de Patrick Scemama

en savoir plus

La République de l'Art
Non article pour un livre à ne pas lire

Non article pour un livre à ne pas lire

D’habitude, je ne consacre pas l’intégralité d’un post à quelque chose que je n’aime pas. Il y a trop de choses que j’aime et mon rythme de publication n’est assez soutenu pour que je consacre toute mon énergie et mon temps à émettre un jugement uniquement négatif. Mais je ne peux m’empêcher de réagir au livre de Benjamin Olivennes, L’Autre Art contemporain, vrais artistes et fausses valeurs, qui vient d’être publié aux Editions Grasset (je tiens à préciser que j’ai acheté ce livre et que je ne l’ai pas reçu en service de presse).

Même si je suis le plus souvent en désaccord avec eux, j’écoute attentivement les arguments des adversaires les plus farouches de l’art contemporain (à condition toutefois qu’ils fassent preuve de talent et de culture). C’est ainsi que je lis régulièrement les chroniques d’Olivier Cena dans Télérama, qui dézingue trois fois sur quatre les expositions que je défends, mais qui le fait avec érudition et brio. Ou les écrits de Jean Clair, dont personne ne peut nier la qualité littéraire. Et c’est la raison pour laquelle j’ai eu envie de lire ce livre écrit par un jeune philosophe de moins de trente ans, qui se réclame de Jean Clair, vit aux Etats-Unis et enseigne à la prestigieuse université de Columbia.

Mal m’en a pris, car ce court pamphlet est un des plus médiocres, des plus bêtes et des plus prétentieux que j’ai pu lire depuis bien longtemps (parmi ce que l’auteur appelle les « vraies » et les « fausses » valeurs, il se propose, par exemple, « de faire le tri dès aujourd’hui pour faciliter le travail à l’Histoire »). En bref, le postulat est le suivant : tout l’art contemporain reconnu (les Koons, Hirst, Cattelan, etc., auxquels il faut rajouter ceux que les français ont essayé d’inventer pour leur ressembler, entre autres Buren et Morellet), tout cela, donc, est de la merde et les vrais artistes, qui ne jouissent des faveurs ni du marché ni des institutions, mais qui seront bientôt reconnus à leur juste valeur (« On va voir ce qu’on va voir ! », précise l’auteur), sont tous peintres et s’appellent Sam Szafran, Truphémus, Raymond Mason, Zoran Music ou Sécheret. Et le meilleur exemple de galeriste qui les accompagne -et qui est donc digne de ce nom- n’est autre que Claude Bernard.

Ce qui m’insupporte dans ce très mauvais livre, ce n’est pas que l’auteur y fasse l’apologie de Truphémus, de Mason ou de Sécheret (c’est son goût, il a le droit de le défendre, même si ce n’est pas le mien). Ce n’est pas non plus qu’il s’y montre joyeusement et ouvertement réactionnaire, associant le déclin de l’art français à la création, en 1959, du Ministère de la Culture, nous servant le sempiternel refrain sur l’inutilité des Fracs et sur les dérives de la politique de Jack Lang ou allant même jusqu’à cracher sur l’euro et sur la musique atonale. Non, ce qui m’insupporte, c’est qu’il le fasse avec tellement d’imprécisions, d’erreurs, de désinvolture, d’approximations. Il confond tout : les biennales et les foires d’art contemporain, les notions de figuratif et de réalisme, relance le débat sur l’abstraction comme si celui-ci était encore opérationnel aujourd’hui et comme si la peinture figurative n’avait pas retrouvé sa place depuis bien longtemps, accumule les clichés et ne comprend de toute évidence pas grand-chose au sens de certaines œuvres. C’est comme si, ayant fait le tour de quelques galeries et de quelques foires, il s’était décidé à écrire un livre sur le sujet. Et c’est comme si moi, avec les quelques connaissances dont je dispose, j’avais envisagé d’écrire un livre sur la philosophie (à sa décharge, je dois reconnaitre qu’il ne se prétend pas spécialiste d’art contemporain, mais il estime sa réflexion suffisamment élaborée pour la coucher sur du papier).

Et ce qui m’insupporte aussi, c’est qu’il soit édité chez un grand éditeur parisien, alors que des livres passionnants sur l’art, écrits par des gens qui ont un vrai point de vue, ont tant de mal à se faire publier. Et qu’il bénéficie d’une telle couverture médiatique (même un journaliste comme Ali Badou, pourtant d’habitude éclairé, lui a consacré un débat sur France Inter). Mais il faut rappeler que Benjamin Olivennes est le fils de Denis Olivennes, ancien PDG de la Fnac, du Nouvel Obs et cogérant aujourd’hui de Libé (et accessoirement conjoint d’Ines de la Fressange) et que cela n’est sans doute pas pour rien dans le traitement dont il dispose.
Voilà, je voulais juste vous donner un conseil : si vous vous trouvez dans une librairie et que vous prenez ce livre entre vos mains, reposez-le aussitôt ; cela vous évitera une perte de temps et d’argent et de participer à ce qu’il faut bien appeler une mauvaise action.

-Benjamin Olivennes, L’Autre Art contemporain, vrais artistes et fausses valeurs, éditions Grasset, 168 pages, 16€.

Image : Piero Manzoni, Merde d’artiste

Cette entrée a été publiée dans Livres.

27

commentaires

27 Réponses pour Non article pour un livre à ne pas lire

Gascon dit :

Effectivement, ça donne pas envie de lire!

Pablo75 dit :

Deux choses:

– Tout votre article est invalidé par une phrase, ou plutôt par un seul mot: « il s’y montre joyeusement et ouvertement RÉACTIONNAIRE, associant le déclin de l’art français à la création, en 1959, du Ministère de la Culture ». Si vous en êtes encore là, c’est grave et cela montre que vous n’avez rien compris à ce qu’est l’Art.

2.- La merde de Manzoni est de l’art pour vous?

Patrick Scemama dit :

Je ne vois pas en quoi le mot « réactionnaire » invalide mon article, mais sans doute n’ai-je rien compris à l’art et je serais ravi que vous me l’appreniez.
La « merde d’artiste » de Manzoni est une provocation, un geste artistique qui est destiné à faire réagir, mais dont on ne peut nier l’importance historique.

MC dit :

Je n’ai pas encore pris connaissance de ce livre, mais il me semble retrouver ici sans préjuger de son contenant des arguments déjà utilisés avec brio par Marc Fumaroli. Je regrette que vous n’ ayez pas cité dans le même camp Aude de Kerros. Une question : est -ce qu’une provocation sans cesse répétée ne devient pas la marque d’un nouvel académisme? Ce pourquoi je dissoudrais volontiers le Prix Marcel Duchamp, en soi parfait non-sens.

Patrick Scemama dit :

Si, vous avez raison, une provocation sans cesse répétée devient un académisme. Mais à l’époque où Manzoni met sa merde en boîte, la provocation reste « provocante ». Pour le reste, ce que je reproche à ce livre, ce n’est pas d’attaquer une forme d’art contemporain et de défendre au contraire des peintres figuratifs bien traditionnels (c’est son droit), c’est plutôt de le faire avec tant d’imprécision, d’amateurisme, de désinvolture.

Pablo75 dit :

« Je ne vois pas en quoi le mot « réactionnaire » invalide mon article. »

Tout simplement parce que vous mélangez l’art à la politique, alors qu’ils n’ont rien à voir. L’art est bon au mauvais, pas progressiste ou réactionnaire. La qualité d’une oeuvre réside uniquement en elle même, elle ne dépend pas de son contexte politique.

« La « merde d’artiste » de Manzoni est une provocation, un geste artistique qui est destiné à faire réagir, mais dont on ne peut nier l’importance historique. »

Mais alors, les provocations et les gestes artistiques sont de l’art? Si j’ai bien compris, pour vous tout peut être de l’Art. Ce qui fait que n’importe quel objet (y compris de la merde) ou geste (y compris celui de « capturer » du vent et le vendre, comme Yves Klein l’a fait) devient de l’art c’est son contexte, quelque chose d’extérieur à lui. L’Art n’a, donc, pas besoin d’oeuvre, il lui suffit d’un contexte. C’est ça?

J’ai beaucoup discuté d’art dans ma vie mais je ne suis jamais arrivé à comprendre ce qu’est l’Art pour un Non-réactionnaire de l’Esthétique.

Pablo75 dit :

Vous écrivez: « une provocation sans cesse répétée devient un académisme. Mais à l’époque où Manzoni met sa merde en boîte, la provocation reste « provocante ». »

Pouvez-vous m’expliquer par quel miracle ésotérique une provocation (puérile qui plus est) peut devenir tout d’un coup de l’Art? Si vous CROYEZ que l’urinoir de Duchamp est de l’Art, il faut m’expliquer par quelle opération magique l’est devenu, quels pouvoirs surnaturels avait l’ami Marcel pour transformer un objet en Art.

Moi je n’arrive pas à CROIRE aux miracles esthétiques réalisés par des types sans aucun talent artistique. Curieusement ce sont les progressistes non-croyants qui CROIENT à la transsubstantiation des objets anodins en Art – et curieusement aussi on n’a jamais vu un vrai artiste, un grand dessinateur comme Picasso, par exemple, gâcher son talent en faisant des tableaux blancs ou en enfermant sa merde dans des boîtes. C’est bizarre, vous ne trouvez pas?

Patrick Scemama dit :

Être réactionnaire n’est pas forcément lié à la politique. Un artiste peut très bien être réactionnaire (au sens où il s’oppose à une certaine forme de progrès et de modernité), tout en ayant des idées très progressistes en matière de société. C’est vous qui faites des raccourcis qui n’ont pas lieu d’être. Par ailleurs, libre à vous de penser que Duchamp n’avait aucun talent ou que l’art conceptuel n’est qu’une escroquerie. Mais chacun est libre de se faire sa propre idée sur le sujet. De quel droit, au nom de quelle vérité artistique et avec quels arguments irréfutables condamnez-vous tout un pan de l’histoire de l’art (et des artistes aussi importants que Klein par la même occasion) au seul prétexte qu’ils ne sont pas à votre goût? Picasso? Mais oubliez-vous qu’a l’époque du cubisme analytique, Picasso a été un révolutionnaire et que son œuvre a été perçue comme une véritable provocation?

Pablo75 dit :

Je vois que vous préférez botter en touche en jouant avec les mots que de répondre aux objections de fond que je vous fais. Vous dites: « être réactionnaire n’est pas forcément lié à la politique », alors que c’est un concept tout ce qu’il y a de plus politique que vous appliquez abusivement à l’Art. Mais de toute façon ce n’est pas là le problème.

L’important est que pour vous, comme pour toutes les personnes qui croient aux idées qu’on leur a enseignées et qu’ils entendent partout tout le temps sans se poser jamais la question de leur validité, les mots « progrès » et « modernité » sont des concepts religieux: vous CROYEZ en eux comme d’autres croient en Dieu. Or, c’est quoi le Progrès et la Modernité? L’ensemble des idées politiques qu’ont fait des centaines de millions de morts pendant deux siècles dans des milliers de guerres absurdes? L’ensemble des idées économiques qui ont multiplié les inégalités de façon exponentielle entre les êtres humains sur cette planète et qui sont en plus en train de la détruire? L’ensemble des idées philosophiques qui ont débouché sur un nihilisme délirant qui provoquera in fine l’auto-destruction de l’homme? C’est ça les idoles que vous révérez tant et que vous voulez imposer à l’Art?

Mais surtout, comment pouvez-vous CROIRE qu’en questions d’Art, il y a du « progrès » et de la « modernité »? En Art, il y a la qualité, la beauté, la puissance, la perfection d’un côté et il y a la médiocrité, la laideur, l’arbitraire et la nullité de l’autre. Le Temps n’a rien à voir avec l’Art. Vous CROYEZ que l’Art doit obéir au Temps parce que vous ne savez pas ce qu’est l’Art. Allez au Louvre et vous verrez des oeuvres qui ont des centaines voire des milliers d’années et qui sont infiniment plus actuelles que celles qu’on peut voir dans tous les musées d’art contemporain du monde. C’est Francis Bacon qui disait que depuis l’art égyptien l’Art était en décadence. Pourquoi cette manie de penser que le Temps est la valeur suprême pour juger l’Art, supérieur même à l’oeuvre en soi, à son contenu? C’est parce qu’il est « moderne » qu’un tableau totalement blanc de Ryman est de l’Art? C’est l’époque dans laquelle il a été « peint » qui garantit sa qualité en tant qu’oeuvre artistique?

Après, vous me parlez de liberté et de condamnation, des concepts qui n’ont rien à voir avec ce qu’on discute ici (d’ailleurs, soit dit en passant, ce n’est pas parce que chacun « est libre de se faire sa propre idée sur le sujet » que toutes les idées sur le sujet se valent). Et vous vous demandez: « De quel droit, au nom de quelle vérité artistique et avec quels arguments irréfutables condamnez-vous tout un pan de l’histoire de l’art (et des artistes aussi importants que Klein par la même occasion) au seul prétexte qu’ils ne sont pas à votre goût? » Or, c’est exactement la question que je vous ai posée, mais à l’envers: au nom de quelle vérité artistique, de quelle conception de l’Art et avec quels arguments irréfutables vous affirmez que la merde de Manzoni ou le vent de Klein sont de l’Art? Et là la seule réponse que vous donnez est : au nom du Progrès et la Modernité – qui sont en train de détruire le monde.

Mais moi ce que j’aimerais savoir avant tout est très simple: c’est quoi l’Art pour vous? Où vous situez la frontière entre l’Art et le non-Art?

Patrick Scemama dit :

J’ai envie de vous répondre par le mantra de Fluxus: « L’art, c’est ce qui rend la vie plus intéressante que l’art ». Mais pour ne pas tomber dans la facilité et ne pas vous donner le sentiment de botter en touches, comme vous me le reprochez, je dirai que l’art peut être partout, tout dépend du regard qu’à l’artiste et ce qu’il parvient à faire. Lorsque Picasso, encore lui, prend une selle et un guidon de vélo pour faire un taureau, c’est génial, c’est une magnifique œuvre d’art, faite à partir d’éléments qui ne sont en rien nobles. Et il en va de bien d’autres choses dans ce genre: un simple fil de laine tendu dans l’espace par Fred Sandbak peut créer une œuvre minimale admirable. Mais je crois que nous n’avons pas la même conception des choses et que cette discussion peut durer à l’infini. Pour finir, je vous dirai que je n’aime pas particulièrement Ryman. Mais, pour parler comme vous le faites, si vous pensez qu’un tableau de Ryman n’est qu’un tableau blanc, c’est juste parce que vous ne l’avez pas regardé.

Patrick Scemama dit :

Juste un mot encore: vous prétendez que le temps serait pour moi une valeur suprême. Je ne vois pas où vous êtes allé chercher cela, car je ne l’ai jamais écrit nulle part.

Pablo75 dit :

Je vous demande ce qu’est l’Art pour vous et où situez-vous la frontière entre l’Art et le non-Art et vous me répondez en bottant en touche doublement:

– avec une phrase (« L’art, c’est ce qui rend la vie plus intéressante que l’art »), qui ne fait que déplacer le problème (entre la multitude de choses qui rendent la vie plus intéressante que l’art – l’amour, l’amitié, les voyages, le sport, etc, etc, etc -, c’est quoi la différence entre l’art et les autres?).

– et avec une affirmation qui n’a rien à voir avec ma question: « l’art peut être partout » (je ne vous ai pas demandé où pouvait être l’art).

Vous dites en outre que « tout dépend du regard qu’à l’artiste et ce qu’il parvient à faire », mais c’est quoi la différence entre un artiste et un non-artiste? Qui a décrété, par exemple, que Ryman était un artiste? (Entre parenthèses j’en ai vu de ses tableaux plus ou moins blancs et je peux vous assurer qu’il n’y a rien de plus sur eux que sur le mur blanc cassé devant lequel j’écris en ce moment). Qui décide que le regard de Manzoni sur sa merde et ce qu’il parvient à faire avec elle, c’est-à-dire, la mettre en boîte, est une oeuvre d’art? Je peux faire la même chose que Ryman et Manzoni, mais mes « productions » ne seront pas de l’art. Pourquoi? C’est quoi qui produit la transmutation d’une simple surface blanche (ou coquille d’oeuf) en oeuvre d’Art pour laquelle on paye 20,6 millions de dollars? Par quelle magie surnaturelle la merde de Manzoni mise à l’intérieur d’une boîte devient de l’Art et peut être vendue 202 980 €?

Vous écrivez aussi: « vous prétendez que le temps serait pour moi une valeur suprême. Je ne vois pas où vous êtes allé chercher cela, car je ne l’ai jamais écrit nulle part. » Vous avez écrit: « un artiste peut très bien être réactionnaire (au sens où il s’oppose à une certaine forme de progrès et de modernité) ». Pour vous, donc, la modernité d’une oeuvre est primordiale, il ne peut pas avoir de chef-d’oeuvre aujourd’hui qui ne soit pas « moderne », ce qui veut dire que le Temps est bien pour vous une valeur suprême à l’heure de juger l’Art.

MC dit :

La vérité m’ oblige a dire que ce n’ est pas un reglement de compte politique. Dans Éléments, qui n’ est en rien ma Bible, Alix Marmin consacre deux pages a éreinter ce livre, et ses arguments rejoignent les vôtres, peut être en plus sévères . il est des artistes que j’aime dans cette liste, mais le problème est que celle-ci n’ a rien d’original. plus contestable est à mon sens l’ éreintement de Secheret , qui a le droit de peindre New York, et la réduction de Desmazieres à son rôle très récent d’ Académicien par votre consœur.

Patrick Scemama dit :

A Pablo: Je vais terminer cette discussion là, car les conclusions totalement dévoyées que vous tirez de mes propos (je parle de votre dernier paragraphe) me laissent sans voix.

MC dit :

« Vous mélangez l’ Art et la Politique alors qu’ils » ont rien à voir. « Voilà qui est méconnaître le rôle des réseaux, des commanditaires,, et des clients. Sans la famille d’ Orgaz, pas d’enterrement du Comté et pas de Greco, et que dire de Picasso sollicite par les deux camps pendant la guerre froide? le PC certes, mais aussi Malraux mais aussi les collectionneurs américains..  » L’ Art est bon ou mauvais » C’est plus complique. Les pompiers qui ont créé le livre d’ image de l ´ Histoire de la III éme République avaient au moins du talent. idem la  » peinture rouge  » des années communistes, dont les peintres avaient été formés par les académiques russes contemporains du dernier tsar. Il peut il y avoir beaucoup de mauvais la dedans, mais pas seulement. Il est symptomatique que les meilleurs des deux courants soient réhabilités par de récentes expositions. Ils sont l’ équivalent du mot de Chabrier.  » il y a la bonne, la mauvaise musique,et celle d’ Ambroise Thomas! »

Pablo75 dit :

@ MC

On parle de « l’essence » de l’Art, pas des circonstances qui l’entourent.

@ Patrick Scemama

Voulez-vous dire que vous vous en fichez complétement de la modernité d’une oeuvre actuelle quand vous la jugez (comme je le fais, moi)?

Patrick Scemama dit :

@ Pablo: oui, quand je juge une œuvre, ma question n’est pas de savoir si elle est moderne ou pas, mais si elle est de qualité ou pas. Pour autant, une œuvre qui m’apparaîtrait comme un simple décalque d’une œuvre du passé me poserait problème.

Pablo75 dit :

Si je comprends bien c’est « oui, mais non ». Moi si un sculpteur arrive aujourd’hui à faire des Pietàs, des Moïse ou des David comme ceux de Michel-Ange, je dirais que son oeuvre est aussi géniale que celle du florentin. Ou si quelqu’un est capable de composer des Clavier bien tempéré ou des Passions selon St.Mathieu avec les mêmes structures formelles et aussi beaux que ceux de Bach.

Pour moi la Beauté est intemporelle, inactuelle. Et l’âge des contraintes formelles que seules sont capables de la produire (Bach a prouvé que plus il y a de Forme, plus le Fond peut être beau) n’a la moindre importance. Un sonnet, par exemple, dont la forme a 8 siècles et répond à des critères « physiques » (la musicalité), écrit aujourd’hui, peut être aussi beau, sinon bien plus beau, que n’importe quel poème en vers libres (c’est très souvent le cas, d’ailleurs – surtout en espagnol, langue dans laquelle la tradition poétique classique est bien plus forte qu’en France).

Et à propos de musique: Boulez est pour vous un grand compositeur? Vous considérez la musique atonale comme de la musique?

Patrick Scemama dit :

La musique atonale a produit des chefs-d’œuvre incontestés, comme Wozzeck ou Lulu de Berg, par exemple.

Pablo75 dit :

Berg, comme Scriabine (deux compositeurs que j’aime beaucoup) sont la limite au-delà de laquelle il n’y a plus de musique, mais du bruit organisé. Berg a su très bien jusqu’où ne pas aller trop loin et il a utilisé des structures traditionnelles comme la fugue ou la passacaille. Comme dit la Wikipédia à propos de « Wozzeck »: « Bien que la pièce reste atonale au sens où Berg ne suit pas les techniques traditionnelles majeur/mineur des périodes baroques, classiques et romantiques, l’œuvre est écrite avec des méthodes permettant à l’harmonie de s’écouler. »

Comme le prouve son extraordinaire « Concerto à la mémoire d’un ange » (que je réécoute en ce moment dans la version Perlman-Ozawa), Berg n’a jamais renoncé à la Beauté – contrairement à tous les Boulez qui sont arrivés après pour proclamer haut et fort à la face du monde qu’elle était une affaire de ploucs et ont essayé de le prouver en produisant des milliers d’oeuvres inécoutables, atrocement ennuyeuses, dont le public musical fuit comme de la peste depuis plusieurs générations déjà – et c’est Furtwangler qui disait qu’au XXe siècle quand une ouevre est rejetée par deux génération de mélomanes c’est qu’elle est mauvaise (à ce propos il faut lire l’indispensable « Requiem pour une avant-garde » du très courageux Benoît Duteurtre – qui a été traité de révisionniste et comparé à Faurisson par Le Monde pour avoir dit la simple vérité sur les méthodes utilisées par Boulez et ses acolytes pour cacher leur nullité).

Patrick Scemama dit :

Votre commentaire sur Berg prouve donc que modernité et classicisme ne sont donc pas forcément antagonistes.

Pablo75 dit :

Ça, il faut le dire aux fanatiques de la modernité, aux « admirateurs » de Boulez (qui méprisait profondément Schubert, Sibelius ou Chostakovitch, entre autres – 3 des compositeurs que j’écoute le plus) et aux adorateurs de Manzoni, Klein et autres Ryman pour qui tout ce qui est art figuratif est réactionnaire.

C’est l’un des admirateurs de Boulez et le grand théoricien de la « Nouvelle Musique », Adorno, qui a osé écrire que la musique de Sibelius était « vulgaire et réactionnaire » et que « si Sibelius est considéré comme un grand compositeur, alors nous devons ignorer tous les critères historiques utilisés pour estimer la musique de Bach à Schoenberg. »

Moi je ne crois pas à la chronologie et au progrès en Art. Pour moi Tomás Luis de Victoria, par exemple, parle beaucoup mieux de l’être humain et de notre monde, que Boulez, qui ne parle de rien – et s’en vante.

MC dit :

Il y a ce qu’ on fait dire à Adorno et ce qu’il dit réellement. Lisez son Beethoven. Ce n’ est pas un demeuré.

Pablo75 dit :

T’as pas de chance, Court: c’est l’Ircam de Boulez qui le rappelle.

« En marge de ces soutiens affichés, le philosophe et sociologue allemand Theodor W. Adorno déclare en 1938 dans la revue Zeitschrift für Sozialforschung : « Si Sibelius est considéré comme un grand compositeur, alors nous devons ignorer tous les critères historiques utilisés pour estimer la musique de Bach à Schoenberg 2. » À travers ce jugement péremptoire, Adorno cherchait à démontrer que Sibelius, en se servant des « moyens anciens », à savoir des harmonies tonales, est resté en décalage avec son époque et que, par conséquent, sa musique sonne faux. Cette théorie trouve son développement dans Philosophie de la musique nouvelle, publiée en 1949 — ouvrage dans lequel Adorno propose l’existence dans la musique d’une « tendance du matériau », qui n’obéit qu’à ses propres lois de mouvement (Bewegungsgesetze) et à laquelle le compositeur doit s’adapter, au risque de perdre sa chance historique : « Et si un contemporain travaille exclusivement avec des accords tonaux, tel Sibelius, ceux-ci sonnent aussi faux qu’elles sonnent comme enclaves dans le domaine de l’atonalité 3. » Adorno fait également référence, dans sa critique, à l’intérêt de Sibelius pour une forme de panthéisme qui relie l’homme avec la nature, sur le modèle de l’idéologie politique du « Blut und Boden », que les nazis avait mise en avant pour justifier notamment leur conquête d’un espace vital.

Cet article refait surface dans les années 1960, alors qu’Adorno est le chef de file de l’école de Francfort et parle de Sibelius comme d’un « exemple dangereux ». Dans son sillage, il entraîne des acteurs de la modernité musicale, parmi lesquels René Leibowitz qui n’hésite pas à parler de Sibelius comme du « pire compositeur du monde 4 » à l’occasion du quatre-vingt-dixième anniversaire du compositeur en 1955. Cette présence d’un compositeur incarnant la musique tonale est particulièrement dérangeante à une époque où l’école de Darmstadt dicte ses lois et qu’il est malvenu d’aller à l’encontre de cette définition de la modernité. Aucun commentateur ne songe alors à ce qu’a pu représenter pour le monde musical l’irruption d’une œuvre aussi moderne que la Symphonie n° 4 en 1911 ou Tapiola et la Symphonie n° 7 dans les années 1920. »

http://brahms.ircam.fr/jean-sibelius#parcours
_____

2.- Theodor W. ADORNO, « Glosse über Sibelius » (1938), Impromptus, Francfort, Suhrkamp, 1968, p. 92.
3.-Theodor W. ADORNO, Philosophie de la nouvelle musique (1949), Paris, Gallimard, 1962, p. 46.
4.-René LEIBOWITZ, Sibelius, le plus mauvais compositeur du monde, Liège, Dynamo, 1955.

Rappelons que Sibelius est l’un des compositeurs du XXe siècle les plus joués dans le monde et que la musique d’Adorno, de Leibowitz et celle de toute l’école de Darmstadt ensemble n’est jouée, quand elle l’est, que dans des petits cénacles subventionnés par l’État, comme l’Ircam.

D’ailleurs, c’est Sibelius qui a dit: « On n’a jamais vu la statue d’un critique nulle part. »

Pablo75 dit :

Les deux dernières minutes de la Symphonie nº 5 du « pire compositeur du monde » valent toute la musique dodécaphonique, sérielle, électronique, concrète, électroacoustique et spectrale qui a été écrite depuis un siècle.

Sibelius, Symphonie Nr 5 Es Dur op 82 Leonard Bernstein, Wiener Philharmoniker

https://www.youtube.com/watch?v=dACRUFfmMeo

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

*

*