de Patrick Scemama

en savoir plus

La République de l'Art
Ellsworth Kelly, fenêtres sans vue

Ellsworth Kelly, fenêtres sans vue

C’est une petite exposition, mais qui en vaut bien une grande. Et elle constitue une sorte de retour aux sources, puisque la « Fenêtre » qu’Ellsworth Kelly réalisa, en 1949, d’après une de celles du Musée national d’art moderne situé alors dans l’actuel Palais de Tokyo et dont il fit don au musée quelques mois avant sa mort, en 2015, y figure. Elle y figure au même titre que les cinq autres que l’artiste réalisa lors de son séjour en France, entre 1948 et 1954, et qui préfigurent son esthétique à venir. Mais peut-être est-il nécessaire de faire un rapide retour en arrière pour bien comprendre de quoi il s’agit.
Ellsworth Kelly débarque sur les plages de Normandie en 1944, à l’âge de 21 ans, pour participer à la libération de la France et il découvre ainsi Paris. Il décide d’y revenir quatre ans plus tard, grâce à la bourse d’études accordée aux soldats démobilisés, et il s’installe à l’Hôtel de Bourgogne, dans l’Ile-Saint-Louis, là où se trouve aujourd’hui le glacier Berthillon. Lui qui pratique alors la peinture figurative (il a terminé ses études d’art, après la Guerre, à l’école du Museum of Fine arts de Boston) et parle à peine le français se laisse griser par l’architecture de la ville dans laquelle il déambule longuement et prend conscience que la perception est ce qui l’intéresse le plus. Il voyage aussi beaucoup en France, pour aller voir le Retable d’Issenheim, par exemple, à Colmar, ou pour étudier l’art roman en Poitou-Charentes. Et c’est au cours de ces déplacements, frappé par toutes ces structures géométriques – variations d’ombre et de lumière – qui s’offrent à lui, qu’il met sur pied une méthode  qu’il nommera « already made » (déjà fait) et se traduira par la réalisation de Window I, lors d’un séjour à Belle-Ile-en-Mer, une oeuvre qui reproduit la structure d’une fenêtre de la ferme dans laquelle il loge.

Cette méthode, qui consiste à copier des fragments du réel en les transformant, tant dans la taille, que dans les matériaux et les couleurs, est différente des « ready-made » de Duchamp, en ce sens qu’elle ne déplace pas simplement un objet dans l’espace, mais lui fait subir des modifications. Elle marque le passage du travail de Kelly du figuratif à l’abstrait, ce qui intéresse l’artiste n’étant pas la transparence, l’ouverture sur le monde que représente la fenêtre (ce qu’on a coutume d’appeler « vue », « veduta » en italien), mais bien sa structure seule (il continuera toutefois à faire des dessins, de plantes en particulier, dans un style très « matissien »). Dans ses Notes de 1969, l’artiste écrit : « Après avoir réalisé Fenêtre avec deux toiles et un cadre de bois, je me suis rendu compte que la peinture telle que je l’avais connue était terminée pour moi. A l’avenir, les œuvres devaient être des objets, non signés, anonymes. Partout où je regardais, ce que je voyais devenait quelque chose à réaliser ; tout devait être exactement ce que c’était, sans rien de superflu. C’était une liberté nouvelle, je n’avais plus besoin de composer. Le sujet était là, déjà fait, et tout était matière ».

Ce sont donc les six « Fenêtres » réalisées lors de son séjour en France (la dernière, Window VI, reprenant une fenêtre du Pavillon suisse de la Cité universitaire conçu par Le Corbusier dans les années 30) qui sont réunies dans cette lumineuse exposition, située, elle, au sein des collections du musée. Elles sont accompagnées de dessins et de croquis préparatoires, la plupart du temps de petite taille, Ellsworth Kelly n’ayant alors ni l’espace ni l’argent pour réaliser des pièces de dimensions importantes. Et de photos qui sont rarement montrées et qui sont très significatives, bien qu’il les considérait davantage comme des archives que comme des œuvres à part entière. Enfin, pour prouver à quel point elles sont déterminantes (comme toute cette période) dans la vie et l’œuvre de l’artiste, le commissaire, Jean-Pierre Criqui, a choisi de montrer aussi la dernière œuvre laissée achevée dans l’atelier lors de sa disparition : White over Black III (2015). Il s’agit d’un grand tableau en noir et blanc constitué de deux éléments joints et qui évoque bien sûr la Fenêtre du Musée d’art moderne présentée de l’autre côté de la cimaise : la boucle est ainsi bouclée, Ellsworth Kelly retrouve sa jeunesse.

-Ellsworth Kelly, Fenêtres, jusqu’au 27 mai au Centre Pompidou, niveau 4 (www.centrepompidou.fr)

Images : Ellsworth Kelly avec Window, Museum of Modern Art Paris et reliefs, Hôtel de Bourgogne 1950, © Ellsworth Kelly Foundation Courtesy Ellsworth Kelly Studio; Studies for Window, Museum of Modern Art Paris (Small version) 1949, encre, gouache et crayon sur papier, 30,50 x 41,90 cm Ellsworth Kelly Studio © Ellsworth Kelly Foundation, Ph. Courtesy Ellsworth Kelly Studio.

Cette entrée a été publiée dans Expositions.

4

commentaires

4 Réponses pour Ellsworth Kelly, fenêtres sans vue

Emile dit :

Votre article est instructif sur la bio de l’artiste mais je pense que vous passez un peu à côté du véritable sens et de l’intérêt des Windows, de leur énigme en somme.
Voir https://legoutdesexpos.com/articles/2019/critique-exposition-ellsworth-kelly-windows-centre-pompidou

Patrick Scemama dit :

C’est votre critique?

Emile dit :

Non je partage juste l’avis de l’auteur

Louis Garcia dit :

Interessant ce post. Des lectures intéressantes et motivantes !

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

*

*