Dans la famille Pollock, je demande…
On sait la difficulté qu’il y a à être le « fils ou la fille de » ou le « frère ou la sœur de ». Dès que vous rencontrez un succès, on soupçonne que c’est grâce à votre parent célèbre et on ne manque pas une occasion pour comparer votre travail -le plus souvent négativement-avec celui de ce dernier.
C’est le cas de Charles Pollock, le frère de Jackson, dont beaucoup ignorent l’existence. C’est pourtant le fils ainé de cette famille de plusieurs garçons et, comme lui, il fut artiste. Il fut même le premier, d’ailleurs, à s’intéresser à l’art dans un environnement qui n’y était guère sensible, et, alors que les autres ne comprenaient pas toujours la démarche de celui qui allait devenir le peintre américain le plus célèbre de l’après-guerre, il semblait le plus légitime. Pourtant, il resta toujours dans l’ombre et son œuvre, peu montrée, ne fut jamais vraiment reconnue (du moins de son vivant). Pourquoi ? C’est ce que tente d’expliquer sa fille, Francesca, qui est psychanalyste, dans un livre, Mon Pollock de père, paru il y a deux ans à L’Atelier contemporain et qui vient d’être publié en poche aux éditions Verbier (192 pages, 10€).
Tout en s’interrogeant elle-même sur sa nécessité de prendre en charge l’héritage paternel, elle y apporte différentes réponses. La première, d’ordre psychanalytique, est que son père se serait volontairement effacé pour laisser la place à son frère, comme dans une sorte de devoir sacrificiel ou l’idée qu’il ne pourrait y avoir deux artistes dans la famille. La deuxième est que son père, même si son travail n’avait rien de passéiste, se serait volontairement tenu à l’écart de son temps, à la différence de son frère qui, lui, l’aurait épousé furieusement. La troisième est que son père aurait tout fait pour ne pas montrer son travail et donc le promouvoir. Ce qui est vrai, c’est qu’en 1971, alors que New York avait définitivement détrôné Paris en tant que centre mondial des arts, c’est dans la capitale française que Charles Pollock vint s’installer avec sa famille et qu’il laissa derrière lui toute son œuvre antérieure (il était alors âgé de 69 ans).
Ce n’est qu’après sa mort survenue en 88 que sa femme Sylvia et sa fille Francesca, ainsi prénommée en hommage à Piero della Francesca qu’il admirait, entreprirent d’archiver et de constituer un catalogue raisonné de son travail. Elles allèrent à New York, où une grande partie de ses toiles étaient enroulées dans un dépôt et entreprirent de les mettre sur châssis et de les restaurer. Puis elles commencèrent à les montrer, souvent dans l’ombre du frère mythique, comme lors d’une exposition au Guggenheim de Venise, où le grand « Mural » de Jackson faisait sensation, tandis des toiles de Charles étaient présentées dans une salle. Un des ceux qui y prêtèrent le plus d’attention fut le poète et critique d’art Maurice Benhamou, dont la famille venait d’ouvrir une galerie à Paris. Sur le travail des deux frères, il écrivit ceci : « Les deux œuvres semblent très éloignées et même antithétiques. Mais les antithèses demeurent si proches de leurs thèses, en s’y opposant perpendiculairement, que cela finit toujours par la révélation de leur mariage secret (…) En vérité, c’est peut-être dans la radicalisation des deux artistes que la connivence apparaît. Ils se sont délibérément partagés le territoire de la peinture. La consistance, la densité, la fixité, l’énergie, ce que l’on pourrait appeler la « temporalité de la peinture », cela devient l’affaire de Charles (…) La fluidité, le dynamisme, le vertige, c’est-à-dire « l’espace de la peinture », la part de Jackson ».
Il se trouve que, par hasard du calendrier, deux expositions se tiennent actuellement à Paris, qui les montrent respectivement. La première, Jackson Pollock, les premières années, a lieu au Musée Picasso et elle présente les œuvres de Jackson avant 1947, c’est-à-dire avant l’invention du dripping (cette fameuse technique qui consistait à laisser couler la peinture sur la toile au sol), au moment où il était très influencé par l’œuvre de son aîné espagnol et en particulier Guernica. Dans une des premières salles, on voit quelques dessins de Charles, figuratifs, très ancrés dans les réalités sociales et qui témoignent de son engagement à gauche. La seconde à lieu à la galerie Etc, qui est la galerie ouverte par la famille de Maurice Behamou et qui défend l’œuvre de Charles Pollock depuis plusieurs années. Les œuvres qu’elle présente sont celles réalisées après l’arrivée à Paris de Charles et on peut être sensible soit à la rage et à l’envie d’en découdre du premier, soit au calme, à la luminosité et la sérénité du second. Mais il est sans doute un facteur que Francesca Pollock n’a pas suffisamment pris en considération et qui pourrait expliquer que les œuvres de Jackson aient éclipsé toutes les autres : c’est le fait que mourir jeune et tragiquement, comme ce fut le cas pour lui, l’ait fait accéder au rang de mythe et que, contre ces mythes (à l’instar de James Dean), on ne peut pas lutter.
L’Atelier contemporain, qui était donc le premier éditeur du livre de Francesca Pollock (toujours disponible dans cette collection, enrichi de photos et de reproductions, 25€), publie aussi cet automne un dialogue entre le peintre Gérard Traquandi et le critique Olivier Cena, qui a longtemps été chroniqueur à Télérama. Gérard Traquandi est un des grands peintres français de notre époque, peut-être pas suffisamment reconnu à sa juste valeur. Connu pour ses grandes toiles qu’une approche un peu rapide pourrait faire passer pour abstraites (elles sont en fait toujours inspirées par des éléments de la nature), il s’est remis à faire, depuis quelques années, de petites aquarelles figuratives qui célèbrent avec délectation les fruits, les fleurs ou d’autres plaisirs de l’existence. Le dialogue avec Olivier Cena a eut lieu en marge de la Biennale de Venise et dans un des ateliers du peintre à Aix-en-Provence. On y parle de peinture, bien sûr, des maîtres que vénère Traquandi (Cézanne en particulier) et de la difficulté qu’il y a à trouver sa place dans le déferlement actuel des images. Si Olivier Cena peut se révéler parfois très définitif et conservateur dans ses affirmations (en gros, « tous les artistes présentés à la Biennale sont médiocres ! »), les réponses de Gérard Traquandi sont captivantes de subtilité, d’intelligence et d’humour. Il dit, par exemple : « Un jour, tout le monde sera fatigué de ce que l’on voit aujourd’hui ; même les jeunes qui pourtant font de l’art contemporain en sont fatigués. Alors il y aura des artistes qui peindront des fleurs ou il n’y aura plus rien. »
–Jackson Pollock, les premières années, jusqu’au 25 janvier au Musée Picasso (www.museepicassoparis.fr)
-Charles Pollock, Un américain à Paris, jusqu’au 30 novembre à la galerie etc, 28 rue Saint-Claude 75003 Paris (www.galerie-etc.com)
Olivier Cena et Gérard Traquandi, Toute peinture est un désir contrarié, L’Atelier contemporain, 128 pages, 25€
-Images : Vue d’une exposition Charles Pollock au Musée de Kaiserlautern ; Charles Pollock, Self-portrait, vers 1930, Crayon et gouache sur papier, 24 x 20,2 cm, Archives Charles Pollock ; Aquarelle de Gérard Traquandi
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