de Patrick Scemama

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La République de l'Art
De Monaco à Villefranche-sur-Mer: plongeon dans la grande bleue

De Monaco à Villefranche-sur-Mer: plongeon dans la grande bleue

Le deuxième tour des élections est passé et on a échappé au pire. On ne sait pas encore exactement où tout cela va nous mener, mais on a le sentiment de pouvoir souffler. Après toutes ces intenses semaines de campagne électorale et de stress, on a juste envie de penser un peu à autre chose et se détendre, en gros se laver de toute cette tension et d’envisager enfin les vacances. Et quel meilleur moyen de se refaire une santé que de s’immerger dans la mer ?

La mer, c’est justement le thème de plusieurs expositions qui se tiennent actuellement sur la Côte d’Azur, entre Monaco et Nice. Dans la Principauté, par exemple, on consacre l’exposition d’été de la Villa Paloma à Miquel Barceló, mais pas à n’importe quelles œuvres de l’artiste, à celles qui ont un lien avec la grande bleue. Cette mer (essentiellement la Méditerranée), Barceló la connait bien, lui qui vit entre Paris et les Baléares, se baigne quasiment tous les jours et plonge dès qu’il en a la possibilité. Et il en connaît aussi tous ses habitants, les poissons, qu’il déguste et représente avec gourmandise. Il dit d’ailleurs que s’il n’avait pas été peintre, il serait devenu océanographe et c’est la raison pour laquelle l’exposition s’intitule Miquel Barceló océanographe, en hommage aussi au Musée océanographique qui est un des fleurons de Monaco.

On y voit donc tout un ensemble de pièces qui datent de ces quarante dernières années et qui, pour beaucoup, sortent directement de l’atelier de l’artiste. Sur les trois étages de la Villa Paloma, l’exposition est conçue comme un parcours vertical qui va, comme le dit le texte qui l’accompagne « des origines de la vie à l’apparition des activités humaines élémentaires (pêche, navigation, cuisine) en passant par ses marines, le bestiaire de la vie aquatique qui peuple son œuvre ou les céramiques qui font écho à la tradition du bodegón comme à la culture des grandes thalassocraties méditerranéennes ». Le premier étage, donc, est consacré aux œuvres qui renvoient aux âges géologiques les plus anciens, ceux où pour comprendre la planète, on liait « l’observation de la voûte céleste et la connaissance parfaite des courants marins ». Sur le plan pictural, ces toiles font écho à la peinture informelle et à l’art brut que Barceló découvrit dans les années 70.

Puis on passe aux grands fonds où le bleu domine et où se rencontrent tous ces monstres marins qui sont comme des éclats lumineux dans l’obscurité : méduses bioluminescentes, grands thons, requins et cétacés, seiches, poulpes, bref, toutes ces espèces qui, pour certaines, peuplent les océans depuis plus de 500 millions d’années et que l’artiste consigne aussi à l’aquarelle dans ses carnets. Ensuite, c’est la mer comme paysage, dans la tradition plus classique, qui est mise en avant, avec des références à l’histoire de l’art (La Vague de Courbet) ou aux embarcations qui y naviguent : la barque, où l’humain semble absent, mais où l’on devine pourtant, les tragédies migratoires. Enfin, les poissons sont représentés en trois dimensions, grâce à la céramique que Barceló a apprise au Mali, où il a souvent séjourné, et dont il use, à la manière d’un Picasso, en jouant avec les accidents et en reconstituant en les magnifiant les plats de crustacés qu’il déguste avec gourmandise.

Ce qu’on aime, chez Barceló, c’est la générosité, la virtuosité, la manière dont il travaille la matière, fait corps avec elle. Il compare lui-même la peinture à la plongée en apnée et s’y livre totalement, avec délectation, sans craindre l’excès, l’outrance, voire même le mauvais goût. Mais cette immersion n’empêche pas l’émotion ou la sensibilité, comme en témoigne cette nappe représentant des fruits de mer qu’il fait broder à sa mère et dont il se sert pour des agapes auxquelles on aimerait volontiers prendre part.

Dans la Citadelle de Villefranche-sur-Mer, qui depuis deux ans, sous la direction de Camille Frasca, propose une véritable programmation culturelle (cf les éditions passées Jean-Baptiste Bernadet et Eve Pietruschi confrontés à l’Histoire – La République de l’Art (larepubliquedelart.com) et Jeanne Susplugas, George Condo: tout semblait pourtant… – La République de l’Art (larepubliquedelart.com), la mer est célébrée cette fois en deux expositions. La première se tient dans la ravissante Chapelle Saint-Elme et elle est organisée en collaboration avec le Cirva (Centre international de recherche sur le verre et les arts plastiques) de Marseille. Elle montre le travail que la jeune artiste Estrid Lutz, diplômée des Beaux-Arts de Paris du Art Center College of Design de Los Angeles, a réalisé lors d’une résidence dans ce dernier. Passionné par le surf et passant chaque jour plusieurs heures dans l’eau, elle a découvert dans le travail du verre soufflé des sensations qui lui rappellent l’expérience de la glisse et de la vitesse. On peut ne pas être forcément très convaincu par son discours un peu attendu sur la science-fiction, l’écologie ou la connexion à tout va, mais force est de constater la réussite esthétique de ses pièces complexes et fragiles et la maîtrise technique dont elle a fait preuve.

L’autre exposition a lieu dans les jardins. Il s’agit d’un parcours photographique de Benoît Barbagli, qui est né en 1988 et qui a été formé à la Villa Arson de Nice. A mi-chemin entre Philippe Ramette pour l’humour et Ryan McGinley pour la bande de copains et la liberté du vivre nu, il a réalisé toute une série de photos où des personnages s’ébattent sous l’eau, souvent dans le plus simple appareil, ou se livrent à des expériences à la fois absurdes et poétiques, comme celles de sauter d’un rocher avec un bouquet de fleurs, une torche, de nuit, ou une trompette. C’est la capture d’un instant, d’une beauté éphémère, impossible, d’un moment de partage, qui dit aussi, mais jamais de manière sentencieuse, la vulnérabilité de l’individu face à la force des éléments. Quoiqu’il en soit, c’est joyeux, délicatement érotique, parfois mélancolique, léger, et cela donne furieusement envie de piquer une tête dans l’eau qui est juste à côté.

Miquel Barceló océanographe, jusqu’au 13 octobre à la Villa Paloma, 56 boulevard du Jardin exotique, Monaco (www.nmnm.mc)

-Estrid Lutz, Chaos sensible, et Benoît Barbagli, Symphonie Sous-Marine, jusqu’au 22 septembre dans la Citadelle, Place Emmanuel Philibert à Villefranche-sur-Mer 06230 (www.lacitadellevsm.fr)

Images : Miquel Barceló, Requin, 2015, technique mixte sur toile, 130 x 195 cm, collection de l’artiste, © Miquel Barceló / ADAGP, Paris, 2024, photo : Agustí Torres ; Miquel Barceló, Haptique, 2015, technique mixte sur toile, 180 x 210 cm Collection de l’artiste © Miquel Barceló / ADAGP, Paris, 2024 Photo : David Bonet, 2024 ; vues expositions d’Estrid Lutz et de Benoit Barbagli à la Citadelle de Villefranche-sur-Mer, photos Jean-Claude Lett

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