de Patrick Scemama

en savoir plus

La République de l'Art
Monet et la rentrée

Monet et la rentrée

Il est toujours passionnant de voir ce que les artistes collectionnent. Cela en dit parfois plus long sur leur travail que l’accrochage de leurs propres œuvres. C’est ainsi que la collection personnelle de Picasso, exposée au dernier étage de son musée parisien, permet de voir l’admiration que le peintre espagnol a porté à Matisse et le dialogue qu’il a toujours entretenu avec les maîtres anciens. La description que Jeff Koons a livrée avant l’été, lors du Festival de l’histoire de l’art de Fontainebleau, de sa propre et considérable collection (où les maîtres anciens règnent aussi en maître) a souligné à quel point la sexualité et l’érotisme étaient au cœur même de ses obsessions. Et lorsqu’Ugo Rondinone, au Palais de Tokyo, il y a quelques années, réunit dans l’exposition The Third Mind des oeuvres qui, certes, ne lui appartiennent pas, mais font partie de son panthéon personnel, il livre autant sa psyché que lorsqu’il s’exprime en son nom propre.

La collection de Monet, qui est présentée cet automne au Musée Marmottan et qui a été très difficile à réunir, parce qu’elle a été dispersée en de nombreux lieux et que son inventaire a été détruit, cette collection, donc, est aussi très révélatrice de l’univers du père de l’Impressionnisme. Elle débute par des cadeaux, lorsque l’artiste n’a pas encore d’argent, faits par d’autres artistes à qui sa femme et lui ont servi de modèles (Manet, Renoir, Charles Lhullier). Puis elle se poursuit avec des échanges, pratique encore très répandue chez les artistes, même chez ceux qui n’ont pas l’âme de collectionneur. Monet échange des œuvres avec Caillebotte, Berthe Morisot, Rodin avec qui il vient d’exposer (un bronze et deux plâtres contre un grand tableau, Belle-Ile-en-mer, 1886), etc.

A partir de 1890, Monet dispose de plus de moyens et il commence à acheter, en ventes ou chez les marchands, jamais directement auprès des artistes, les précurseurs de l’Impressionnisme que sont Delacroix, Courbet, Boudin ou Jondkind. Il achète aussi des œuvres emblématiques de peintres qui lui sont proches, comme Renoir, ou d’autres, qui le sont moins, mais pour lesquels il a beaucoup d’admiration, comme Cézanne. Lorsqu’en 1892, il épouse Alice, la femme du collectionneur Hoschedé qui vient de mourir, ce sont des portraits de famille qu’il acquiert, plus pour des raisons sentimentales que pour la valeur intrinsèque des œuvres. Enfin, il se passionne pour les estampes japonaises qu’il dispose dans les pièces les plus en vue de sa maison de Giverny et les dernières œuvres qui entrent dans la collection sont celle de Paul Signac, qui vient souvent lui demander des conseils. La plus grande partie de cette collection sera vendue par son fils, Michel, devenu en 1926 son légataire universel, pour financer les safaris africains dont il était friand.

Der Maler Monet in seinem AtelierQue nous dit-elle alors sur le tempérament et l’œuvre de Monet elle-même ? D’abord le soin méticuleux apporté à chaque acquisition et les discussions parfois acharnées pour y parvenir (à Pissarro venu lui demander solliciter un prêt pour acheter la maison dans laquelle il vivait, Monet répondit de manière favorable, mais en échange d’une œuvre qu’il convoitait depuis longtemps et que le peintre venait pourtant d’offrir à sa femme : Paysannes plantant des rames, 1891). Ensuite, la cohérence, parce que toute la collection tourne, au fond, autour de ceux qui ont fondé l’Impressionnisme ou qui l’ont précédé. Encore la sureté du goût, parce que Monet achète des œuvres importantes qui lui seront régulièrement demandées en prêts par les institutions, comme ses Renoir. Enfin, en creux ou en négatif, tout ce que le peintre est véritablement, parce que la collection montre ce qu’il ne veut ou ne sait pas faire, mais qui l’intéresse grandement : les portraits, alors que lui-même est surtout un peintre de paysage, la scène figée et analysée chez Cézanne, alors que lui-même est un peintre de l’instantané, la vie parisienne (il possède des dessins de Constantin Guys et une aquarelle de Chéret représentant Yvette Guilbert), alors que lui préfère la campagne… Outre, bien évidemment, l’exceptionnelle qualité des œuvres présentées, cette exposition lève donc un voile significatif sur cet artiste que l’on croit connaître par cœur.

Hidaka_073full bQu’aurait acheté Monet s’il avait vécu aujourd’hui et qu’il avait fait un tour dans les galeries du Marais qui viennent de rouvrir ? Sans doute pas Chen Fei, ce jeune artiste chinois qui, pour se distinguer, se sent obligé de se confronter à l’histoire de l’art occidental, mais en version provoc, chez Perrotin. Pas non plus Xavier Veilhan, qui, chez ce même Perrotin, présente une série d’œuvre de facture impeccable, mais dépourvues d’âme. Et peut-être pas non plus Chloe Wise, cette artiste canadienne, qui chez Almine Rech, nous refait le coup de la critique de la société de consommation à travers de grandes installations, sculptures et peintures, liées à la fabrication des produits laitiers.

Peut-être alors Michael Assiff, qui, à la galerie Valentin, montre des œuvres que l’on peut d’abord associer à des objets trouvés, mais qui lorsqu’on les regarde de près renvoient à des questions environnementales, politiques ou technologiques. Ou plus sûrement Christian Hidaka, cet artiste né au Japon, mais vivant en Angleterre, qui présente, chez Michel Rein, toute une série de peintures liées à la scène de théâtre. Hidaka, dont on déjà pu voir le travail plusieurs dans cette galerie, est un garçon cultivé, nourri d’influences et de références qu’il revendique d’ailleurs. Pour cette exposition, intitulée Players, il s’est inspiré d’un philosophe du XVIIe siècle, Robert Fludd, qui, pour se souvenir de choses importantes, recommande qu’on les associe à des lieux qui frappent la mémoire, comme les scènes de théâtre. Hidaka l’a donc pris au mot et peint toute une série de toiles qui représentent des scènes de théâtres vides ou sur lesquelles apparaissent des personnages (arlequins, équilibristes, hommes en djellaba, etc.), qui sont comme les éléments d’une syntaxe que l’on retrouve d’un tableau à l’autre (ce sont eux les « players »), et auxquels il ajoute toute une série de références, en particulier à la Renaissance italienne. C’est beau, intelligent, peint avec beaucoup de soin  et il y a quelque chose dans l’aménagement des plans et l’organisation de l’espace qui peut penser à l’esthétique des jeux vidéo. On n’évite pas toujours un certain maniérisme, mais il semble que l’artiste s’en accommode, qu’il en fasse même la matière de son travail.

Et en plus, il aime les échanges et les collaborations : dans une première pièce, à l’entrée de l’exposition, est présentée une sculpture (un polyèdre en verre, en partie rempli d’eau et posé sur un socle en chêne) de Raphaël Zarka, un autre artiste de la galerie dont il est proche et avec lequel il a déjà fait œuvre commune ( à Montreuil, l’an passé, aux Instants chavirés). Hidaka a reproduit cette œuvre dans un tableau, placé à côté, qui s’inspire aussi d’une planche du XVIIIe siècle consacré à la perspective linéaire. Ce tableau, très mystérieux et qui, pour le coup, ne fait référence à aucune scène de théâtre, résulte donc de la prolongation de cette collaboration entre les deux artistes. L’esprit de la collection de Monet n’est pas mort…

 

Monet collectionneur, jusqu’au 14 janvier au Musée Marmottan, 2 rue Louis-Boilly 75016 Paris (www.marmottan.fr)

Fine art de Chen Fei, jusqu’au 7 octobre, et Flying V de Xavier Veilhan, jusqu’au 23 septembre à la galerie Perrotin, 79 rue de Turenne 75003 Paris (www.perrotin.com)

Of false Beaches and butter Money de Chloe Wise, jusqu’au 7 octobre à la galerie Almine Rech, 64 rue de Turenne 75003 Paris (www.alminerech.com)

Pier 1 de Michael Assiff, jusqu’au 7 octobre à la galerie Valentin, 9 rue Saint-Gilles 75003 Paris (www.galeriechezvalentin.com)

Players de Christian Hidaka, jusqu’au 11 octobre à la galerie Michel Rein, 42 rue de Turenne 75003 Paris (www.michelrein.com)

 

 

Images : Paul Cézanne, Le Nègre Scipion, Vers 1867, Huile sur toile, 107 x 83 cm, São Paulo, Museu de Arte de São Paulo Assis Chateaubriand. Don Henryk Spitzman-Jordan, Drault Ernanny de Mello e Silva, Pedro Luiz Correia e Castro e Rui de Almeida, 1950  © João Musa ; Édouard Manet, Monet peignant dans son atelier, 1874 , Huile sur toile, 106,5 x 135 cm , Stuttgart, Staatsgalerie © BPK, Berlin, Dist. RMN-Grand Palais / image Staatsgalerie Stuttgart ; vue de l’exposition Players de Christian Hidaka à la galerie Michel Rein.

Cette entrée a été publiée dans Expositions.

0

commentaire

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

*

*