En passant par Saint-Paul
En France, on identifie surtout Christo et Jeanne-Claude à leur travail sur l’empaquetage. Et il est vrai que cette partie de leur œuvre est essentielle, qu’elle en constitue l’aspect le plus immédiatement reconnaissable. Mais pour autant, elle ne le limite pas, leurs expérimentations ont pu prendre d’autres formes et c’est ce que prouve l’exposition présentée actuellement à la Fondation Maeght de Saint-Paul de Vence, consacrée aux barils de pétrole. En fait, dès les premières salles, on comprend que Christo s’est d’emblée intéressé aux pots, qu’il a parfois recouverts de toile ou qu’il a assemblés avec d’autres, dans des sculptures aux allures totémiques (les Wrapped Cans de 1958). Puis, après avoir fui sa Bulgarie natale et être arrivé à Paris, en passant par Genève, il est passé aux barils de pétrole, qui font partie de ces éléments de la vie urbaine et industrielle qu’affectionnaient tant les artistes du Nouveau Réalisme, mais qui sont aussi porteurs d’une valeur symbolique et esthétique forte. En 1962, en réponse à l’édification du Mur de Berlin, il barre, le temps d’une soirée, la plus petite rue de Paris, la rue Visconti, avec ces barils (on voit d’ailleurs dans l’exposition la lettre qu’il adressa aux autorités pour avoir l’autorisation de réaliser cette action, autorisation qui lui fut bien sûr refusée, mais dont il se passa). Et comme les forces de police se montrent conciliantes avant de demander l’évacuation, il a le temps de faire des photos et de réaliser, au fond, sa première performance dans l’espace urbain.
Par la suite, Christo, qui a désormais épousé Jeanne-Claude, s’installe à New York. Là, dans cette ville portuaire où transitent chaque jour des quantités astronomiques de barils, il continue à se passionner pour cette forme qui est devenue pour lui une véritable « unité lexicale », mais dans le but d’ériger des mastadas, ces constructions avec deux plans inclinés et deux murs verticaux que l’on trouvait déjà, en terre, en Mésopotamie, et dont les Egyptiens firent un édifice funéraire pour leurs pharaons. Plusieurs projets voient le jour, dont un pour le Kröller-Müller Museum aux Pays-Bas, mais la plupart ne sont pas réalisés et ce sont les dessins et maquettes de ces différentes tentatives qui ornent les cimaises de la Fondation Maeght. Parmi eux, se trouve un projet de 1967-68, pour la cour Giacometti de la Fondation, là où se dressent habituellement les silhouettes filiformes du sculpteur suisse. A l’époque, ce projet non plus n’avait pu aboutir, mais aujourd’hui, à l’occasion de cette exposition, il a enfin pu prendre forme, et c’est un amoncellement impressionnant de bidons de couleurs vives qui prend place au cœur du bâtiment et lui répond, à la fois par ses correspondances avec l’architecture du lieu que par ses références, entre autres, à Miro, si présent dans la collection.
Mais un autre projet, encore plus gigantesque, anime Christo depuis les années 70 : celui d’ériger une mastada près Abu Dhabi, c’est-à-dire au pays même de l’or noir, sur un plateau entouré de dunes intactes sur 20 km alentours. Il a déjà donné lieu à de multiples négociations et s’il se réalisait enfin (il semble en bonne voie), ce serait la seule œuvre pérenne du couple (toutes les autres étaient éphémères) et la plus grande sculpture du monde avec 125 m de haut, 225 m de profondeur et 300 m de largueur, selon un rapport délibérément proportionné. Toute la dernière salle de la Fondation est consacrée à ce projet hors-norme. Peut-être le visiteur jugera-t-il que consacrer toute une exposition à cette mystérieuse forme de construction est un peu disproportionné, mais force est de reconnaître qu’elle éclaire l’œuvre de Christo d’un angle que l’on connaissait mal.
Si vous passez par Saint-Paul, une autre exposition mérite vraiment qu’on s’y attarde : celle de Gérard Traquandi présentée chez Catherine Issert. Gérard Traquandi, dont on peut aussi régulièrement voir le travail à Paris, à la galerie Laurent Godin, est un peintre discret, qui travaille par transfert de manière à ce qu’on ne distingue aucune trace de pinceau et qui est fasciné par les empreintes, les traces, les indices. Son œuvre peut sembler abstraite, avec, en particulier, de multiples variations autour du noir, mais si on regarde les dessins ou les photos qu’il réalise en plus de son travail de peinture, on se rend compte qu’elle n’est que la réminiscence ou le souvenir épuré d’une nature qu’il contemple en permanence et dont il reproduit les pleins et les déliés en les analysant, en les mettant à distance, en restant fidèle, comme il le dit lui-même, « au concept cézannien d’un art qui serait une « harmonie parallèle à la nature » ». Il y a une infinie délicatesse dans cette recherche de la nuance et de la lumière, une manière véritablement poétique de « penser » la toile, mais sans chichis ni affectations, juste avec simplicité, élégance et exigence.
L’exposition qu’il propose chez Catherine Issert, A double détente, est née de l’enthousiasme qu’il éprouva, il y a quelques années, en voyant une exposition Hartung…à la Fondation Maeght. La galeriste eut alors l’idée de confronter son travail avec celui du maître de l’abstraction lyrique. On y voit donc de grandes toiles très gestuelles de Hartung face à des œuvres où l’intervention du peintre se fait moins manifeste (en particulier de très subtiles peintures sur papier japon qui disent toute la fragilité, presque la préciosité de la démarche). Justifiant sa proximité avec Hartung, Gérard Traquandi explique avoir été frappé, dans les années 80, à la Fondation Beyeler de Bâle cette fois, par une toile qui « paraissait effleurée par l’artiste ». « Bien des années plus tard, poursuit-il, j’ai à nouveau croisé sa peinture, mais à l’atelier cette fois : m’imposer des contraintes dans le travail m’a amené à plus de méthode. L’une d’elle était celle d’envisager de peindre sans repentis. Cela implique des choix qui signifient que l’on se met au service d’un espace coloré et non le contraire. Vous disant cela, je crois répondre en partie à votre question concernant la familiarité que j’entretiens avec l’œuvre de Hans Hartung ».
-Christo et Jeanne-Claude, jusqu’au 27 novembre à la Fondation Maeght, 623 chemin des Gardettes, 06570 Saint-Paul de Vence (www.fondation-maeght.com)
–A double détente, Gérard Traquandi en regard de Hans Hartung, jusqu’au 3 septembre à la galerie Catherine Issert, 2 route des Serres, 06570 Saint-Paul de Vence (www.galerie-issert.com)
Images : la Mastaba de la Fondation Maeght. Photo Wolfgang Volz © Christo 2016 ; Projet du Mur temporaire de tonneaux, Rue Visconti, 6e arrondissement, Collage 1961, 24 x 40,6cm, deux photographies collées et texte tapé à la machine, Photo Christian Baur © Christo 1961; vues de l’exposition A double détente, Gérard Traquandi en regard de Hans Hartung à la galerie Catherine Issert, photos François Fernandez.
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