de Patrick Scemama

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La République de l'Art
Thaddaeus Ropac fête les femmes

Thaddaeus Ropac fête les femmes

Le minimalisme, c’est bien connu, a souvent été associé à un monde masculin, voire machiste. L’esthétique épurée, qui exclut tout décoratif, le choix de matériaux industriels, l’absence d’affects semblaient davantage correspondre à un univers d’hommes, apparemment plus aptes à concevoir physiquement des pièces lourdes et grandioses, qui se confrontent -avec brutalité parfois- à l‘espace, et à faire preuve d’abstraction. Et c’est à cette époque aussi que nait le « white cube », cette prolongation dans l’espace d’exposition du concept minimal lui-même : largement analysé par Brian O’Deherty dans son célèbre essai, White cube. L’espace de la galerie et son idéologie, il devient lui-aussi un contexte pur et abstrait, presque sacré, qui exclut toute féminisation.

Pourtant, les femmes ont été dès le départ associées au minimalisme, en particulier par la danse post-modern du Judson Dance Theater et des chorégraphes comme Simone Forti et Yvonne Rainer. Et c’est ce que montre la très riche exposition qui se tient actuellement dans l’espace de Pantin de la galerie Thaddaeus Ropac sous le titre de : Dimensions of Reality : Female Minimal. Elle fait une large place à Rosemarie Castoro, cette artiste qui a eu droit à une très belle exposition récemment dans l’espace du Marais (cf http://larepubliquedelart.com/forets-puissantes/) et qui fut l’épouse de Carl André, une des figures les emblématiques de l’art minimal. Méconnue de son vivant (elle est morte en 2015), elle ne quitta guère son studio new-yorkais, mais tous les grands noms de la scène artistique de l’époque (les années 60/70) s’y retrouvaient régulièrement et dans l’exposition précédemment citée, on a pu voir les cartes postales que Laurence Weiner ou Robert Smithson lui envoyaient de leurs différents voyages dans le monde. Elle est présente ici avec deux grandes installations, dont une, Forest of Threes, composée de bois sculpté, mais aussi avec des peintures qui expérimentent la couleur.

Mais ce sont quatorze femmes, européennes, américaines ou japonaises, qui sont montrées ici, sous le commissariat de Anke Kempes et Pierre-Henri Foulon, et qui, pour la plupart, sont inconnues du grand public. Et l’exposition dépasse largement le champ strict de l’art minimal. On y voit par exemple le travail de Kazuko Miyamoto, qui fut l’assistante de Sol LeWitt (une photo la montre d’ailleurs posant de manière de manière bien peu respectueuse, les jambes en l’air, devant une sculpture de son « maître ») et qui utilisait un langage géométrique abstrait tout en introduisant des altérations dans la lecture de la grille minimale. Ou celui de Lydia Okumura, une artiste brésilienne qui a elle aussi collaboré avec Sol LeWitt et qui a conçu des installations spécialement pour les lieux d’expositions, faites de zones colorées et de fils qui jouent sur l’interaction entre le bi et le tridimensionnel. Ou celui de Magdalena Więcek, qui fut une des sculptrices abstraites les plus influentes de la Pologne d’après-guerre, ou encore celui, davantage connue en France puisqu’elle y vit toujours, de Vera Molnar, qui a inventé un procédé artistique menant à la création d’images géométriques générées selon un système prédéfini.

Mais si la plupart de ces artistes ont fait carrière dans la seconde partie du XXème siècle ou encore aujourd’hui, certaines ont été des pionnières et se sont manifestées dans les mouvements d’avant-garde du modernisme. C’est le cas de Lucia Moholy, par exemple, l’épouse de Lázló, qui a été une photographe majeure du Bauhaus, mais dont la contribution a été complètement négligée et qui a dû se battre pendant des années pour récupérer les droits de son œuvre, après que Walter Gropius, le fondateur du mouvement, eut emporté ses négatifs aux Etats-Unis dans les années 30 et qu’il les ait eu versés dans les archives. C’est le cas aussi de Marlow Moss, une artiste anglaise qui s’appelait initialement Marjorie et qui a joué un rôle important dans le développement du Néo Plasticisme. Elle a même inventé, en s’appuyant sur une théorie mathématique détaillée, un élément dynamique que Mondrian a repris, sans bien sûr qu’il lui en attribue la paternité. C’est pour lutter contre la discrimination qui visait les femmes qu’elle a masculinisé son prénom et qu’elle s’est habillé comme un homme (ou plutôt comme un dandy) dans les années 20.

Ce que montre cette exposition, c’est que toutes ces femmes ont participé, d’une manière ou d’une autre, aux grands mouvements abstraits et géométriques du XXème siècle et qu’elles n’ont pas eu la reconnaissance qu’elles méritaient. Ce qu’elle montre aussi, c’est qu’elles ont souvent subverti le carcan imposé par les hommes en introduisant des matériaux plus chauds ou plus domestiques (le bois, le tissage, le fil, etc.) et en abordant les questions de genre et de sexualité. Ce qu’elle montre enfin, c’est que l’art minimal n’a pas seulement eu cours en Amérique du Nord, mais dans bien d’autres pays du monde, en Europe ou en Amérique du Sud, bref, dans des pays considérés comme moins puissants. Une autre histoire de l’art est en train de s’écrire.

Dimensions of Reality : Female Minimal, jusqu’au 20 juin à la galerie Thaddaeus Ropac, 69 avenue du Général Leclerc 93500 Pantin. A noter que dans l’espace parisien du Marais, la galerie montre une œuvre historique de Sylvie Fleury, She-Devils on Wheels, une installation qui évoque à la fois l’atelier d’un garagiste, le siège social d’un fan club et la devanture d’un magasin de matériel automobile de luxe. Là aussi un bel hommage rendu à l’une des plus insolentes et des plus féministes de nos artistes. (www.ropac.net)

Images : Vues de l’exposition Dimensions of Reality : Female Minimal  à la galerie Thaddeus Ropac de Pantin avec des œuvres de, entre autres, Rosemarie Castoro, Lydia Okumura, Magdalena Wiecek, Shizuko Yoshikawa. Photos : Charles Duprat Courtesy Galerie Thaddaeus Ropac, London · Paris · Salzburg

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