de Patrick Scemama

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La République de l'Art
Minimal/Maximal

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La rumeur disait qu’avec l’arrivée de Catherine Pégard, l’ancienne conseillère de Nicolas Sarkozy, à la tête de l’Etablissement public Château de Versailles, l’art contemporain n’aurait plus sa place dans la demeure de Louis XIV. Il n’en est rien et, depuis trois ans, les artistes d’aujourd’hui continuent à pouvoir dialoguer avec ce qui est sans doute le monument le plus représentatif de l’esprit français. Ce qui a changé, en revanche, c’est la nature des artistes sélectionnés : plus de Pops ou de Néo-pops à la Jeff Koons ou Murakami qu’affectionnait Jean-Jacques Aillagon, l’ancien directeur, et qui établissaient un contraste trop violent (mais détonnant et parfois pertinent) avec l’harmonie classique du lieu. Et ce qui a surtout changé, c’est l’endroit où leurs œuvres sont exposées : quasiment plus d’œuvres à l’intérieur même du château, dans la galerie des Glaces ou près de la chambre de la Reine, mais dans les jardins de Le Nôtre, le long de la perspective principale ou dans les bosquets alentour. Ainsi ont été évitées toutes les querelles avec les artistes jugés trop provocateurs (un lustre réalisé dans l’esprit baroque, mais avec des tampons hygiéniques, par l’artiste portuguaise Joanna Vasconcelos avait été censuré) et ainsi a-t-on pu faire taire toutes les associations de défense du patrimoine français qui jugeaient indigne la présence de ces pièces sacrilèges au sein même de leur château bien-aimé.

Ufan 4Après Giuseppe Penone, l’an passé, qui avait livré une magnifique réflexion sur la nature et l’intervention de l’homme, à partir d’arbres évidés et révélés (cf http://larepubliquedelart.com/retouver-lorigine/), c’est donc au tour de l’artiste sud-coréen Lee Ufan, qui a aussi eu cet hiver une très belle exposition chez Kamel Mennour, la galerie française qui le représente (cf http://larepubliquedelart.com/avec-ou-sans-corps/), de s’y coller. Lee Ufan, qui est aussi peintre et qui a été un des principaux représentants du mouvement japonais Mono-Ha (qui utilisait des choses quotidiennes et naturelles sans les modifier, pour voir les rapports qu’elles entretenaient entre elles), travaille la sculpture à partir de deux matériaux, qui sont la pierre et les plaques d’acier, qui symbolisent pour lui respectivement la nature et la société industrialisée, c’est-à-dire l’être et le temps. Toutes les œuvres portent le terme générique de « Relatum », ce qui exprime, comme le dit Alfred Pacquemont, qui est commissaire de l’exposition, « que l’œuvre d’art n’est pas une entité indépendante et autonome, mais qu’elle n’existe qu’en relation avec le monde extérieur ». Pour cette exposition, il a conçu une dizaine de pièces qui sont le fruit de ses nombreuses promenades dans le parc et qui, en s’insérant délicatement dans celui-ci, ont pour but de dépasser » l’histoire profonde de Versailles et l’image parfaite de son jardin » et de dévoiler « une nouvelle dimension qui ouvre sur l’infini ». On y voit une arche grandiose sous laquelle passe le visiteur et qui ouvre la grande perspective à partir de la terrasse du château ; des plaques en inox ondulées sur le Tapis vert, avant le bassin de Neptune, parce qu’un jour, en s’y promenant, l’artiste constata que, sous l’effet du vent, l’herbe y faisait un mouvement de vague ; une installation qui prend la forme de la constellation du Grand Chariot dans le bosquet de l’Etoile, parce qu’au cours d’une autre visite, il eut le sentiment d’y voir des ombres venues d’étoiles ; ou encore une fosse rectangulaire creusée dans le bosquet des Bains d’Apollon et qui est un hommage à Le Nôtre. C’est très beau, très zen, très minimal, très poétique mais ça finirait presque par passer inaperçu, tant les sculptures se fondent dans le décor environnant et finissent par faire corps avec lui. Pour un peu, on en regretterait presque les œuvres plus flamboyantes, qui s’intégraient sans doute avec moins de subtilité, mais qui, par contraste, révélaient davantage la nature du lieu.

DSC_3149Passer de l’exposition de Lee Ufan à Versailles à celle qui célèbre actuellement le 10e anniversaire de la Maison rouge, Le Mur, c’est passer du minimal au maximal. Car c’est la collection du maître des lieux, Antoine de Galbert, qui est montrée, une collection qui ne comporte pas moins de 1200 œuvres et qui n’est qu’une partie de la collection globale, puisqu’en sont exclues les vidéos, les installations , les sculptures, l’art primitif ou l’art plus ancien (seules les œuvres accrochées au mur sont présentées, d’où le titre de l’exposition). Et pour l’accrochage, justement, Antoine de Galbert a eu recours à un logiciel qui a placé les œuvres de manière aléatoire, en ne prenant en compte que leurs dimensions et leurs numéros d’inventaire. Il en résulte un long ruban d’environ trois mètres de haut et de 278 mètres de long qui s’étale sur toutes les cimaises de la fondation et qui fait se côtoyer les artistes les plus divers, sans distinctions de genre, d’école, de nationalité, de format, ni même de qualité. Ainsi un Basquiat ou un Fontana peuvent-ils se retrouver à côté d’œuvres d’illustres inconnus ; un petit dessin de Marcel Dzama ou d’un autre peuvent-ils être voisin d’un immense diptyque de Gilbert et George ; une œuvre majeure peut-elle être en regard d’une autre, qui l’est beaucoup moins.

Cette méthode pourra sembler saugrenue, voire effrayante, car on se retrouve devant un bloc d’œuvres dont on ne connaît ni le titre ni l’auteur (il n’y a pas de cartels et pour identifier les pièces, il faut soit télécharger une application sur son téléphone, soit consulter des bornes qui ont été placées en différents points de l’exposition). Et il faut avouer que le non-averti risque d’avoir un peu de mal à y trouver son chemin. Mais elle a le mérite, en refusant toute hiérarchie et toute sélection, de reproduire avec fidélité et honnêteté ce que constitue le fait même de collectionner, avec tout ce que cela comporte de choix subjectifs, de souvenirs liés à des voyages, des déplacements et des histoires personnelles  ou, au contraire, d’achats soigneusement calculés. Et surtout, elle traduit un amour de l’art, une foi et un engagement en lui (Antoine de Galbert achète ce qu’il aime, mais ne renie pas et ne cache pas non plus ce que peut-être il aime moins aujourd’hui) qui enthousiasme et force l’admiration. A l’heure où, à la Foire de Bâle, l’art est avant tout une valeur marchande qui se négocie avec beaucoup de zéros à la fin, il est bon et surtout rassurant de constater qu’il existe encore des amateurs qui l’aiment pour ce qu’il est et pour l’émotion qu’il suscite en nous, pas pour la spéculation ou pour la position sociale qu’il assure.

-Lee Ufan Versailles, jusqu’au 2 novembre dans le parc du Château (entrée par la Cour d’Honneur, www.chateauversailles.fr)

Le Mur, œuvres de la collection Antoine de Galbert (avec une intervention de Claude Rutault), jusqu’au 21 septembre à la Maison Rouge, 10 bd de la Bastille 75012 Paris (www.lamaisonrouge.org)

Images : Versailles Lee Ufan, Relatum, Dialogue X © Tadzio Courtesy the artiste, Kamel Mennour, Paris et Pace, New York ; Versailles Lee Ufan, Relatum, La Tombe, hommage à André le Nôtre © Tadzio Courtesy the artiste, Kamel Mennour, Paris et Pace, New York ; vue de l’exposition Le Mur à la Maison rouge, photo : Marc Domage

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