de Patrick Scemama

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La République de l'Art
Yvon Lambert

Yvon Lambert

Il peut y avoir quelque chose de paradoxal de consacrer la rubrique « la galerie du mois » à une galerie qui va bientôt fermer ses portes. Mais en l’occurrence, il s’agit d’une des plus importantes galeries parisiennes, une de celles qui ont façonné l’histoire de l’art contemporain de ces cinquante dernières années. Plutôt que de retracer sa glorieuse histoire, je préfère adresser une lettre ouverte à son fondateur, Yvon Lambert, que je connais peu, mais pour qui j’ai beaucoup de respect et d’admiration :

« Cher Yvon,

Je viens d’apprendre que vous fermerez votre galerie de la rue Vieille-du-Temple le 31 décembre de cette année. C’est une triste nouvelle, car une galerie qui ferme, c’est toujours une voix qui s’éteint, des choix qui se perdent, un engagement dans le milieu de l’art qui prend fin. Surtout lorsqu’il s’agit d’une galerie comme la vôtre, qui a joué un rôle si déterminant dans l’art contemporain de ces dernières décennies, qui a soutenu tant d’œuvres et tant d’artistes différents et qui a toujours accompagné les avant-gardes. La Galerie Yvon Lambert était un phare dans la vie culturelle parisienne : on venait y découvrir les pointures de demain ou vérifier la pertinence de telle démarche artistique, on venait y humer des tendances, des modes, de nouvelles formes d’expression. Dans un esprit très français, elle brillait par son goût, son élégance, sa curiosité.

Faut-il le rappeler, cher Yvon, ce n’est pas à Paris, mais à Vence, bercé par le chant des cigales et à l’ombre des oliviers, que vous êtes né. Et c’est là que vous ouvrez votre première galerie, plutôt axée sur l’art moderne qui se vend à Saint-Paul, la cité voisine. En 1966, vous quittez les rives de la Méditerranée et « montez » dans la capitale pour vous installer à Saint-Germain-des-Prés, rue de l’Echaudé, où vous commencez à défendre ce qui constitue votre véritable passion : les minimalistes et conceptuels américains, Sol LeWitt, Carl Andre, Robert Ryman, Brice Marden, Laurence Weiner, etc. Dix ans plus tard, vous déménagez à nouveau pour poser bagage, cette fois, rue du Grenier-Saint-Lazare, près du Centre Pompidou qui vient d’ouvrir ses portes et dans ce quartier dont vous sentez tout de suite qu’il va devenir l’épicentre de l’art d’aujourd’hui. Vous y restez encore une dizaine d’années, avant d’investir un superbe espace sous-verrière, rue Vieille-d- Temple, dans ce Haut-Marais que commencent à déserter les fourreurs et confectionneurs en gros, et qui est l’espace dans lequel vous êtes toujours aujourd’hui.

Et pendant toutes ces années, au gré de vos coups de cœur, de vos emportements et de votre intuition, vous avez défendu les formes les plus avancées de la création contemporaine. Il y eut d’abord, on l’a dit, les minimalistes américains avec lesquels vous avez établi une relation privilégiée, même si votre familiarité avec la langue de Shakespeare n’est pas, dit-on, exceptionnelle. Puis, dans les années 80, vient le retour à la peinture avec la « Figuration libre » de Combas, mais aussi avec Barcelo, Basquiat et bien sûr Kiefer. Dans les années 90, ce sont la photo et la vidéo qui ont retenu votre attention et dont vous avez commencé à fixer le marché avec des pièces de Nan Goldin et sa célèbre « Ballad of Sexual Dependency », de Serrano et de sa « Morgue » qui fit scandale ou de Douglas Gordon que vous avez véritablement fait découvrir en Europe. Récemment, vous aviez intégré à votre prestigieuse liste de pur-sang de jeunes artistes comme Loris Gréaud, Mircea Cantor qui a obtenu le Prix Marcel Duchamp en 2011 ou Vincent Ganivet qui construit des voûtes à l’équilibre précaire. Et contrairement à ce que font bon nombre de vos jeunes confrères aujourd’hui, vous n’avez jamais cherché à « muséifier » la galerie en allant chercher des artistes morts ou de générations plus anciennes, pour asseoir votre respectabilité. Vous, votre choix, c’était le contemporain, rien que le contemporain, et vous êtes resté fidèle à cette ligne durant toute votre activité. De toutes ces magnifiques expositions subsistent des catalogues ou des affiches que vous preniez toujours soin de réaliser avec les artistes et dont certaines ornent encore aujourd’hui les murs de ma maison.

yvon-lambertUne des raisons pour lesquelles vous dites vouloir arrêter est votre âge, 78 ans. Et on comprend très bien que ce soit une raison suffisante. Mais il y a fort à parier que vous ne vous reconnaissez plus complètement dans le marché de l’art d’aujourd’hui, que vous n’y trouvez plus complètement votre place, que les nouvelles relations qui s’établissent entre galeristes, artistes, collectionneurs et institutions ne répondent plus aux critères qui étaient la règle lorsque vous avez commencé votre métier. Vous dites aussi que vous n’entendez plus parler que d’argent. On ne pense pas que vous méprisiez l’argent, loin de là, mais il est sûr qu’il n’a jamais été le moteur de vos activités, qu’il n’a jamais guidé vos choix ni emporté vos convictions. Et même si vous avez toujours su évoluer et vous adapter aux nouvelles formes de commerce et d’expositions (les foires, les biennales, internet, etc), votre rapport à l’art est trop passionné et trop respectueux pour que vous puissiez vous livrer à des expositions-spectacles comme on a pu en voir récemment avec Girl à la Galerie Perrotin (cf http://larepubliquedelart.com/selfies-selfies/)  ou accepter de vendre des œuvres par ordinateurs interposés, sans jamais voir la tête de la personne à qui vous la cédez. D’ailleurs, la mondialisation n’a jamais été votre fort, et les deux galeries que vous avez ouvertes à New York puis Londres, après le passage au XXIe siècle, n’ont pas été des succès.

Enfin, il semblerait que vous soyez un peu fatigué de tout ce tohu-bohu médiatique. D’ailleurs, lorsqu’on venait à la galerie ces derniers temps, on vous trouvait, la plupart du temps, dans l’espace réservé à la librairie, en train de ranger un livre ou d’en feuilleter un autre. Car vous avez une vraie passion pour les livres et pour la littérature (faut-il rappeler que c’est à votre intention que Roland Barthes a écrit son essai sur Twombly, une de vos grandes admirations et un des grands artistes de la galerie ?) et vous avez initié une somptueuse collection de livres d’artistes, de vrais ouvrages de bibliophilie réalisés selon les techniques anciennes, que, pendant longtemps, vous ne montriez pas, « parce qu’il était très difficile de les exposer » disiez-vous. Etait-ce pour donner un signal de ce que serait votre vie future avant l’annonce officielle de la fermeture de la galerie ? Sur votre stand, lors de la dernière foire de Bâle, quelques exemplaires étaient disposés dans un recoin à part que le public pouvait découvrir avec émerveillement et manipuler avec précaution.

Car c’est à cette activité que vous entendez désormais vous consacrer et vous annoncez d’ores et déjà l’ouverture d’un lieu, toujours dans le Marais, pour l’année prochaine. A ces livres d’artistes et aussi à votre collection, qui est fabuleuse, et dont vous avez en partie fait don à l’Etat pour qu’il l’expose à Avignon, dans cet Hôtel de Caumont qui est actuellement en travaux d’agrandissement (la collection est temporairement accrochée cet été dans une prison désaffectée d’Avignon, la prison Sainte-Anne). Nul doute donc que l’on vous voie encore beaucoup dans les années à venir sur la scène artistique et que vous avez pris la meilleure décision que vous puissiez prendre. Il n’empêche qu’avec la fermeture de votre galerie, c’est une page qui se tourne, une pratique du métier de galeriste qui change irrémédiablement, une façon de regarder la scène artistique française qui ne sera plus tout à fait la même.

Bien amicalement,

Patrick Scemama »

-Galerie Yvon Lambert, 108 rue Vieille du Temple 75003 Paris (www.yvon-lambert.com). Jusqu’au 24 juillet, la galerie présente une exposition consacrée au photographe péruvien Mario Testino.

Images : vue de la Galerie Yvon Lambert, courtesy Galerie Yvon Lambert, photo Didier Barroso ; Yvon Lambert face à une œuvre d’art (DR)

 

 

 

 

 

Cette entrée a été publiée dans La galerie du mois.

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commentaires

2 Réponses pour Yvon Lambert

Eric Angelini dit :

Bonjour,
je lis ceci :
> Yvon Lambert, que je connais peu, mais pour qui j’ai beaucoup de respect et d’admiration […]

… alors soyez gentil de corriger :

> rue Vieille du Temple
… rue Vieille-du-Temple
> une galerie qui ferme, c’est toujours
… une galerie qui ferme c’est toujours
> dans la Capitale
… dans la capitale
> Saint-Germain des Prés
… Saint-Germain-des-Prés
> de l’Echaudé
… de l’Échaudé
> rue du Grenier Saint-Lazare
… rue du Grenier-Saint-Lazare
> espace sous-verrière, rue Vieille du Temple
… espace sous verrière, rue Vieille-du-Temple
> au grès de vos coups de cœur
… au gré de vos coups de cœur
> une relation privilégie
… une relation privilégiée
> dans les années 80
… dans les années 1980
> dans les années 90
… dans les années 1990
> c’est la photo et la vidéo
… ce sont la photo et la vidéo
> Ballade of Sexual Dependency
… Ballad of Sexual Dependency
> Prix Marcel Duchamp
… Prix Marcel-Duchamp
> parier que vous ne reconnaissez plus
… parier que vous ne vous reconnaissez plus
> expositions spectacles
… expositions-spectacles
> on a pu le voir récemment
… on a pu en voir récemment
> XXIe siècle
… XXIe (e en supérieure)
> on vous trouvez
… on vous trouvait
> vous avez initié
… vous avez commencé
> Etait-ce pour donner
… Était-ce pour donner
> Sur votre stand
… Dans votre stand
> Foire de Bâle
… foire de Bâle
> d’ors et déjà
… d’ores et déjà
> A ces livres d’artistes
… À ces livres d’artistes
> don à l’Etat
… don à l’État
> Prison Sainte-Anne
… prison Sainte-Anne
> donc, que l’on vous voie
… donc que l’on vous voie

Amitiés,
É.

admin dit :

Cher Monsieur,
Merci pour lecture attentive. J’ai intégré presque toutes vos corrections (il y en a quelques unes avec lesquelles je ne suis pas tout à fait d’accord). Voilà ce que c’est que de publier vite et sans relecture extérieure! En tous cas, merci encore de votre attention. Bien cordialement.
P.S.

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