Jean Frémon au plus près des artistes
C’est la rentrée, les galeries rouvrent et les musées proposent de nouvelles expositions après un été où la culture est passée quelque peu au second plan (25% de fréquentation en moins dans les grandes institutions). On va donc pouvoir reprendre les vieilles habitudes et nourrir notre envie d’art, mais en attendant et pour s’y préparer, on peut se plonger dans le livre de Jean Frémon, Probité de l’image, qui vient de paraître à L’Atelier contemporain. Jean Frémon dirige la galerie Lelong, mais il est aussi écrivain, traducteur des essais de David Sylvester sur Bacon et Giacometti et il a publié des romans autant que des textes sur l’art. C’est par le poète Jacques Dupin, dont il était un grand admirateur, qu’il a mis le pied dans le monde des galeries. Alors qu’il avait un poste dans l’édition, celui-ci lui a effectivement proposé de travailler avec lui auprès d’Aimé Maeght, qui en avait ouvert une à Paris. Trois ans après la mort de son épouse Marguerite, Aimé Maeght a souhaité organiser l’avenir de celle-ci en formant une société avec ses principaux collaborateurs : Jacques Dupin, Daniel Lelong et Jean Frémon. Pour des raisons diverses, la galerie a surtout mis en avant le nom de Lelong, qu’elle garde actuellement, mais Jean Frémon en a bien été la cheville ouvrière depuis cinquante ans.
Et c’est ainsi non en théoricien de l’art (qu’il n’est pas), mais en homme de terrain, qui a régulièrement côtoyé les artistes, qu’il écrit ses textes. Pour lui, l’œuvre est bien sûr fondamentale, mais la personnalité des artistes n’est pas à négliger et certaines anecdotes ou petites histoires les concernant sont autant révélatrices que bien des approches analytiques. C’est ce qui fait le prix des textes qu’il réunit dans ce volume et qui, pour la plupart, ne sont pas inédits : une approche sensible plus que critique, une expérience qui permet d’intégrer le cœur même de la création. Bien sûr, on peut lui reprocher d’écrire essentiellement sur les artistes qu’il a pour mission de vendre. Mais comment s’en plaindre, lorsque ceux-ci ont pour noms Miro, Tapiès, Degottex, Kounellis, Kiki Smith, Wolfgang Laib, Jaume Plensa, Sean Scully ou Richard Tuttle ? Et bien sûr, dans cette liste, certains ont une place un peu particulière, comme David Hockney, dont il accompagné l’aménagement ces dernières années en Normandie, suivi de près son travail sur le rythme des saisons et qui a d’ailleurs fait son portrait. Ou Etel Adnan, qui n’a été reconnue que tardivement et qu’il allait voir à Erquy, en Bretagne, où elle vivait avec sa compagne Simone Fattal et peignait cette mer qui la fascinait tant et qu’elle avait sous les yeux. Ou encore la jeune Christine Safa, d’origine libanaise elle aussi, qu’Etel Adnan avait d’ailleurs invitée pour une exposition collective et qui a intégré récemment l’écurie prestigieuse de la galerie.
Qu’est-ce qui, selon lui, réunit ces artistes aux styles et aux pratiques si différentes : « un courage inlassable et des vertus simples : la probité, la noblesse, la grandeur ». « La probité ? poursuit-il. Une chimère dont on se pare et qui n’a de réalité dans personne. (…) Et pourtant, ne suffit-il pas d’écouter la prose de Jean Genêt pour sentir sa présence ? (…) Ne suffit-il pas de croiser le regard d’un autoportrait de Rembrandt pour reconnaître cette lueur ? C’est la vérité que voulait nous dire Cézanne, inexplicable et sûre d’elle-même ». Et c’est celle qui surgit de ces pages lumineuses et amoureuses.
-Jean Frémon, Probité de l’image, Editions L’Atelier contemporain, 248 pages, 25€
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