de Patrick Scemama

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La République de l'Art
Conseils pour une Nuit blanche

Conseils pour une Nuit blanche

C’est demain la désormais célèbre « Nuit blanche », pendant laquelle de très nombreux évènements artistiques essaiment tout Paris, et c’est Jean de Loisy, le directeur du Palais de Tokyo, qui a eu la charge de cette nouvelle édition. Il l’a conçue comme une rêverie, basée sur Le Songe de Poliphile, ce roman italien paru à Venise en 1499, probablement de la plume de Francesco Colonna, qui est le monument de l’humanisme de la Renaissance. Le héros du livre est à la poursuite de la nymphe Polia, qui lui est apparue en rêve, et qu’après de multiples rencontres qui sont comme les étapes d’une initiation, il finit par retrouver à Cythère, l’île d’amour. Mais la nymphe est multiple et se change et se transforme à volonté, tour à tour volupté, antiquité, connaissance, philosophie, sagesse… A la fin du récit du récit, elle n’est plus qu’une illusion qui s’évapore dans les bras de Poliphile.

Christian Rizzo, Avant la nuit dernière, 2016. Courtesy de l'artisteCette aventure amoureuse, cette quête, c’est ce qui a guidé Jean de Loisy pour les différentes étapes de ce parcours qui se situe cette année le long de la Seine. Elle commencera à 19 h, sur la Parvis de la gare de Lyon, avec la descente d’Abraham Poincheval du socle sur lequel il vit depuis cinq ans jours, à la manière des stylites des premiers siècles du christianisme. Habitué à ces expériences extrêmes, n’ayant avec lui que le minimum pour survivre (il est déjà resté treize jours dans le ventre d’un ours empaillé), l’artiste, dans un état méditatif, annoncera le rêve de Poliphile.
Elle se poursuivra dans la galerie des Fresques de la gare de Lyon, où des chats d’Alain Séchas peints sur un grand miroir et munis de panneaux et de bouquets attendront des voyageurs (Poliphile ?). Puis il faudra se rendre sur le Parvis de l’Hôtel de Ville, où, comme dans les contes initiatiques, le visiteur, après avoir emprunté un passage sombre, pénètrera dans une forêt enchantée due à Stéphane Thidet, dans laquelle d’immenses morceaux de bois tournent au-dessus d’un lac gelé, dans une sorte d’hypnotique mouvement perpétuel. Un peu plus loin, à l’Hôtel-Dieu, Christian Rizzo aura suspendu un énorme disque au milieu de la cour. En basculant, il reflètera des fragments de l’architecture néo-classique, en même temps que les corps mouvants des spectateurs qui pénètrent dans l’enceinte.

David Douard, Mort Lafayete, 2016. Courtesy de l'artiste et de la galerie Chantal Crousel, ParisRetour à la Place du Chatelet, après être passé devant la Conciergerie, où grâce à Pierre Delavie, l’eau de la Seine donnera l’impression de baigner les ogives du bâtiment. Là, dans le théâtre du même nom, Nicolas Buffe invite le spectateur à prendre les commandes d’un jeu vidéo qui fait directement référence aux différents chapitres du livre. Et tandis que Mel O’Callaghan demande à des performers de tirer inlassablement sur des poulies sur la Place Dauphine, Anish Kapoor fait en sorte qu’à la pointe du Square du Vert-Galant, un tourbillon se forme sur la Seine comme pour engloutir quiconque voudrait s’en approcher. Sur la façade de la Monnaie de Paris sera projeté le Drawing Restraint 15 de Matthew Barney, aux Beaux-Arts aura lieu un cycle de performances (Saâdane Afif, Davide Balula, etc.) et Oliver Beer tentera de révéler la vie de secrète du fleuve en rendait  audible sa vie marine insoupçonnée, les mystères de ses fonds.

On pourra continuer par la voie Pompidou où David Douard a installé, à l’emplacement de l’ancienne Samaritaine, une fontaine qui digère et recrache ses eaux. Puis aller jusqu’au port de Solférino où Bridget Polk aura assemblé des pierres qui ne tarderont pas à s’effondrer et que des performeurs, à la manière de Sisyphe, reconstruiront  sans cesse. Et passer sous une imposante horloge suspendue à une grue et qui se balance au-dessus de la tête des visiteurs, au niveau du port du Gros-Caillou, qui est l’œuvre d’Alicia Kwade. Après avoir franchi le Pont de Bir-Hakeim, où Alain Fleisher aura fait apparaître sur un immense ventilateur l’image d’une femme décoiffée par le vent des passions, aboutir à l’Ile-aux-Cygnes où la danseuse Marie-Agnès Gillot dessinera dans le sable une partition écrite par Pascal Quignard et Laurent Derobert. Enfin, embarquer pour Cythère sur des navettes fluviales où résonnent d’étranges créations sonores.

Alicja Kwade, Die bewegte Leere des Moments, 2015. Photo - Norbert Miguletz. Courtesy de l'artiste et Schirn Kunsthalle FrankfurtEt pendant ce temps-là, Fabrice Hyber fera défiler une trentaine de bateaux qui symboliseront chacun une discipline sportive d’un point à un autre, Philippe Quesne invitera à une parade de taupes et de nombreux autres évènements auront lieu, aussi bien dans le « in » que dans le « off ». Mais si vous préférez vous laisser guider, Yannick Haenel, l’excellent auteur de Jan Karski, a écrit une nouvelle qui est une version contemporaine du Songe de Poliphile et qui est téléchargeable sur le site de la manifestation. Episode après épisode, le lecteur y est amené à suivre les péripéties dans lesquelles le protagoniste est entrainé et donc à se rendre dans les différents lieux de cette Nuit blanche. Bref, vous n’êtes pas prêts de dormir !

Toutes les informations sur www.nuitblanche.paris

Images : Oliver Beer, Live Stream, simulation du projet, courtesy de l’artiste ; Christian Rizzo, Avant la nuit dernière, courtesy de l’artiste ; David Douard, Mort Lafayete, courtesy de l’artiste et de la galerie Chantal Crousel, Paris ; Alicja Kwade, Die bewegte Leere des Moments, photo : Norbert Miguletz, courtsy de l’artiste et de la Schirn Kunsthalle, Frankfurt

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