de Patrick Scemama

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La République de l'Art
Francisco Tropa, Emilija Škarnulytė: mystères sur la Côte d’Azur

Francisco Tropa, Emilija Škarnulytė: mystères sur la Côte d’Azur

L’hiver, la Côte d’Azur se pare de couleurs différentes. Le soleil y est moins brûlant, les jours plus courts et il y règne une sorte de douceur apaisée qui tranche avec l’effervescence et la sensualité de la période estivale. Il en va de même avec la programmation des musées, qui passe des expositions ludiques, grand public, joyeuses, à des propositions plus sombres, sérieuses, presqu’austères. Quitte à tomber dans l’excès inverse.

C’est ainsi que la Villa Paloma du Nouveau Musée National de Monaco, après avoir baigné tout l’été dans les eaux voluptueuses de Miquel Barceló ( cf De Monaco à Villefranche-sur-Mer: plongeon dans la grande bleue – La République de l’Art), plonge dans celles mystérieuses de l’artiste portugais Francisco Tropa, dont on a déjà pu voir le travail, en particulier à la galerie Jocelyn Wolff qui le représente. L’exposition s’intitule Paésine, un terme qui désigne une pierre imagée dont les motifs évoquent un paysage peint, et se présente sous la forme d’un parcours ascensionnel : le premier étage est lié au monde sous-terrain, le deuxième au monde terrestre, la troisième au firmament et de l’au-delà. Car l’artiste, qui se passionne pour la géologie, l’archéologie et l’ethnologie, envisage l’espace du musée comme une caverne platonicienne, c’est-à-dire un décor de roche, d’eau et de lumière, qui invite le public à envisager une autre histoire des formes.

C’est ainsi que la sculpture qui accueille le visiteur sur la terrasse de la Villa, Pénélope, et qui a été spécialement conçue pour le lieu, provient d’une statuette produite en série d’après une œuvre du sculpteur néo-classique portugais, António Soares dos Reis (1847-1889), qui est une image de la mélancolie. Mais c’est en fait l’intérieur de la statuette que Tropa reproduit, par une série de moulage qui altère de plus en plus la figure initiale. Comme il est dit dans le dossier de presse : « De manière paradoxale, tandis que l’on retire de la matière au modèle, la figure de Pénélope, semble se couvrir d’un voile, ou s’envelopper dans un linceul ».

Ce processus qui consiste à reproduire la forme de la cavité intérieure d’une statuette, on le retrouve, plus ou moins à l’identique, dans d’autres pièces de l’exposition. Pieta, par exemple, est une reproduction du moule en plâtre ayant servi à couler de multiples copies en bronze de la célèbre statue de Michel-Ange. Et Oco correspond à la cavité interne d’un fragment de statue représentant une Vierge à l’enfant, ce qui transforme l’icône chrétienne en une matière charnelle informe. Car ce qui intéresse aussi l’artiste, c’est ce passage de l’original à la copie inversée, du naturel à l’artificiel, comme en témoignent l’ensemble d’œuvres regroupées sous le titre « Scripta », qui sont des boîtes de jeu que l’artiste a imaginées pour ses filles, contenant des pierres et leurs copies en bronze. Et d’autres œuvres font état de ce jeu illusionniste comme Firmament, qui matérialise, sous forme de maquettes, différentes représentations de l’univers ou Terra Platonica qui est une sculpture en bronze reproduisant la photo d’un rite funéraire en Colombie britannique prise par l’ethnologie américain Edward S. Curtis au début du XXe siècle.
Tout cela est brillant, intelligent, réalisé avec infiniment de soin (certaines œuvres sont comme des mécanismes d’horlogerie), mais ne peut être compris que si on lit attentivement les textes qui les accompagnent et que l’artiste a choisi de publier dans des dépliants disposés à chaque étage de la Villa Paloma et qui, une fois déployés et assemblés tous ensemble, composent un motif de fusée. On peut prendre du plaisir à ce jeu de piste raffiné, mais on peut aussi en sortir avec un furieux mal de tête. D’autant que Tropa y ajoute des références à l’Histoire de l’art (Duchamp bien sûr, mais aussi Donald Judd ou la Vénus de Lespugue), à la psychanalyse (Lacan) et à la littérature (Borges et Raymond Roussel). Le risque étant que le visiteur, même le mieux intentionné, finisse par se lasser…

Comme il pourra se perdre dans l’installation qu’Emilija Škarnulytė, une jeune artiste lithuanienne qui est montrée pour la première fois en France, propose dans un des endroits les plus secrets de la Citadelle de Villefranche-sur-Mer. Après être restée en résidence dans le lieu, elle explore le lien métaphorique existant entre la mer et le ciel et questionne les structures invisibles qui façonnent la vie sur la terre. Au centre de son travail se trouve l’eau et la dimension performative qui en découle, avec la figure de la Sirène, être hybride, incarné par l’artiste elle-même, qui s’est également essayée à des descentes en apnée, documentées dans ses travaux. Elle qui s’était jusqu’alors surtout confrontée aux mers froides a aussi pu collaborer avec les chercheurs de l’Institut de La Mer (IMEV), laboratoire scientifique établi à Villefranche, et s’est associée aux chercheurs de l’Observatoire astronomique de la Côte d’Azur.

En résulte une installation immersive faite de films, de photos, de sculptures, mais aussi d’une musique hypnotique qui incite le visiteur à se poser et à prendre son temps. Il y a là-aussi quelque chose de très mystérieux dans ce parcours sous-terrain et sous-marin qui pose plus de questions qu’il n’apporte de réponses. Mais tout cela n’échappe pas non plus à un certain kitsch qui fait qu’on pourrait se croire parfois au milieu d’une boîte de nuit aux effets un peu faciles. Et l’artiste semble le revendiquer, qui pose en sirène digne d’une publicité pour une quelconque marque de cosmétique. On pourra donc être fasciné par les télescopages temporels et géologiques qu’elle met en place (un peu à l’image de Laure Prouvost), comme on pourra parfois avoir envie d’en sourire…

A noter que ce post est le dernier de La République de l’art sous cette forme, après plus de dix ans d’existence et près de 600 articles publiés. Vous pourrez continuer à me suivre sur Instagram et j’interviendrai prochainement sur une forme qui reste encore à définir et dont je vous tiendrai informés. En tout état de cause, je vous remercie et espère vous retrouver bientôt.

-Francisco Tropa, Paésine, jusqu’au 21 avril au NMNM, Villa Paloma (www.nmnm.mc)

– Emilija Škarnulytė, Tethys, jusqu’au 26 janvier à la Citadelle de Villefranche-sur-Mer (www.lacitadellevsm.fr)

Images : vues de l’exposition Francisco Tropa au NMNM-Villa Paloma ; vue de l’exposition d’Emilija Škarnulytė à la Citadelle de Villefranche-sur-Mer (photo François Fernandez)

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