de Patrick Scemama

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La République de l'Art
Soleil généreux sur le FRAC-Lorraine

Soleil généreux sur le FRAC-Lorraine

L’Etat du ciel, tel était le titre de la programmation de la saison passée au Palais de Tokyo, qui avait pour vocation, un rien démesurée, de témoigner « de l’attention portée par des poètes, des artistes, des philosophes aux circonstances physiques, morales et politiques de notre monde ». Titre qui aurait mieux convenu à l’exposition que propose actuellement le FRAC-Lorraine, dont la spécificité est de privilégier les œuvres immatérielles pour interroger plus profondément la notion de « collection », et qui s’intitule, elle, Rumeurs du Météore. Car il est question de ciel dans cette exposition, de la météo, de la pluie et du beau temps, des éléments (la neige, l’eau et le soleil) et des conséquences que les dérèglements climatiques peuvent avoir sur la terre. On pourrait donc penser qu’on va avoir droit à une démonstration écologique pour nous informer une nouvelle fois – si besoin était – des méfaits dramatiques du réchauffement de la planète et nous livrer une vision catastrophique de l’état de notre monde. Mais il n’en est rien. L’exposition pointe, certes, les risques encourus et les dégâts déjà irréversibles, mais elle incite aussi à réagir, à nous prendre en main, à nous tourner, comme le dit Béatrice Josse, directrice du FRAC et commissaire de la manifestation, « vers une écologie créatrice et non castratrice ».

Elle s’ouvre sur une pièce de Yona Friedman intitulée Prototype improvisé de type « nuage » qui consiste à inviter le spectateur à réaliser lui-même, à partir de matériaux pauvres mis à sa disposition, des nuages de toutes sortes et de toutes formes qui sont ensuite exposés dans une bibliothèque du FRAC. Avec ce geste, l’artiste, âgé de plus de 90 ans, propose de redevenir l’acteur de notre environnement. C’est bien sûr une utopie qui peut sembler dérisoire, mais qui ouvre le champ à l’imagination et qui inclue d’emblée le visiteur dans un processus participatif qui est le propos-même de l’exposition. Et puis c’est un acte de croyance en l’homme et en sa faculté de « réenchanter » le monde.
Mais de croyance en l’homme et en ses facultés de transformer, du moins de prendre soin, du monde, l’exposition, qui se divise en autant de sections mettant en scène les différents états du ciel (les nuages, le vent, la neige, etc) à travers 35 oeuvres, n’en manque pas. Je citerai à ce titre deux pièces, qui me semblent particulièrement représentatives de cette pratique réconfortante. La première est une photo de Maarten Vanden Eynde, un artiste flamand qui vit en partie en France et qui est très impliqué dans des actions écologiques. On le voit au bord d’un lac dont les rives ont été asséchées par l’évaporation de l’eau et qui est devenu une terre désertique. Le sol en est complètement craquelé et l’artiste, assis par terre, essaie de le restaurer en bouchant les craquelures avec de l’enduit. La deuxième est une vidéo de la jeune artiste brésilienne Maria Laet. On y voit la main d’une femme qui coud le sable au bord d’une plage, comme pour en panser les plaies. Dans les deux cas, comme pour la pièce de Yona Friedman, il s’agit d’utopies qui peuvent apparaître comme des tentatives désespérées, mais elles délivrent un message positif, une manière de se dire qu’il n’est pas trop tard et qu’on peut encore essayer de faire quelque chose.

1-Bonillas-Blue1-15x10-300Comme le font bien d’autres pièces de cette exposition belle, riche et généreuse. On pourrait citer l’œuvre de Dominique Ghesquière, par exemple, Ecume, qui essaie de fixer au sol l’écume, par nature éphémère, que produisent les vagues. Ou celle d’Alice Aycock, Clay, qui, avec de l’argile rouge, a réalisé un sol amené à se fissurer comme les terres désertiques. Ou celle de Julien Grossmann,  The Alpine Pride, qui consiste à inscrire le son dans l’espace et qui reproduit une sorte de crête montagneuse avec une bande magnétique qui passe dans des magnétophones pour faire entendre une savoureuse composition pour cor des Alpes.

Mais Rumeurs du Météore n’est pas non plus qu’un catalogue bisounours de bonnes intentions, si justifiées et poétiques soient-elles. On y voit aussi des pièces qui dénoncent plus directement les ravages opérés par les pollutions dont l’homme porte la seule responsabilité, comme celle, spectaculaire, du déjà nommé Maarten Vanden Eynde, Plastic Reef. Sensibilisé par la question de la non-dégradation du plastique, qui s’est aggloméré au cœur de l’Océan pacifique, au point de constituer ce que l’on a appelé un « septième continent », l’artiste a sillonné les mers pour récolter des débris en plastique et les fondre en leur donnant la forme de coraux (qui sont eux-mêmes menacés de disparition). Sa sculpture, séduisante lorsqu’on la voit de loin, devient dégoutante lorsqu’on s’en rapproche et qu’on se rend compte que ce sont des détritus qui la composent. Lui fait face une œuvre de Luis Camnitzer, Two Parralel Lines, qui a consisté à demander à un groupe de personnes de tracer une ligne au mur avec leurs rebuts (tube de dentifrice vide, film altéré, etc).

4-Laet-1-3-15x10-300dpiEnfin parler de la pluie et du beau temps, c’est aussi parler de tout et de rien, c’est-à-dire entamer des discussions anodines pour peut-être aboutir à des choses beaucoup plus essentielles. Et c’est aussi ce que propose cette exposition décidément tournée vers l’humain. Elle a demandé à Julie Luzoir de prendre contact avec les pensionnaires d’une maison  de retraite des environs (des personnes plutôt isolées) et de les inviter à venir discuter avec les visiteurs du FRAC au cours de performances qui pourront se poursuivre à volonté. On y parlera météo mais on permettra surtout un échange à des gens qui en sont trop souvent privés. Et Anne Delrez, la responsable de La Conserverie, le premier lieu destiné à la conservation des albums de famille (eh oui, ça existe !)  a été chargée de montrer une sélection « météorologique » parmi des photographies qui lui sont confiées. On y voit que, comme les gens préfèrent ne garder que les bons souvenirs, les images classées dans les albums sont plutôt celles où le soleil brille et où l’humeur est au beau fixe.

Alors, exposition militante ? Non, mais exposition qui ne se contente pas d’accrocher des œuvres sur les murs, qui interpelle le spectateur, l’incite à un parcours et à une réflexion sans toutefois lui asséner une vérité ou une pensée unique. Exposition douce et changeante, parfois violente, imprévisible, comme le temps.

 

Rumeurs du Météore, jusqu’au 11 janvier au FRAC-Lorraine, 1bis rue des Trinitaires 57000-Metz (www.fraclorraine.org)

 

Images : Maarten Vanden Eynde, Restauration du Lac de Montbel, 2003, Centre d’Art Contemporain, Ste-Colombe sur l’Hers, France, Photo: Marjolijn Dijkman © Lʼartiste ;

Iñaki Bonillas, Bañeras, 2005 (détail), Collection 49 Nord 6 Est – Frac Lorraine, Metz (FR) © I. Bonillas ; Maria Laet, Notas sobre o limite do mar, 2012, Collection 49 Nord 6 Est – Frac Lorraine, Metz (FR) © M. Laet

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