Dries van Noten, couturier inspiré
L’art et la mode : une collusion dangereuse, un flirt aux conséquences déplorables, un amalgame qui se fait le plus souvent au détriment des artistes eux-mêmes. Aujourd’hui, s’intéresser ou collectionner de l’art contemporain est souvent synonyme de reconnaissance sociale, tout comme la mode et les marques, les voitures ou les lieux de villégiature, qui affichent leurs logos comme autant de bannières derrière lesquelles se retrouver et se regrouper. Il était donc normal que ce petit monde de l’élégance s’approprie les codes de l’art contemporain et les intègrent à leur fonctionnement. Dans son livre paru en 2003 aux Editions Stock, L’Art à l’état gazeux : essai sur le triomphe de l’esthétique, le philosophe Yves Michaud déplorait cette « volatilisation » et cette dispersion de l’œuvre d’art dans un milieu où ne sont pris en compte que le beau et la séduction. Et l’on assiste de plus en plus à des manifestations comme le Parcours Saint-Germain, qui se tient à Paris au même moment que la FIAC, où des œuvres d’art sont montrées dans des boutiques de mode à seule fin de légitimer et de faire vendre les produits de luxe qui s’y trouvent. Certaines galeries du centre de Paris elles-mêmes, prises malgré elles dans ce jeu malsain, doivent, pour des raisons financières, louer leurs espaces plusieurs jours par an à des créateurs de mode de la fashion week, qui les transforment en show room (à tel point que, comme elles ont un peu honte de le signaler, il arrive parfois qu’on puisse prendre les portants remplis de vêtements des gens de la mode pour une installation conceptuelle !). Certains artistes comme le suisse Tobias Kaspar, lors d’une exposition intitulée Life and Lies en 2012, à la galerie Marcelle Alix, avait su intelligemment renversé ces postures de la mode et de ses défilés pour en faire un jeu sur l’identité. Et d’autres, moins scrupuleux, n’hésitent pas à entrer dans le système, espérant ainsi faire rejaillir sur eux quelques paillettes de la renommée. Mais la plupart du temps, ils n’ont rien à gagner de cette utilisation abusive et leurs œuvres en sortent assujetties au diktat du « mainstream » et de la tendance.
C’est dire si c’est avec des réticences que j’allais voir l’exposition Inspirations que Dries van Noten présente actuellement au Musée des Arts décoratifs et qui, comme son nom l’indique, a pour objectif de montrer les principales sources d’inspiration de ses collections. Or, j’en suis ressorti sous le charme. Car à la différence de certains couturiers qui se contentent de copier ou de reproduire sur du textile des œuvres d’art (parfois même avec génie, comme Saint-Laurent pour la robe Mondrian), Dries van Noten ne fait que s’inspirer des œuvres, ne prenant chez elles qu’une ligne, qu’une couleur ou même un simple état d’esprit. Le créateur belge, on le sait, a toujours baigné dans le milieu de l’art et de la culture. Avec Walter Van Beirendonck, Ann Demeulemeester, Dirk Van Saene, Dirk Bikkembergs et Marina Yee, ils ont formé « les six d’Anvers », un groupe informel de jeunes créateurs belges devenu synonyme d’avant-garde de la mode. Et chacune de ses collections est truffée de références à des voyages, des pays, des œuvres ou des émotions personnelles.
Au Musée des Art décoratifs, on voit donc une rétrospective de ses trente années de collections, au milieu des éléments qui en sont le point de départ ou qui les ont nourries. Au départ, il ne devait y avoir que des pièces d’autres couturiers illustres qui sont dans la collection du Musée, car Dries van Noten ne cache pas sa dette à l’égard de ses prédécesseurs et, à côté de ses propres vêtements, il y a donc quelques robes sublimes de Poiret, Dior ou Saint-Laurent. Mais petit à petit, il y a ajouté les références culturelles venues d’autres horizons, et qui sont toutes aussi importantes pour lui. Il y a beaucoup d’extraits de films, car le cinéma a été une sorte d’inspiration permanente chez lui, mais aussi beaucoup d’œuvres d’art, et non des moindres, puisqu’on y trouve aussi bien un « Portrait de sculpteur » du Bronzino, que de magnifiques toiles de Van Dongen, Gerhard Richter ou Michael Borremans (pour une collection autour de l’uniforme). Et certaines collections sont entièrement dédiées à un seul artiste (comme la collection femme Automne-Hiver 2009 inspirée par Francis Bacon), voire même à une seule toile (la collection homme de la même année est toute entière construite autour du tableau d’Elisabeth Peyton, Democrates are more beautiful). Et lorsqu’il évoque un pays comme l’Espagne, Dries van Noten ne montre pas seulement un « Taureau » de Picasso (incontournable), mais aussi une photo de toréro de Rineke Dijkstra. On le voit son exposition, qui plus est très bien scénographiée, ne se limite donc pas aux références attendues et témoigne d’une vraie connaissance de l’art d’hier et d’aujourd’hui. Bien sûr, on reste dans le domaine de la mode et donc de la beauté et de la séduction, mais force est constater que les rapprochements faits par le couturier belge sont intelligents, pertinents et réellement cultivés. Et il les transpose dans des vêtements vraiment créatifs, beaux et originaux !
Attenant au Louvre, le Musée des arts décoratifs est au centre de Paris, dans un des quartiers les plus chics de la ville. Mais en matière d’art contemporain, c’est plutôt le Nord-Est de la capitale qui est le plus à la pointe, comme on l’a vu avec l’émergence des galeries de Belleville et comme on le voit maintenant avec l’initiative « Open your Art ! », qui se tiendra du 21 mars au 6 avril dans 14 lieux de ce quartier et de la Seine Saint-Denis. Pendant toute cette période, en effet, galeries, centres d’art et ateliers d’artistes se mobiliseront pour faire découvrir la création et organiser des rencontres avec le public. On pourra, par exemple, le 21 mars, assister à une performance de Romana Schmalisch, l’artiste en résidence aux Laboratoires d’Aubervilliers, ou le lendemain, visiter la gigantesque galerie que le plus grand marchand d’art au monde, Larry Gagosian, a ouvert aux pistes de l’aéroport du Bourget ou encore le 29 aller avec les enfants à un atelier de l’artiste Thu Van Tran au Plateau-Frac Ile-de-France. Mais bien d’autres rendez-vous sont au programme de cette manifestation excitante et qui prouve la vitalité des institutions de ce côté de la ville. L’occasion de débusquer l’art là il se fait et avant qu’il ne soit dans les musées !
–Inspirations de Dries van Noten, jusqu’au 31 août au Musée des Arts décoratifs, 107 rue de Rivoli 75001 Paris (www.lesartsdecoratifs.fr)
–Open your Art !, du 21 mars au 6 avril (renseignements sur : www.tourisme93.com/art)
Images : photos de défilés de Driss van Noten
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