de Patrick Scemama

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La République de l'Art
Dans la maison de Younès Rahmoun

Dans la maison de Younès Rahmoun

La maison a toujours été un motif récurrent du travail de Younès Rahmoun, cet artiste marocain né en 1975, qui a déjà participé, entre autres, à la Biennale de Venise en 2017 et à l’exposition Notre monde brûle en 2020 au Palais de Tokyo. Comme le dit Sandrine Wymann dans le texte qui accompagne l’exposition qu’il présente actuellement à la galerie Imane Farès, elle a d’abord été la maison de famille de Tétouan, « où, sous l’escalier, il occupait une chambre minuscule qu’il a immédiatement sublimé par ses premières recherches d’artiste. » Cela a donné lieu à une recréation de la chambre à taille réelle, dans divers endroits (projet connu sous le nom de « Ghorfa »). « Aujourd’hui, poursuit Sandrine Wymann, l’espace habité apparaît sous la forme plus générique de la maison qui fonctionne comme un point de repère qui relie l’artiste à son enfance. La maison est l’espace rassurant dans lequel il se replie pour méditer ou retrouver la sérénité perdue du ventre maternel. Elle est aussi une référence universelle qui ouvre sa pratique au dialogue et la place du côté du partage. Ces dernières années, la maison prend une forme plus simple et sa matérialité renvoie à des valeurs spirituelles : elle est souvent transparente, surélevée, lumineuse. »

Dans l’exposition qu’il présente chez Imane Farès, donc, sous le titre de Madad, un mot arabe difficilement traduisible, mais qui est lié au soufisme et désigne une lumière qui s’apparente à la notion d’aura, on trouve de nombreuses maisons. Une, en résine replie de paillettes dorées qui, sous l’effet de la lumière, reproduisent les couleurs du spectre, est associée à une vidéo hypnotique où l’on a le sentiment de s’approcher du soleil (« Nôr-Manzil-Nôr »). Une autre, complètement transparente et construite sur plusieurs niveaux, fascine par sa pureté et sa forme parfaite (« Manzil-Maqâm »). Une autre est accrochée en hauteur et les paillettes qui sont à l’intérieur forment le dessin d’une flamme (« Manzil-Fatîl »). Une autre encore est placée au sommet de sept récipients en cuivre martelé posés les uns sur les autres, tandis que son pendant est au centre des sept mêmes récipients, mais au même niveau, imbriqués les uns dans les autres (« Manzil-Hawd / Manzil-Jabal »). Et d’autres enfin sont dessinées sur des papiers qui reproduisent eux aussi la couleur du spectre et avec un crayon de la même couleur que le papier (« Tayf-Lawn »).

Younès Rahmoun – Madad


On l’aura compris, chez Younès Rahmoun, rien n’est gratuit, tout fait sens et s’inscrit dans une exigeante démarche spirituelle. Musulman pratiquant, il est guidé par des croyances et des références liées à sa foi, mais aussi à la philosophie soufie et à l’architecture arabo-musulmane. Ainsi, les trois niveaux qui constituent la maison complètement transparente renvoient aux trois degrés de la religion qui permettent d’atteindre la grâce (une grâce que, selon l’artiste, tout individu parvient à atteindre à un moment ou à un autre), de même que les sept dessins aux couleurs du spectre ou les sept récipients en cuivre martelé font écho, comme le dit encore l’auteure du texte de présentation, décidément très éclairant, « aux sept vibrations et mouvements d’inspiration et d’expiration, de l’intérieur (« Al-Bâtin », ce qui est caché) vers l’extérieur (« Al-Dâhir », ce qui est apparent). »

Car si les couleurs et les chiffres jouent un rôle fondamental dans la pratique mystique de l’artiste, le souffle y est aussi prédominant. Ce sont eux qui donnent naissance à l’installation qui occupe la plus grande place dans la galerie et qui n’est pas à proprement parler une maison. Elle est constituée de soixante-dix-sept billes en verre soufflé, réparties en dix éléments selon un ordre bien établi de onze, treize, onze, cinq, six, sept, sept, huit, trois, six. Ces dix éléments forment comme des sortes de totems qui relient le ciel à la terre et qu’on peut considérer indépendamment dans un mouvement ascendant ou descendant. Au centre, il y a un vide qui est nécessaire à l’équilibre avec le plein. Et les billes en verre apparaissent dans un ordre indéfini et sous une forme différente, ce qui est une manière de laisser une place à l’aléatoire, à l’altérité et, à l’individu, la possibilité de trouver sa place à l’intérieur de l’ensemble. Comme il la trouvera dans l’ensemble de petits cailloux réunis au sein d’un simple panier en osier, mais au sein duquel un se distingue, celui recouvert de peinture dorée qui transcende et donne la lumière.

Younès Rahmoun – Madad

On pourrait gloser pendant des heures sur la profondeur et l’intelligence de cette exposition. Mais il n’est pas nécessaire d’être expert en religion ou même d’être forcément adepte de spiritualité pour la trouver belle. On peut simplement se laisser porter par l’élégance et la simplicité de ses formes, qui, d’une certaine manière, renvoient à l’émerveillement et à l’innocence de l’enfance. Younès Rahmoun est un artiste rare et généreux, qui va au-delà de l’exposition pour proposer au spectateur une expérience intime, un enrichissant et puissant repli sur lui-même.

-Younès Rahmoun, Madad, jusqu’au 23 avril à la galerie Imane Farès, 41 rue Mazarine 75àà- Paris (www.imanefares.com)

Images : Younès Rahmoun, Nôr-Manzil-Nôr (Lumière-Maison-Lumière), 2022 Laiton, résine, paillettes dorées, projection lumineuse (en boucle) 103 (diam.) x 14 cm ; Manzil-Hawd / Manzil-Jabal (Maison-Bassin / Maison-Montagne), 2022, 14 plateaux en cuivre rouge, deux maisons en résine, tripode en métal 100 x 60 x 60 cm / 140 x 60 x 60 cm avec leurs piédestaux tripodes (chaque) : Madad-Tayf (Madad-Spectre), 2022 77 volumes en verre soufflé à la main, structure en métal galvanisé 240 x 240 x 240 cm Œuvre unique YR0090 Design et production : Grandhomme & Bennani avec Jean-Daniel Bourgeois Fabrication : KGN – Arcam Glass

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