de Patrick Scemama

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La République de l'Art
Fondation d’entreprise, maison d’art

Fondation d’entreprise, maison d’art

Depuis que les subventions de l’Etat stagnent et que les budgets d’acquisition des musées se réduisent, les initiatives privées, fondations ou autres lieux de résidences, se multiplient. Cela est vrai en France, mais encore davantage en Asie, dans des pays qui ne possèdent pas de grandes infrastructures  culturelles et où ce sont désormais les groupes puissants et les grosses fortunes qui proposent les plus belles collections (je pense en particulier à la Chine). A Paris, après la Fondation Vuitton au Bois de Boulogne et en attendant l’ouverture de Fondation Emerige sur l’Ile Séguin, la Fondation Pinault dans l’ancienne Bourse du commerce et la Fondation Fiminco, qui doit voir le jour fin 2018 dans une ancienne usine de Romainville, c’est la Fondation d’entreprise des Galeries Lafayette, Lafayette Anticipations, qui ouvre ses portes. La famille Moulin, actionnaire des Galeries Lafayette (Ginette Moulin est la petite-fille du fondateur du magasin et c’est son petit-fils, Guillaume Houzé, qui est président de la Fondation), n’est pas une nouvelle venue dans le monde de l’art, plus spécifiquement contemporain. Depuis longtemps, elle accompagne les artistes, collectionne et montre les oeuvres, entre autres dans l’espace qu’elle a créé au sein même du magasin Haussmann,  la « galerie des galeries ». En dédiant un immeuble entier à son goût pour la création d’aujourd’hui, on se doute donc qu’elle n’agit pas simplement pas souci de communication et pour se forger une image, mais bien pour poursuivre et donner plus d’amplitude à une passion qu’elle nourrit depuis de longues années.

Son projet se différencie d’ailleurs de ses « concurrentes » sur deux points. D’abord sur le plan de l’emplacement et de l’architecture extérieure. A la différence de la Fondation Vuitton qui s’est fait construire un bâtiment en dehors du centre de Paris par la star de l’architecture, Frank Gehry, ou de la Fondation Emerige qui érige aussi un tout nouvel édifice sur les anciens emplacement de l’usine Renault, c’est au cœur de Paris, dans le Marais, et dans un ancien entrepôt du BHV (qui est aussi la propriété des Galeries Lafayette), que Lafayette Anticipations a choisi de s’implanter. Et à la fois par contrainte (la proximité de monuments historiques) et par volonté patrimoniale, elle n’a pas cherché à modifier l’aspect extérieur de ce bâtiment industriel qui date du XIXe siècle. Ici, c’est sur l’aménagement intérieur que l’effort a été porté. Et pour repenser la structure interne du lieu, on a fait appel à un autre architecte vedette : Rem Koolhaas, à qui l’on doit, entre autres, les bureaux de la China Central Television à Pékin et l’ambassade des Pays-Bas à Berlin. Celui-ci a conçu quatre plateaux mobiles superposés qui sont insérés dans la cour du bâtiment et qui se déplacent le long de crémaillères, permettant ainsi 49 configurations différentes qui répondront aux besoins des différents projets d’expositions. L’espace du rez-de-chaussée, lui, est pensé comme une agora que l’on traverse librement et où une boutique et un café-restaurant ont été ouverts. Pour le moment, on ne voit encore très bien en quoi ce spectaculaire jeu combinatoire pourra se révéler particulièrement pertinent, mais on ne doute pas de le découvrir lors des prochaines visites.

Lafayette anticipations 2L’autre grande différence de Lafayette Anticipations par rapport aux autres fondations est de privilégier la production et l’accompagnement des artistes. En effet, alors que la Fondation Vuitton ou les fondations à venir ont surtout pour but de montrer les œuvres de leur collection ou de collections invitées, la mission que s’est assignée Lafayette Anticipations est de permettre aux artistes de produire sur place, grâce à des machines et des matériaux sophistiqués qu’ils n’auraient sans doute pas la possibilité d’avoir dans leurs ateliers. Ainsi, un sous-sol leur est réservé où, à l’aide de commissaires et de spécialistes techniques, ils peuvent façonner leurs œuvres et avancer dans leurs recherches. Apparemment, il s’agit davantage de projets ciblés et ponctuels que de véritables résidences, mais on n’a pas encore très bien saisi à quels critères il fallait répondre pour pouvoir accéder à ce lieu. Quoiqu’il en soit, les œuvres produites dans ce cadre peuvent avoir vocation à être ensuite montrées dans les étages, au sein des expositions.

Pour le moment, c’est une exposition de l’américaine Lutz Bacher qui inaugure le lieu. Une exposition, ou plutôt « un geste » comme tient à le préciser François Quintin, le directeur délégué, tant il est vrai que l’intervention de cette artiste, qui a longtemps été associée à la culture contestataire californienne et qui travaille souvent à partir d’appropriations et d’objets trouvés, est minimale et a surtout pour fonction de mettre en valeur la qualité du bâtiment. Recouvrant le sol de paillettes et faisant résonner dans tout l’espace le bruit du vent qu’elle a enregistré dans le bassin d’Arcachon, là où elle a aussi tourné les vidéos de blockhaus abandonnés qu’elle projette sur les murs, Lutz Bacher propose plus une déambulation, un parcours où la lumière et la transparence jouent un rôle important et où les volumes de Rem Koolhass se dévoilent plus précisément. Ce week-end, l’accès à la Fondation est libre, puis, jusqu’au 30 avril, elle propose un prix spécial inauguration de 5 euros. Mais par la suite, il faudra payer 8 euros en tarif plein pour pouvoir y entrer. On espère qu’alors, ce qu’il y aura à y voir sera plus conséquent, puisque le sous-sol où travaillent les artistes n’est pas accessible au grand public (une exposition collective est annoncée à partir du 20 juin qui devrait réunir des pièces de, entre autres, Isabelle Andriessen, Lucy Beech et Julien Creuzet).

Zarka-Emma SchoenfliesPlus conséquente, l’exposition que Raphaël Zarka et Emmanuel Van der Meulen présentent conjointement à la Maba (Maison d’art Bernard Anthonioz) de Nogent-sur-Marne l’est assurément. Le premier, dont il a déjà été question dans ces colonnes (cf https://larepubliquedelart.com/lart-du-skate-et-de-la-conversation/) est sculpteur, alors que le second est peintre et tous deux se sont croisés ou succédé, d’abord aux Beaux-Arts de Paris, puis à la Villa Médicis. Mais s’ils ont choisi d’exposer ensemble, c’est parce que leurs travaux recourent à des formes simples, géométriques, tirées de traités de la Renaissance ou d’ouvrages scientifiques et faisant référence à des instruments de mesure ou d’optique pour Raphaël Zarka, ou renvoyant aussi bien à elle-même qu’à des notions cosmologiques et ayant toujours trait aux fondamentaux de la peinture pour Emmanuel Van der Meulen. Et aussi parce que leurs pratiques ne sont pas si définitivement éloignées que cela : Zarka est bien sculpteur, mais il travaille aussi beaucoup le dessin et ses références se situent beaucoup plus dans le champ de la peinture (en particulier italienne) que dans celui de la sculpture. Quant à Van der Meulen, s’il se contente de la bidimensionnalité, on peut dire que ses toiles évoquent le volume, l’espace, c’est-à-dire la sculpture.  Dans la salle qui ouvre l’exposition, chaque artiste s’est d’ailleurs amusé à montrer une pièce que l’on pourrait très bien attribuer à l’autre : une encre sur papier représentant un cadran solaire pour Raphaël Zarka, un collage représentant une peinture suspendue dans un espace urbain pour Emmanuel Van der Meulen.

Van der Meulen-Yoreh IILa suite de l’exposition fait alterner des œuvres plus « orthodoxes ». Dans une salle, Zarka montre les cartons d’invitations encadrés de ses précédentes expositions qui sont souvent la meilleure clé pour les introduire, tandis que Van der Meulen montre une série de petites peintures sur papier, qui constitue comme une sorte de journal intime. Plus loin, c’est une grande sculpture en pierre du premier (Emma Schoenflies, 2016) qui se retrouve au milieu des ronds et des carrés des toiles du second et dont la surface poreuse évoque la matérialité de la peinture. Dans l’escalier, c’est une fresque à valeur décorative du second (l’idée que l’art et la décoration ne sont pas si éloignés que cela) qui sert de cadre à une sorte de totem en bois du premier, sur lequel ont été découpées des formes de cadrans solaires. Etc., etc.

Tout cela fonctionne avec beaucoup d’élégance, de justesse, de fluidité. Comme une conversation intelligente que les deux artistes engageraient devant nous et qui rebondirait, au fil des idées et des arguments. Avec trop d’évidence aussi ? Raphaël Zarka est un adepte des expositions en binôme. On l’a vu confronter son travail, récemment, avec celui d’Aurélien Froment aux Abattoirs de Toulouse. Et on l’a vu aussi faire œuvre commune avec Christian Hidaka aux Instants Chavirés de Montreuil. La rencontre avec l’univers baroque et très théâtral du peintre d’origine nippone, dont il est pourtant proche, semblait moins attendue. Elle le fut. Mais elle fut plus surprenante aussi.

-Lafayette Anticipations, 9 rue du Plâtre 75004 Paris. L’exposition Lutz Bacher, The Silence of the Sea, dure jusqu’au 30 avril (www.lafayetteanticipations.com)

-Emmanuel Van der Meulen et Raphaël Zarka, Fables, Formes, Figures, jusqu’au 13 mai, à la Maison d’art Bernard Anthonioz, 16 rue Charles VII 94130 Nogent-sur-Marne (www.maba.fnagp.fr)

 

Images : vues de la Fondation d’entreprise Lafayette Anticipations, conçue par Rem Koolhaas, avec l’exposition de Lutz Bacher ©Delfino Sisto Legnani and Marco Cappelletti ; Raphaël Zarka, Emma Schoenflies, 2016, Pierre de sireuil, 68 x 85 x 85 cm, Courtesy de l’artiste et Galerie Michel Rein, Paris/Bruxelles ; Emmanuel Van der Meulen, Yoreh II, 2017, Acrylique sur toile, 130 x 130 cm, Courtesy de l’artiste et Galerie Allen, Paris

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commentaire

Une Réponse pour Fondation d’entreprise, maison d’art

Rein dit :

Salut Patrick, nous nous sommes ratės au vernissage. Merci de tes commentaires élogieux. Bien qu’etant à 6000 kilomètres, ils nous réchauffent le cœur ( comme dirait notre ami Edgar). À très vite. M

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