de Patrick Scemama

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La République de l'Art
Nice fête l’art contemporain italien

Nice fête l’art contemporain italien

En France, de la scène artistique italienne des années 60 à 80, on connait surtout « l’arte povera », ce mouvement théorisé par Germano Celant et qui, à l’instar du minimalisme aux Etats-Unis, réagissait aux excès de la société de consommation en prônant les gestes les plus simples, avec les matériaux les plus pauvres. Les interventions dans la nature de Giuseppe Penone les igloos de Mario Merz, les alchimies de Pier Paolo Calzolari ou encore le travail sur le plomb de Jannis Kounellis ont été souvent vus et font partie des collections des grands musées internationaux. A cela, il faut rajouter des artistes comme Alighiero Boetti et ses cartes du monde tissés par les artisans afghans, Michelangelo Pistoletto et ses tableaux-miroirs, Ettore Spalletti et ses considérations métaphysiques sur le paysage ou encore Carol Rama, dont on a redécouvert récemment le travail mystérieux et provocant, pour se faire idée de la production récente d’un pays qui a un des passés les plus riches en histoire de l’art. Mais c’est relativement peu et, depuis l’exposition organisée par le même Germano Celant en 1981, au Centre Pompidou, aucune manifestation n’avait permis d’avoir une vision plus globale de cette scène artistique.
C’est désormais chose faite avec l’exposition qui s’est ouverte il y a peu au Mamac de Nice, sous le titre -emprunté à Dante- de Vita Nuova, Nouveaux enjeux de l’art en Italie 1960-1975. Placée sous le commissariat de Valérie Da Costa, une grande spécialiste de l’art italien des XXe et XXIe siècles, et programmée à quelques encablures de la frontière, elle ambitionne de montrer comment les artistes de cette époque se sont positionner dans une société où l’industrialisation allait grandissante, où le fantôme du fascisme était encore présent et où les Brigades rouges allaient faire régner des « années de plomb ». On y trouve alors les artistes précédemment cités et qui ont joué un rôle majeur dans ces décennies, mais on y découvre surtout un nombre important d’artistes que l’on ne connaissait pas, en particulier de nombreuses femmes, dont le travail n’a pas à rougir face à celui de leurs collègues des autres pays occidentaux. En tout, ce sont 56 artistes qui ont présents, à travers un choix de 130 œuvres et documents d’archives issus de collections publiques et privées italiennes et françaises.

L’exposition, que ne suit pas un ordre chronologique, est divisée en trois grands thèmes qui se recoupent et se complètent. Le premier est relatif à la société de l’image, car en Italie, comme dans les autres pays capitalistes de l’Après-guerre, les médias se multiplient, la publicité abonde et les images circulent de plus en plus. Avec une spécificité italienne qui est celle du cinéma, car à l’époque, le cinéma italien connait son âge d’or, Cinecittà est surnommée « Hollywood on the Tiber » et les stars sont de plus en plus présentes dans l’imaginaire collectif. C’est donc sur cet aspect que s’ouvre l’exposition, avec des extraits de films de Fellini ou d’Antonioni, mais aussi avec des reportages photos sur le genre et l’identité sexuelle (comme le travail très novateur pour l’époque de Lisetta Carmi sur les travestis) ou celui de Lucia Marcucci sur les détournements des messages publicitaires (Lucia Marcucci a d’ailleurs droit à une exposition personnelle à la galerie contemporaine du musée).

Elle se poursuit avec un thème relatif à la nature, intitulé « Reconstruire la nature », emprunté à Pino Pascali, qui en a affirmé la libre interprétation dans ses œuvres. C’est là qu’interviennent les artistes de « l’arte povera », qui cherchent une forme de décroissance et à faire entrer l’art dans la vie. On y voit aussi l’œuvre de Piero Gilardi, qui a exposé encore récemment chez Michel Rein, et qui se nourrit de mêmes préoccupations écologiques, mais dans une esthétique kitsch, infiniment moins « pauvre » que celle de ses collègues.

Enfin, elle s’achève avec une section intitulée « Mémoires des corps », qui montre à quel point au début des années 70, en Italie, de nombreux artistes utilisaient leur corps comme un élément de référence, de mensuration, de travestissement. C’est dans cette partie que l’on voit aussi l’importance de la performance, du rôle du corps comme objet politique. A ce titre, une des pièces les fortes de l’exposition (et qui la clôt) est sans aucun doute la pièce de Fabio Mauri qui documente une performance qui a eu lieu en 1975, quelques mois avant la mort de Pier Paolo Pasolini, et qui est une métaphore sur le rôle de l’intellectuel. Dans cette performance, Pasolini, vêtu d’une chemise blanche, était assis sur une chaise et des extraits de son film, L’Evangile selon Saint Matthieu, était projetés sur lui, comme pour le traverser. Il devenait ainsi lui-même le Christ, celui qui allait subir la vindicte et accepter d’être sacrifié. Pasolini, figure tutélaire du milieu artistique de l’époque, et qui le domine totalement…

Si l’exposition permet donc de belles découvertes et une vision plus approfondie de l’art italien de ces années fertiles, on peut aussi regretter que sa division en seulement trois thèmes très affirmés ne la réduise, ne l’oblige à établir des cases dans lesquelles les artistes doivent entrer. C’est le sentiment que l’on éprouve encore beaucoup plus fortement en voyant l’exposition qui se tient à la Villa Arson et qui est le pendant de celle du Mamac, puisqu’elle propose elle aussi une vision de la scène artistique italienne, mais de la génération ayant émergé dans les années 1990 à la génération actuelle. Pourtant, il n’y a pas de thèmes cette fois, mais le choix du commissaire, Marco Scotini, est tellement partial qu’on a l’impression que seuls les artistes entrant dans un même moule et une même esthétique y sont sélectionnés. Là encore, quelques noms connus ; Marie Cool Fabio Balducci, Rossela Biscotti, Claire Fontaine, Luca Vitone… Mais les autres (une vingtaine au total) ne le sont pas. Tous s’affirment dans la revendication, la contestation (en particulier contre la réforme du système psychiatrique votée en Italie en 1978), le discours politique et écologique militant. Aucun plaisir là-dedans, aucune sensualité, aucune attention à soi (à part la pièce de Danilo Correale, qui invite à une séance d’hypnose « en guise de préparation d’une société post-travail »). C’est raide, c’est sec, c’est cérébral et destiné au public averti des centres d’art. Le paradoxe, c’est que l’exposition s’intitule Le Futur derrière nous, comme si la situation était désespérée, qu’il n’y avait plus rien à défendre aujourd’hui et qu’on regardait en arrière, vers les générations d’artistes exposés justement à l’autre bout de la ville. A la Biennale de Venise, où nous étions récemment (cf Rondinone et Dumas en marge de la Biennale de Venise – La République de l’Art (larepubliquedelart.com)), il nous avait semblé qu’il y avait de jeunes artistes italiens, comme Ambra Castagnetti, qui savaient tenir un langage actuel sans renoncer pour autant à la qualité plastique et à la séduction de la forme.

Vita Nuova, Nouveaux enjeux de l’art en Italie 1960-1975, jusqu’au 1er octobre au Mamac de Nice (www.mamac-nice.org)

Le Futur derrière nous, jusqu’au 28 août à la Villa Arson (www.villa-arson.fr)

Images Fabio Mauri, Intellettuale. Il Vangelo secondo Matteo di / su Pier Paolo Pasolini, 1975, projection 16 mm avec son du film Il Vangelo secondo Matteo de Pier Paolo Pasolini sur une chaise avec chemise et veste et 15 photographies noir et blanc 70 × 59 cm chacune. ©Photo : Sandro Mele – Museo MADRE, Napoli 2016 – © Collection Eredi Fabio Mauri, Rome – Courtesy The Estate of Fabio Mauri and Hauser & Wirth; Lucia Marcucci, Miss Viaggio, 1964, technique mixte, 35 × 26 × 2 cm. Collection privée, Florence. © Photo : Riccardo Porcinai (Florence, Italie) – Adagp, Paris 2022 ; Piero Gilardi, Vestito natura[1]Anguria, 1967, œuvre en mousse polyuréthane, 180 x 80 x 60 cm. Courtesy Fondazione Centro Studi Piero Gilardi © Photo : Peter Cox ; Stefano Serretta, Uliano Lucas, Luca Vitone, Claire Fontaine. View of the exhibition Le Futur derrière nous, June 12 to August 28 2022, Villa Arson, Nice. Credit Jean Christophe Lett

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