de Patrick Scemama

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La République de l'Art
Formes et mémoire au Centre Pompidou-Metz

Formes et mémoire au Centre Pompidou-Metz


Dans un précédent billet (cf http://larepubliquedelart.com/le-bauhaus-est-toujours-vivant/), j’évoquais le nom d’Oskar Schlemmer, cet artiste pluridisciplinaire d’avant-garde, qui fut professeur au Bauhaus de 1920 à 1929. Il se trouve qu’une exposition – attention, il ne reste que quelques jours pour la voir – se tient actuellement au Centre Pompidou Metz, qui lui est consacrée. Conçue sur un très grand plateau, sans cloisons, elle met en regard des dessins, peintures, sculptures et des costumes et des captations de spectacles. Car Schlemmer, qui a étudié aux Beaux-Arts de Stuttgart et qui a même participé, dans cette même ville, à une exposition où étaient présentées des toiles de, entre autres, Gauguin, Manet et Van Gogh, a commencé sa carrière comme peintre, en s’efforçant de simplifier les formes dans l’esthétique cubiste. Mais il s’est aussi très vite intéressé à la danse et, constatant l’importance prise par la machine en ce début de XXe siècle, parfois au détriment de l’humain, a essayé d’associer les théories humanistes de la Renaissance (la place de l’homme dans l’espace, par exemple) à sa propre vision du monde. Un de ses projets les plus emblématiques est « Le Ballet triadique » sur lequel il travailla pendant de longues années et qui, libéré de toute règle préétablie, tant sur le plan chorégraphique que scénique, était censé représenter le « triomphe de la forme pure ». Mais en tant que « maître de formes », il fut aussi responsable de nombreuses fêtes et spectacles au Bauhaus et conçu les décors d’opéras de Schönberg et de Stravinsky.

Schlemmer 2Ce sont ces multiples activités que montre l’exposition du Centre Pompidou Metz. Plaçant les fabuleux costumes futuristes sur un podium au centre de l’espace (dont certains tournent sur eux-mêmes), elle les encadre de dessins et des maquettes qui les préfigurent ou les prolongent, établissant ainsi un passionnant  va-et-vient entre la deuxième et la troisième dimension. Mais outre les études de Schlemmer, ce sont des peintures ou des dessins de ses collègues du Bauhaus, Klee et Kandinsky en particulier, qui sont présentés (avec aussi une sculpture de Brancusi) et qui montrent la proximité existant à l’époque entre les différents acteurs de l’école. Et des films – certains historiques, d’autres de reconstitutions récentes – permettent de voir le travail du chorégraphe sur le mouvement du corps et la manière dont il l’inscrit dans l’univers pictural. On comprend alors la modernité de Schlemmer, qui est dégagée de toute soumission et libre d’inventer pour elle-même. On découvre sa fantaisie et son imagination qui donnent un aspect surréaliste à son oeuvre. Et on réalise à quel point certains chorégraphes d’aujourd’hui, comme Philippe Decouflé, par exemple, lui sont redevables et ont su tirer profit de ses audacieuses recherches.

(Photo supprimée)

Si l’exposition Schlemmer est toute en formes, en couleurs et en sensualité (on a presque envie de toucher), une autre exposition que présente actuellement le Centre Pompidou Metz, Un musée imaginé, se situe sur un plan beaucoup plus conceptuel. Elle s’inspire de la nouvelle de Ray Bradbury, Fahrenheit 451, dont Truffaut a tiré un film, et part du postulat suivant : nous sommes en 2052, l’art est menacé d’interdiction et de destruction. Pour organiser la résistance, trois grands musées (la Tate de Liverpool, le MMK –Museum für Moderne Kunst- de Francfort et le Centre Pompidou Metz) ont réussi à sauvegarder plus de 90 œuvres qu’ils présentent, de manière précaire, dans des sections posant les questions essentielles véhiculées par l’art moderne et contemporain (la transfiguration du banal, le temps-l’espace, l’énigme, etc.). Comme chacun est censé s’en souvenir pour les transmettre aux générations futures et se transformer, à l’instar de la nouvelle de Bradbury, en « hommes-livres » (ici « hommes-œuvres d’art »)  pour en garder la trace, des enregistrements sonores, des photographies, pictogrammes et performances imaginés par des artistes sont placés tout au long du parcours et proposent des solutions mnémotechniques. A la fin de l’exposition, on peut aussi dessiner soi-même sur un carton qui sera conservé et exposé ce que l’on a retenu de l’exposition. Enfin lorsque celle-ci sera terminée et que les œuvres auront disparu, une journée sera consacrée à les restituer avec le seul pouvoir de la mémoire et de l’imagination.

Une exposition originale et inédite, donc, qui non seulement permet de voir des œuvres majeures de l’histoire de l’art moderne et contemporain (de Duchamp à Walid Raad, en passant par Kippenberger, Louise Bourgeois ou Félix Gonzalez-Torres), mais qui incite aussi à ne pas être simplement passif devant elles, à les intégrer pour mieux pouvoir les restituer, au cas, hélas pas uniquement d’école, où l’on serait obligé de le faire…

 

-Oskar Schlemmer, L’Homme qui danse, jusqu’au 16 janvier ; Un musée imaginé, jusqu’au 27 mars, au Centre Pompidou-Metz, 1, parvis des Droits-de-l’Homme 57020 Metz (www.centrepompidou-metz.fr)

 

 

Images : Oskar Schlemmer, Das Triadische Ballett, Schwarze Reihe, Der Abstrakte / Le Ballet triadique, séquence noire, l’Abstrait, 1920-1922/1967, Masque en deux parties, en couleur ; plastron, revêtement bronze argenté ; jambe-pilon rembourrée, recouverte de feutre blanc et garnie sur la longueur extérieure d’une bordure brillante rouge ; hanche et cuisse, revêtement noir ; cloche, revêtement de couleur ; bras, laqué noir ; main-pilon, bois, bronze avec poignée noire, 161 × 70 × 64 cm, Bühnen Archiv Oskar Schlemmer, collection UJS © 2016 Oskar Schlemmer, Photo Archive C. Raman Schlemmer, www.schlemmer.org; Oskar Schlemmer, Stäbetanz / Danse des bâtons, 1928, Danseuse : Manda von Kreibig, Photographe : T. Lux Feininger Photographie, épreuve originale, Bühnen Archiv Oskar Schlemmer, collection UJS © 2016 Oskar Schlemmer, Photo Archive C. Raman Schlemmer, www.schlemmer.org; Marcel Duchamp, Fresh Widow, 1920/1964 Tate. Purchased with assistance from the National Lottery through the Heritage Lottery Fund 1997 © succession Marcel Duchamp / Adagp, Paris 2016

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