de Patrick Scemama

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La République de l'Art
Soutenir les galeries

Soutenir les galeries

On a donc désormais la date : le déconfinement interviendra le 11 mai. Mais à cette date, les bars, les restaurants et les musées resteront fermés. Ce qui veut dire que les galeries le seront aussi, jusqu’à nouvel ordre. On espérait que l’activité reprendrait avant les vacances et que les foires, comme Art Paris, Art Brussels ou Drawing Now, qui avaient été déplacées en juin pourraient se tenir, mais il n’en est rien et toutes ont dû définitivement annuler. Peut-être les galeries, qui n’accueillent pas beaucoup de monde à la fois, pourront-elles organiser une exposition avant l’été. Mais pour ce qui est des musées et des institutions, il faudra attendre la rentrée et encore vraisemblablement dans certaines conditions qui respectent la fameuse distanciation sociale (l’Allemagne envisagerait même la fermeture des stades et des grandes salles de concert pendant un an). Il est donc loin le chemin qui nous mènera à un retour normal des choses. Il est même à se demander si Art Basel, qui a été repoussé à septembre, pourra se tenir dans des conditions normales.

Au début du confinement, comme je l’évoquais dans mon précédent post (cf http://larepubliquedelart.com/la-peur-du-vide/), les galeries et les institutions ont cherché à garder le lien en proposant des visites virtuelles de leurs collections et de leurs expositions ou en proposant des liens pour des vidéos téléchargeables gratuitement. Quitte à le faire parfois de manière un peu frénétique. Et certaines ont d’emblée trouvé la parade en organisant des expositions sur une plateforme numérique, comme je le précisais aussi. Mais désormais, ce qui se profilait comme une parenthèse désagréable, parce qu’imposée, mais à laquelle on pouvait trouver néanmoins certaines vertus se présente comme un cataclysme économique qui met en danger la survie même des plus fragiles. Un communiqué du Comité des galeries paru la semaine dernière précisait même qu’un tiers des galeries françaises pourraient être victimes de cette crise. La plupart des galeries françaises, on le sait, sont de petites entreprises, qui emploient peu d’employés et qui ont une trésorerie très précaire. Le premier semestre de l’année est celui qui est le plus propice aux ventes et c’est aussi le moment où ont lieu toutes ces foires pour lesquelles elles avaient avancé de l’argent et qui ne leur sera remboursé que plus tard, quand bien même il leur sera intégralement remboursé (ce qui ne fut pas le cas, par exemple, pour Art Basel Hong-Kong et ce qui ne semble pas l’être non plus pour Art Paris). Leur situation est donc aujourd’hui particulièrement difficile. Elles ont déjà du mettre bon nombre de leurs employés au chômage partiel. Et il va sans dire que, derrière leurs difficultés propres, ce sont les artistes qu’elles représentent et qui sont leur raison d’exister qui en subissent les conséquences.

Face à ce désastre économique annoncé (on sait que même lorsqu’il y aura reprise, elle ne se fera que tardivement pour les galeries, les œuvres d’art ne faisant pas partie des produits de première nécessité), un certain nombre de mesures ont déjà été prises. Le gouvernement a débloqué une aide exceptionnelle de plus de 2 millions d’euros (ce qui semble peu par rapport à nos voisins d’outre-Rhin) ; certaines fondations, comme la Fondation Antoine de Galbert, ont décidé de convertir les fonds destinés à leur activité pour venir directement en aide aux artistes ; les amis du Musée national d’art moderne ont renoncé à l’achat d’une œuvre importante qu’ils destinaient au Musée pour acquérir un nombre plus important de pièces ne dépassant pas 30 000 euros ; certains Frac, comme le Frac Bordeaux Aquitaine ont mis sur pied un système de bourse permettant une aide à la production ; bref, tout un ensemble de mesures qui peuvent paraître insuffisantes, mais qui n’en sont pas moins louables dans le contexte actuel. Et certaines galeries ont décidé de prendre elles-mêmes des initiatives : ainsi la jeune Maëlle Galerie, qui présentait récemment le travail d’Abel Techer (cf http://larepubliquedelart.com/abel-techer-corps-et-peinture-fluides/) n’hésite-t-elle pas à proposer des œuvres à des prix allant jusqu’à 30% de réduction (au lieu des 10% habituels) ; ainsi la non moins jeunes galerie Loeve&Co, fondée par Hervé Loevenbruck et Stéphane Corréard et dont la vocation de réhabiliter des artistes un peu oubliés aujourd’hui, met-elle en vente, tous les jours et pour une durée de 24h, une œuvre qu’elle propose presque à la moitié de son prix habituel ; et d’autres initiatives du même type devraient suivre, nécessité oblige.

Mais il ne faudrait pas que les artistes et leurs galeristes se bradent pour survivre ; il ne faudrait pas que la situation en devienne à ce point difficile qu’elles les obligent à se dévaloriser et, de fait, à fragiliser le marché tout entier. C’est la raison pour laquelle il faut absolument soutenir les galeries et leur permettre de traverser cette passe difficile. Il est sûr que dans cette crise qui affecte l’économie du pays toute entière, le milieu de l’art n’est pas le seul touché, loin s’en faut. Et il est sûr aussi que pour beaucoup, qui auront à faire face à de graves difficultés financières, acheter de l’art ne sera pas une priorité. Mais si l’on veut que subsiste une forme d’expression qui ne repose ni sur l’esbroufe ni sur la spéculation financière, si l’on souhaite que les artistes sincères et engagés puissent continuer à donner leur point de vue (même si on n’est pas forcément d’accord avec eux), il faut aider ceux qui les montrent, les défendent et font partager leur travail. Surtout ceux qui en ont le plus besoin.

Image : Sans titre, 2020, 180 x 230 cm, une œuvre d’Abel Techer proposée en réduction par la Maëlle Galerie

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