de Patrick Scemama

en savoir plus

La République de l'Art

Le grand n’importe quoi

OLes aventures de la vérité, peinture et philosophie : un récit. Quel beau titre ! Et quelle ambition ! C’est celle affichée par Bernard-Henry Lévy pour l’exposition qu’il a conçue cet été pour la Fondation Maeght de Saint-Paul de Vence. Une exposition décidée il y a deux ans (le philosophe est un habitué de Saint-Paul), qui a donné lieu à un épais catalogue paru chez Grasset  et surtout à un prêt considérable d’œuvres, venues aussi bien de musées que de collections privées, voire même à la création d’œuvres spécialement créées pour l’évènement  (une grande toile de Kiefer, par exemple, ou une photo de Pierre et Gilles).

Malheureusement, la montagne accouche d’une souris. Car rien ne convainc dans cette exposition ; tout semble plutôt fait pour montrer les œuvres qui plaisent à BHL, mais sans réelle justification. Mais reprenons depuis le début. Le discours qu’entend tenir le philosophe autour de ce sujet passionnant que sont les rapports entre la peinture et la philosophie (tiens, pourquoi simplement la peinture et pas d’autres formes d’art comme la sculpture, pourtant présente dans l’expo, ou la vidéo ou les installations ? Comme si la seule forme d’art digne de dialoguer avec la philosophie était la peinture !), ce discours donc s’articule autour de sept séquences, rythmées comme un des meilleurs épisodes de Dallas. Dans la première, La Fatalité des ombres, BHL part du platonisme qui excluait l’art de la Cité, parce qu’il était du côté, « non de l’être, mais de l’ombre, du reflet, du simulacre, du semblant, du disparaître ». Dans la deuxième, Technique du coup d’Etat (titre très BHLien), il veut montrer comment les peintres, pour légitimer l’image, ont repris le dessus, dès le Moyen-Âge, en inventant la fable de Sainte Véronique, une jeune juive qui, à la sixième station du Calvaire, offre son voile au Christ et voit s’y imprimer son visage. Dans la troisième, La Voie royale, il fait éclater le triomphe des peintres, qui prennent le pas sur les philosophes en les accusant à leur tour d’être du côté du reflet et des apparences. Dans la quatrième, Contre-Être, il s’en réfère à Nietzsche qui aurait permis à la peinture à rompre les amarres avec les « quais de l’Etre », à ne plus renvoyer qu’à elle-même. Dans la cinquième, Tombeau de la philosophie, il va même plus loin en évoquant la peinture qui, prenant le relais de la philosophie, « l’humilie, la moque, la dévore ». Dans la sixième, La Revanche de Platon, c’est la contre-offensive de la philosophie qui, répondant à l’agression, « neutralise la peinture par l’idée ». Dans la septième, enfin, La Grande Alliance, c’est la réconciliation, là « où l’on voit les peintres faire penser les philosophes et les philosophes animer la main des peintres ».

Reyer Jacobsz van Blommendael, Socrate ses deux +®pouses et Alcibiade 300dpiSoit. Mais outre que ce match en sept rounds donne une image totalement fantaisiste de l’histoire de l’art (La peinture et la philosophie ont-elles toujours entretenu, d’abord, des rapports aussi conflictuels ? Et peut-on dire qu’après Nietzsche, la peinture n’a plus renvoyée qu’à elle-même, alors qu’au contraire, c’est le moment où elle cherche le plus la vérité au-delà de l’apparence ? Enfin les peintres ont-ils jamais essayé d’humilier la philosophie ?), il ne tient pas du tout la route sur le choix des œuvres pour l’illustrer. Car si les deux premières séquences s’en sortent à peu près (des œuvres autour de la Caverne de Platon pour la première – mais que vient faire la sérigraphie de chaussures avec poussière de diamant de Warhol ou même la tache de graisse de Beuys au milieu de tout cela ?- et des œuvres de Vouet ou d’un anonyme flamand renvoyant à Sainte Véronique pour la deuxième), que dire de la troisième qui, si l’on s’en tient au découpage fait par BHL, couvre au moins quatre siècles de l’histoire de l’art ? On y voit côte à côte et sans la moindre justification des œuvres de Picasso, Sophie Calle, Rubens, Victor Hugo, Picabia, Philippe de Champaigne, Fernand léger, Jean-Michel Basquiat… j’en passe et des meilleurs. Tout cela n’a aucun sens, une œuvre pourrait prendre la place d’une autre sans que cela gêne quoi que ce soit et, pour tout dire, on a le sentiment d’un grand n’importe quoi. Les autres séquences ne s ‘en tirent guère mieux, faisant même preuve de naïveté (dire qu’avec sa toile, Les Vacances de Hegel, qui représente de manière très malicieuse un verre d’eau perché sur un parapluie ouvert, Magritte « ne continue pas Hegel, mais le dépasse…Il accompagne par la peinture ce dépassement de l’hégélianisme qui est la grande aventure  de la pensée moderne. » relève d’une véritable naïveté) ou d’incompréhension (comment peut-on écrire, à propos de portraits de Proust en canevas de Francesco Vezzoli, qui ne sont que des œuvres queer, ironiques et drôles : « Quand le texte proustien fait penser la main de l’artiste » ?).

On le voit, cette exposition est affligeante. Sous prétexte de discours philosophique, tout n’y renvoie qu’à la subjectivité et à l’ego surdimensionné de son auteur. C’est d’autant plus dommage qu’on imagine l’effort tant en terme d’organisation qu’en terme financier qu’elle a dû représenter. Et elle montre des œuvres qui, prises indépendamment, sont de très grandes qualités (on est heureux, en particulier, de retrouver une toile signée à la fois par Gilles Aillaud, Arroyo, Francis Biras, Lucio Fanti, Fabio Rieti et Nicky Rieti, La Datcha, toile qui représente Althusser, Barthes, Lacan, Lévi-Strauss et Foucault et qui avait disparu depuis 1969). Cerise sur le gâteau, un petit fascicule est distribué à l’entrée et qui commente les différentes œuvres (je l’ai déjà pas mal cité dans cet article). Je ne résiste pas à le faire encore une fois : à propos d’une pièce d’Anthony Goicolea, Super, qui montre en positif et en négatif des gens autour d’une table, voilà ce que BHL écrit : « L’ombre de la Cène. Sa forme dégradée. Pourquoi pas ? ça tient toujours. » Une même désinvolture est à l’œuvre dans toute l’exposition.

Les aventures de la vérité, peinture et philosophie : un récit, Fondation Maeght, 06570 Saint-Paul de Vence, jusqu’au 11 novembre (www.fondation-maeght.com)

Nature morte aux grenadesPS : A propos d’exposition qui mélange tout et n’importe quoi, mais de manière beaucoup plus légère et beaucoup moins prétentieuse, je ne vous ai pas signalé, dans le cadre d’Un Eté pour Matisse, l’exposition qui se tient au Palais Masséna, qui a été « curatée » par le responsable de la manifestation, Jean-Jacques Aillagon him-self, et qui s’intitule Palmiers, palmes et palmettes. Comme son titre l’indique, le thème en est la représentation du palmier, qui a été introduit sur la Côte d’Azur au milieu du XIXe siècle et qui en est devenu le symbole. On y voit donc des œuvres d’artistes du XXe qui l’ont beaucoup peint (Matisse, bien sûr, mais aussi Dufy ou Picasso), à côté d’œuvres anciennes (de nombreuses scènes de bataille où figure la palme du vainqueur), des œuvres religieuses (la palme de la paix), des œuvres contemporaines (des photos de Youssef Nabil ou le « palmier » d’Yto Barrada) ou des affiches publicitaires vantant les charmes de Nice avec palmier à l’appui. C’est charmant, instructif, bien fait et le Palais Masséna est un havre de fraîcheur. Bref, une parfaite exposition pour l’été.

Palmiers, palmes et palmettes, Musée Masséna, 65 rue de France 06000 Nice, jusqu’au 23 septembre (matisse2013.com)

 

Images :

-Gilles Aillaud / Eduardo Arroyo / Francis Biras / Lucio Fanti / Fabio Rieti / Nicky Rieti, La Datcha, 1969. Huile sur toile, 225 x 425 cm. Collection particulière © Photo Amando Casado/ Adagp, Paris 2013

-Reyer Jacobsz. van Blommendaell, Socrate, ses deux épouses et Alcibiade, 1675. Huile sur toile, 210 x 198 cm. Strasbourg, Musée des Beaux-Arts © Photo musées de Strasbourg, Mathieu Bertola

-Henri Matisse, Nature morte aux grenades, 1947, huile sur toile, Musée Matisse Nice, © Succession H. Matisse, photo: François Fernandez

 

Cette entrée a été publiée dans Expositions.

27

commentaires

27 Réponses pour Le grand n’importe quoi

Lou Pintrou dit :

Le « contre Être » de BHL ne serait-il que les « trompe Être » de la renommée?

JMS dit :

Lu dans le BHL en ce qui concerne Marcel Duchamp : »Un artiste qui fait le deuil de son art »
Ne pourrait-on pas dire plutôt qu’il fait un dard de son œil?
-Paysage fautif
-Coin de chasteté.
-Feuille de Vigne Femelle.
-Étant donnés.

Bien à vous.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

*

*