la Maison rouge, 10 bld de la Bastille 75012 Paris (www.lamaisonrouge.org)

Eridanus de David Horvitz, jusqu’au 22 avril à la galerie Allen, 59 rue de Dunkerque, 75009 Paris (www.galerieallen.com)

 

Images : Pierre et Gilles, Marie-France, 1980 © Pierre et Gilles, Courtesy collection François Pinault ; Le torchon brûle, n°1, 1971 © Le torchon brûle Courtesy Collection Dixmier ; David Horvitz, Le Gamin Ennemi des Lumières, 2017, 8 clés de formes différentes, carte, ensemble de clés : dimension variable, carte 50 x 63 cm

Cette entrée a été publiée dans Expositions.

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commentaire

Une Réponse pour Culture, tout contre

Gertrud dit :

Expo très poétique que celle de David Horvitz, un artiste qu’il faut vraiment découvrir. J’ai beaucoup aimé!

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