La Collection Lambert expose Patrice Chéreau
Après deux ans de travaux, une exposition un peu discutable, l’an passé, dans la prison Sainte-Anne (cf https://larepubliquedelart.com/une-prison-est-elle-un-lieu-dexposition/) et des démêlés avec la municipalité qui menaçait de réduire ses subventions, la Collection Lambert d’Avignon a ouvert les portes de son nouvel espace, qui adjoint au très bel Hôtel de Caumont, qu’elle utilisait déjà, l’Hôtel de Montfaucon, son voisin, qui abritait jusqu’alors l’Ecole d’art de la ville. En fait, Laurent et Cyrille Berger, les deux architectes de l’agence Berger et Berger qui a remporté l’appel d’offre, ont réuni les deux bâtiments grâce à une sorte de sas qui permet un passage de l’un à l’autre et au centre duquel un monumental escalier hélicoïdal a été créé, qui permet de desservir les différents étages. Ils ont pu ainsi doubler les espaces d’exposition (qui passent de 3000 à 6000 m2), créer des espaces qui alternent lumière naturelle et lumière artificielle et prévoir certaines salles spécialement pour des oeuvres de la collection que l’architecture de l’ancien musée ne permettait pas d’exposer, ainsi que des espaces dédiés à la programmation culturelle en lien avec les expositions. Le tout dans l’esthétique minimale qui sied à la collection, où le blanc domine et où règne une harmonie un peu froide mais toujours élégante et aérée.
Le nouveau bâtiment répartit en deux zones les œuvres présentées. Dans l’Hôtel de Montfaucon nouvellement réaménagé est exposée de manière pérenne une sélection d’œuvres du fonds (composé, rappelons-le, de près de 600 pièces) dont certaines n’avaient pas été montrées depuis l’exposition inaugurale de la collection et qui sont les chefs d’œuvres de Twombly, de Ryman, de Sol Lewitt ou de Barcelo que l’on connait déjà, mais que l’on est heureux de retrouver dans cet environnement où ils semblent encore davantage mis en valeur. Et dans l’ancien Hôtel de Caumont, qui abritera désormais les expositions temporaires, est présentée l’exposition qui fait l’évènement et qui marque une première collaboration historique avec le Festival d’Avignon : celle consacrée à Patrice Chéreau.
C’est entre autres parce que Patrice Chéreau connaissait bien Yvon Lambert et se rendait régulièrement à la Collection, où il arrivait aussi à son proche collaborateur, Thierry Thieû Niang, de danser au milieu des salles, qu’Eric Mezil, le directeur de la Collection, a voulu rendre hommage au metteur en scène disparu il y a bientôt deux ans. L’an dernier, l’exposition La Disparition des lucioles lui était déjà dédiée et lorsque, quelques mois plus tard, Nathalie Léger, la directrice de l’IMEC, l’Institut Mémoires de l’édition contemporaine, où Chéreau, comme Foucault ou Marguerite Duras, avait légué ses archives, proposa à Eric Mézil de participer à un projet autour de l’homme qui marqua de manière indélébile le monde du théâtre et de l’opéra, la décision fut prise de bouleverser le calendrier et de faire la réouverture de la Collection avec une exposition sur lui. Et il est vrai que cette décision se justifiait pleinement, car s’il est un acteur du spectacle vivant qui fut sensible à l’art en général et plus particulièrement à la peinture, lui dont les parents étaient tous les deux artistes, c’est bien Patrice Chéreau, qui avait même été invité lui-même à concevoir une exposition, Les Visages et les Corps, au Louvre en 2010 (lors de sa disparition, je m’étais permis d’insister sur cet aspect de son travail dans l’article que je lui avais consacré, cf https://larepubliquedelart.com/patrice-chereau-au-regard-de-la-peinture/).
L’exposition avignonaise est d’une ampleur exceptionnelle et réunit aussi bien des pièces classiques (De La Tour, Géricault, Goya, etc) que des pièces modernes et contemporaines (Picasso, Giacometti, Kiefer, Richter, entre autres) pour illustrer « l’imaginaire » de Patrice Chéreau. Pour ce faire, elle a nécessité des prêts aussi bien de collections privées que de grands musées nationaux et internationaux et a dû faire appel à des dons de particuliers pour être menée à bien (un message avait été diffusé via les réseaux sociaux pour le site de récolte de fonds « KissKissBankBank »). Toujours est-il que, jusqu’au bout, l’entreprise a semble-t-il été difficile à faire aboutir et que le résultat final ne correspond peut-être pas exactement à ce qui avait été prévu initialement (lorsqu’on lit le texte d’intentions du dossier de presse, écrit quelques semaines avant le vernissage, on se rend compte que l’exposition aurait dû être assez différente de ce qu’elle est actuellement).
Est-ce en raison de cette urgence ou à cause du commissariat bicéphale entre Eric Mezil et Nathalie Léger, que l’exposition, quoique passionnante à bien des égards, laisse un peu perplexe ? Elle semble hésiter, en tous cas, entre le travail d’archives, très riche et documenté, et une interprétation très libre (un « musée imaginaire », comme son titre l’indique) de l’œuvre de Chéreau. Elle s’ouvre sur des salles qui suivent un ordre chronologique et montrent, dans des vitrines ou sur des écrans, des documents écrits et audio-visuels très intéressants qui prouvent d’emblée l’engagement et la force de travail du jeune homme. Ce sont d’abord les œuvres de ses parents, Jean-Baptiste et Mady qui nous sont montrées, peintures et dessins à mi-chemin entre l’abstraction et le surréalisme pour le premier, illustrations de tissus pour la seconde. Puis les lettres, brochures de travail, photos et notes (et bien sûr les maquettes de décor que Chéreau réalisait lui-même) qui évoquent d’abord les années au Lycée Louis-le-Grand, avec entre autres, Jean-Pierre Vincent, puis les années à Sartrouville, Milan ou au TNP de Villeurbanne, qu’il codirigea avec Roger Planchon. Mais très vite (dès l’évocation de la Tétralogie de Bayreuth), ce sont les œuvres d’art qui prennent le dessus et qui entrent souvent très justement en résonance avec l’univers du metteur en scène (comme les pièces wagnériennes de Kiefer, par exemple). Mais se posent aussi, dès lors, les questions sur la présence ou l’absence de telle ou telle oeuvre.
Comment justifier, par exemple, dans cette salle consacrée à la Tétralogie, l’absence –ou en tous cas le fait qu’il n’y soit pas fait référence – de L’ile des morts de Böcklin, ce tableau qui, de l’aveu même de Richard Peduzzi, le fidèle scénographe, par ailleurs très présent dans l’exposition, constituait la référence au si sublime décor du IIIe acte de La Walkyrie ? Comment expliquer que ce soit dans la salle consacrée à l’Ecole de comédiens de Nanterre que soient montrées les photos de couples de Nan Goldin, un somptueux Bacon (Seated figure, 1974) ou une sculpture de Berlinde de Bruyckere, artistes que Chéreau aimait beaucoup, mais qui arrivent là de manière un peu inoppinée ? Ou comment justifier la présence, dans la salle consacrée au film La Reine Margot et aux guerres en général, d’une sculpture d’Adel Abdessemed (Untitled, 2014) que le metteur en scène n’a pas pu connaître puisqu’elle est postérieure à sa mort, qui faisait partie de la dernière exposition organisée par Yvon Lambert dans sa galerie et qui, certes, peut faire sens ici puisqu’elle traite de la violence, mais pas plus qu’une œuvre d’un autre artiste sur le même sujet ? On sait bien que le principe d’un « musée imaginaire » est d’associer de manière parfois très subjective des œuvres à l’univers d’un auteur, mais le problème ici, c’est que cette liberté entre souvent en conflit avec la rigueur documentaire des archives proposées.
On regrette donc, au bout du compte, que l’exposition ne prenne pas davantage un parti ou un autre, qu’elle ne soit pas purement historique ou purement interprétative, comme le suggèrent les dernières salles, où ce sont davantage des thèmes que des évènements précis qui sont mis en avant. Mais encore une fois, on n’est pas sûr qu’elle corresponde exactement aux intentions initiales des commissaires et qu’elle ne soit pas plutôt un compromis entre des points de vue un peu antagonistes ou imposé par des obligations matérielles. Peut-être trouve-t-elle d’ailleurs davantage de cohérence dans le catalogue publié par les Editions Actes Sud qui, en plus de reproduire les œuvres, recueille des témoignages de proches tels que Catherine Tasca, Dominique Blanc ou Pierre Boulez. Et pour retrouver le point de vue même de Chéreau sur la peinture, on peut se reporter au livre Les Visages et les Corps publié par le Musée du Louvre (en collaboration avec Skira et Flammarion), lors de son exposition et dans lequel figurent les œuvres qu’à cette occasion qu’il avait lui-même choisies.
-Collection Lambert, 5 rue Violette, 8400 Avignon (www.collectionlambert.fr). Le « Musée imaginaire » de Patrice Chéreau se tient jusqu’au 11 octobre.
Images : Édouard Bernard Debat-Ponsan, Une porte du Louvre, le jour de la Saint-Barthélemy, 1880, huile sur toile, 353 x 400 cm, Musée d’art Roger-Quilliot, Clermont-Ferrand © Musée d’art Roger-Quilliot, Clermont-Ferrand / photo Jacques-Henri Bayle (la présence de cette peinture est bien en lien avec le film, La Reine Margot) ; vue d’une salle d’exposition de l’Hôtel de Montfaucon, rénovée par les architectes Berger&Berger, avec en arrière plan une œuvre d’Andres Serrano et au premier plan une œuvre de Bertrand Lavier © Franck Couvreur ; Etude de maquillage de Patrice Chéreau pour Dans la solitude des champs de coton de Bernard-Marie Koltès, 1995, dessin de Moidele Bickel, Fonds Patrice Chéreau / IMEC © droits réservés
Ajout du 24-08-11: reçu par la poste le catalogue coédité par la Collection Lambert et Actes Sud, dont il est question plus haut. Bel ouvrage, de près de 400 pages, qui reproduit la plupart des oeuvres présentées (42€). Parvient-il à donner la cohérence qui, de mon point de vue, manque un peu à l’exposition? Pas vraiment, parce qu’il est centré sur la personne Patrice Chéreau, avec des témoignages souvent inédits de gens qui lui étaient proches (et une retranscription, par exemple, de la belle interview qu’il avait donnée, peu de temps avant sa mort, à Laure Adler sur France-Culture). Mais sur les raisons qui ont présidé aux choix des oeuvres, pas grand-chose, à part un texte d’Eric Mézil qui explique plutôt le genèse de l’exposition. Il faut donc croire que, en dehors des archives, c’est la subjectivité des commissaires qui a fait le travail. Ce qui est logique, puisque, encore une fois, il s’agit d’un « musée imaginaire ». Mais ce qui, du coup, reste contestable.
9 Réponses pour La Collection Lambert expose Patrice Chéreau
Deux commissaires d’exposition, deux partis pris, non ? C’est hélas souvent,t le cas. Ils se superposent mais ne se fondent pas. Le problème est ici inscrit dans le projet même. Peut-être dans ces cas-là faudrait-il distinguer le musée imaginaire de la présentation de l’homme…
Exactement, cher Pierre, tout le problème est là. Ce sont deux expositions qui recèlent des trésors, mais qui ne se superposent pas et finissent presque par se nuire l’une l’autre.
Chéreau, le copain à meusieu courte ?
chez Passou le pauvre JC a encore perdu une occasion de se taire
Hi han ! fait le bœuf.
Euh non, je me trompe*.
—
* l’éléphant ?
Uedada, lui, fait l’âne, naturellement
Evidemment, rien sur l’articulation de l’expo et des magnifiques boiseries de l’Hotel de Caumont. Rien non plus sur le vandalisme dont fut l’objet son voisin sous l’education nationale, et des applaudissements faciles pour ce qui parait d’un minimalisme architectural atterrant. On ne va pas demander à un architecte de faire beau, non? le style Galerie branchée parisienne suffira, et tant pis pour l’Hotel de Montfaucon.
Quant au metteur en scène d’opéra, du Siegfried le plus idiot du répertoire,un exploit dans le genre, ou d’un Cosi qu’on n’aurait pas toléré s’il avait été signé d’un autre nom que le sien, laissons-le couler dans l’oubli des pompiers de l’Avant-Garde Giscardienne, en parfaite harmonie de ce point de vue avec la toile de Debat-Ponsan, redécouvert dans ces années-là
MC
acharnement en deux lettres : MC
comment peut-on écrire pareille bêtise ? ah! c’est MCourt… c’est normal
9
commentaires