de Patrick Scemama

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La République de l'Art
Les Néo-Romantiques: un mouvement à redécouvrir?

Les Néo-Romantiques: un mouvement à redécouvrir?

L’été dernier, je vous parlais d’une exposition qui se tenait à la Villa Paloma de Monaco et qui, sous le titre de Excentrique Bébé, rendait hommage à ce merveilleux peintre et décorateur que fut Christian Bérard (cf Christian Bérard, la peinture masquée – La République de l’Art (larepubliquedelart.com)). Christian Bérard fut un des principaux acteurs d’un groupe que le critique Waldemar George qualifia de « Néo-Romantiques ». En fait, ce groupe se constitua en 1926, à l’occasion d’une exposition organisée à la hâte à Paris à la galerie Druet, grâce aux liens qu’un de ses membres, Pierre Charbonnier, avait avec cette galerie. Il était constitué de jeunes artistes qui sortaient tous de l’Académie Ranson où ils avaient eu Vuillard, Vallotton et Maurice Denis comme professeurs. Outre Bérard et Charbonnier, une femme, Thérèse Debains, un jeune prodige hollandais, Kristians Tonny et trois jeunes russes ayant fui la révolution de 1917 : Pavel Tchelitchew, Eugène Berman et son frère Léonide, en faisaient partie.

Ce groupe avait peut-être un nom, mais il n’avait pas de manifeste. Et le travail de ses différents membres était assez différent. Mais il se retrouvait sur certains points : le fait de rester fidèle à la figuration, en réaction au cubisme et à l’abstraction, celui de privilégier la figure humaine et le paysage dans la tradition de l’humanisme, celui d’avoir recours à une palette contenue et plutôt sourde pour faire naître un sentiment de mélancolie. La grande référence de ce mouvement fut le Picasso des périodes rose et bleue et la question : comment faire après lui (le collectionneur James Trall Soby intitula d’ailleurs l’ouvrage qu’il lui consacra : After Picasso) ? Mais d’autres influences sont décelables comme celle du premier surréalisme, celle de la peinture métaphysique de De Chirico ou encore la Renaissance italienne. Plusieurs personnalités de premier plan soutinrent et encouragèrent ce mouvement, comme Jean Cocteau (toujours lui !), Gertrude Stein, Marie-Laure de Noailles, Christian Dior ou Julien Green.

Mais il sombra peu à peu dans l’oubli. Il faut dire qu’après cette exposition inaugurale, tous les membres menèrent leur carrière de leur côté et n’eurent plus vraiment l’occasion de montrer leur travail ensemble. Il faut dire aussi que la plupart réalisèrent des décors de théâtre ou d’opéra, ce qui, à l’époque, ne leur donnait pas vraiment une image de sérieux. Et dire encore qu’ils allaient à l’encontre du modernisme et que leurs choix esthétiques pouvaient apparaître comme réactionnaires, délibérément tournés vers le passé et parfois à la recherche d’une sorte d’idéal de pureté classique qu’on pouvait assimiler aux aspirations du fascisme naissant (même si les Néo-romantiques agissaient uniquement par conviction et goût, sans considérations politiques). Enfin, on ne peut négliger le fait que bon nombre d’entre eux étaient gays et que cela a peut-être contribué à leur mise à l’écart.

Patrick Mauriès, ce dandy érudit, auteur du Second manifeste camp et qui aime tant sortir des sentiers battus, lui, ne les a pas oubliés. Il leur a consacré un livre, Néo-Romantiques, un moment oublié de l’art moderne, paru l’année dernière aux Editions Flammarion et il est le commissaire de l’exposition qui vient d’ouvrir au Musée Marmottan-Monet. C’est donc l’occasion de voir pour la première fois depuis bien longtemps des œuvres qui étaient jusqu’alors dans de collections privées et confrontées à celles de leurs collègues et amis. Et le résultat est assez surprenant. Bérard est là, bien sûr, qui occupe la première place et dont la facilité, le talent, mais aussi la sourde inquiétude et l’intensité des portraits ne sont plus à discuter. Tchelitchew, à qui une salle est consacrée, comme à presque tous les membres du groupe, fascine par la légèreté, la précision et l’envolée de ses dessins, mais laisse plus perplexe avec ses toiles sombres, à la pâte épaisse dans laquelle du sable et du mare de café ont été intégrés, ou par celles qui semblent explorer l’intérieur du corps humain. On n’est pas complètement enthousiasmé non plus par le travail d’Eugène Berman, qui semble très influencé par Dali, mais un Dali revisité par l’Italie du XVIIe siècle et l’esthétique baroque. Et son frère, Léonide, a passé une bonne partie de son existence à peindre, dans une palette où dominent le vert, l’ocre et le gris des tableaux du littoral français, depuis la Côté d’Azur jusqu’à la mer du Nord.

Mais quelques très bonnes surprises émanent de cet assemblage hétéroclite. La première étant celle de Thérèse Debains, la seule femme de ce groupe, qui était très proche de Bérard et qui a peint des portraits dans la même veine que lui, évanescents, d’une grande poésie, tirant vers la transparence (on est moins sensible aux bouquets de fleurs). Et la seconde étant celle de Christopher Wood, l’amant de Sir Francis Rose, représentant de la branche anglo-saxonne du mouvement, qui s’est suicidé très jeune, en proie à des troubles mentaux dus à l’excès d’opium et d’alcool. Il n’est présent qu’à travers une toile (un portait de Jean Bourgoint, le modèle supposé des Enfants terribles de Cocteau), mais celle-ci est si belle, si moderne dans sa réalisation qu’on pourrait la croire sortie du pinceau de David Hockney ou d’Elizabeth Peyton. Enfin, l’exposition propose deux salles thématiques : une consacrée à l’Italie qui a tellement été source d’inspiration pour ces artistes (au point que certains y finirent leurs jours) et une autre aux décors de théâtre auxquels ils se sont adonnés avec plaisir.

Alors, cette exposition permettra-t-elle aux Néo-Romantiques de retrouver leur place dans l’histoire de l’art ? Pas sûr, parce qu’une fois écrite, celle-ci est bien difficile à réviser (surtout dans le cas présent) et parce tout n’est pas du même niveau dans leur production. Mais elle permettra de mettre l’accent sur des artistes singuliers, qui méritent vraiment d’être réévalués et dont les pratiques, pour certains, ne semblent pas si éloignées de celles de nos contemporains.

Néo-Romantiques, un moment oublié de l’art moderne (1926-1972), jusqu’au 18 juin au Musée Marmottan-Monet, 2 rue Louis-Boilly 75016 Paris (www.marmottan.fr)

Thérèse Debains, Portrait de jeune garçon, s. d., Huile sur panneau, 58 x 50 , Collection particulière  © Photo François Fernandez Nice ADAGP 2022 ; Eugène Berman , Mélancolie, 1937, Huile sur toile, 57,8 x 80 cm , Collection particulière ; Pavel Tchelitchew , Interior Landscape, 1947, Huile sur toile, 80,6 x 65,4 cm, New-York, Michael Rosenfeld Gallery @ Courtesy of Michael Rosenfeld Gallery LLC

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