de Patrick Scemama

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La République de l'Art
Une image peut en cacher une autre

Une image peut en cacher une autre

Clément Rodzieski est un joueur, une sorte de petit Poucet malicieux qui sème ses cailloux pour nous perdre plutôt que pour nous retrouver. Son travail se base sur l’image, son apparition, sa circulation, la manière dont elle est modifiée par les outils de communication actuels tels qu’ordinateurs, photocopieur, scans, etc. « Une image se tient entre deux images, précise-t-il. Elle est le produit de ce qui se passe entre l’une et l’autre. Selon l’irréversible temps et/ou rétroactivement, elle en est le songe, la contraction, la variation et l’agrégat. Elle est aussi le produit de cet espace vide qui les sépare, un intermédiaire, une déviance dans la chaîne de fabrication ». Parmi ses premiers travaux, on compte ses interventions sur les magazines de modes, qui consistaient à découper les pages de ces magazines pour en révéler d’autres images, souvent abstraites et dépourvues de texte, comme si ces magazines étaient porteurs de signes que ne laissait pas soupçonner une première lecture. Parmi ses premiers travaux, on compte aussi ses interventions sur les affiches de films, qui consistaient, elles,  à bomber le verso d’affiches vintage ou de films porno des années 70, de manière à leur donner un caractère unique par un geste quasi minimal et à révéler la profondeur de l’image.  Ajoutons à cela les titres que l’artiste a donnés à certaines de ses expositions et l’on comprendra encore mieux l’ironie et la ludicité qui guident sa démarche : « Julie et sa cousine », « Trop Peu de Santé, Trop Peu de Preuves », « Une haine sans pardon ».

Le titre de l’exposition qu’il présente actuellement à la Maison d’Art Bernard Anthonioz de Nogent-sur-Marne, Dix  nouveaux A, ne fait pas preuve d’une même ironie. Il est, au contraire, très littéral, puisqu’il annonce d’emblée qu’il reprend une série débutée en 2008 autour de la lettre « A » («La réification est le sport favori de l’art », dit aussi l’artiste). Dans cette série, il choisissait un « A » dans une typo très sophistiquée (le radagund), mais l’imprimait dans des dimensions mal adaptées au format du papier, de sorte que la lettre s’en trouvait tronquée. Pour la redessiner et maintenir l’œuvre au mur, il utilisait un ruban adhésif noir qui introduisait une nouvelle dimension dans les supports et prolongeait l’espace.

SONY DSCPour cette nouvelle exposition, il reprend donc la matrice de ces peintures, mais en les photographiant et en les « taguant » à la peinture aérosol. Et surtout, il les fait alterner avec des photos de jeunes filles posant pour un book.  On est donc confronté à deux types d’images, relevant elles-mêmes de deux types de culture : une image abstraite et unique qui est celle de l’œuvre d’art et une image concrète et stéréotypée qui est celle que l’on trouve habituellement dans les revues ou les médias. Mais après avoir assisté à cette alternance et être passé par un escalier où des photos de la surface réfléchissante d’un DVD nous font passer de l’autre côté du miroir (on notera au passage le suspense que Clément Rodzielski réussit à maintenir dans ses accrochages), on arrive à l’étage où sont accrochées des photos en noir et blanc qui reprennent la structure du « A » tronqué, mais avec des parties découpées qui laissent apparaître, là un sein, là une oreille féminine ou des cheveux, soit des éléments qui appartiennent à l’univers des jeunes filles de l’autre série. Il y a donc eu contamination d’une série par l’autre, agglomération qui a donner lieu à une nouvelle série, puisqu’en noir et blanc et faisant cohabiter abstraction et éléments concrets. Entre-temps, les parties du « A » tronqués se sont aussi échappées de leur cadre pour aller s’incarner sous un bureau ou une table, c’est-à-dire là où on ne les attendait pas.

On voit bien comment, chez Clément Rodzielski, l’image évolue, s’altère, se transforme. On voit les niveaux de culture – savante et populaire – qu’il met en œuvre et la manière dont il les combine savamment. Son discours, au fond, n’est pas très éloigné des celui des « appropriationnistes » et de tous ceux qui réfléchissent aujourd’hui sur le statut de l’image (on pense en particulier aux américains Wade Guyton et Kelley Walker). Il pourrait même être formel et quelque peu attendu si, d’une part, il ne cachait une réflexion subtile sur la peinture et plus spécifiquement la peinture abstraite, et si, de l’autre, il n’était mis en place avec autant de légèreté, d’humour et, pour tout dire, d’élégance.

Dix nouveaux A, jusqu’au 21 juillet à la Maison d’Art Bernard Anthonioz, 1-, rue Charles VII, 94130 Nogent-sur-Marne. Tel : 01 48 71 90 07

On annonce par ailleurs  pour le 5 juillet le lancement d’un catalogue lié à l’exposition, au titre hautement évocateur : « Charme ».

Images :  Mayday, 2008, vue de l’exposition collective Mayday, Rental Gallery, New-York. Courtesy de l’artiste et galerie Chantal Crousel, Paris ;  Untitled, 2013, photographie, courtesy de l’artiste et galerie Chantal Crousel

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commentaire

Une Réponse pour Une image peut en cacher une autre

sensationnelle post, merci beaucoup.

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