L’Espace de l’Art Concret s’enrichit
L’Espace de l’Art Concret, ce très beau centre d’art de
Mouans-Sartoux dont il a déjà souvent été question dans ces colonnes (cf, par
exemple, https://larepubliquedelart.com/concret-vous-avez-dit-concret/)
vient de rouvrir, avec un nouvel accrochage de ses collections. La
particularité de ce centre, rappelons-le, est d’abriter la collection de
Gottfried Honegger et Sybil Albers, qui furent les chantres de l’art concret,
cette forme d’art née dans les années 30, sous l’impulsion de Théo Van Doesburg
et qui voulait rompre avec la subjectivité et l’expressivité des mouvements
artistiques précédents pour atteindre un mode de représentation de dimension
universelle. Elle compte plus de 700 œuvres qui représentent les multiples
tendances de l’abstraction géométrique et s’est enrichie récemment d’une
donation d’Aurélie Nemours. Ce nouvel accrochage présente d’ailleurs un
ensemble significatif des donations récemment entrées dans le fonds. Aurélie
Nemours n’y est pas présente, mais on y trouve toute une pléiade d’artistes pas
forcément très connus, mais qui ont souhaité continuer à faire vivre cette
collection si particulière et des dons de galeries comme Jean Brolly ou la
galerie Lahumière et de collectionneurs privés.
Parmi les artistes qui ont fait le choix de l’art concret (ou construit), on
peut citer, par exemple, EMMANUEL. C’est dans les années 70 qu’il adopte ce
positionnement artistique. Ce sont les questions d’espace, de plan et de rythme
qu’il privilégie par une approche essentiellement sculpturale. Mais rapidement,
il oriente sa pratique vers un questionnement plus existentialiste, son
interrogation principale se portant sur l’illusion de la surface : qu’y
a-t-il après, derrière la surface des choses ? Commencée à partir de
feuilles de papier Canson blanc, noir ou gris qui sont le support de recherches
formelles, l’œuvre d’EMMANUEL s’est ouverte au verre qui est devenu rapidement
le seul support de ses créations et, dernièrement, à la photo numérique qui lui
permet de capter des formes abstraites dans l’environnement urbain.
Déjà présent dans la collection, l’artiste a fait don, en
2015, d’un ensemble de 38 œuvres et de 6 dessins documentaires. Il occupe donc
une place de choix dans l’actuelle exposition. On y découvre un travail d’un
purisme extrême, basé sur une très grande modestie des moyens (pliage,
découpage, incision) et qui privilégie une approche sérielle afin d’explorer
toutes les potentialités d’un concept. L’espace y est omniprésent, soit par le jeu
des interstices pour le papier, soit par les reflets pour le verre. Mais
l’aspect ludique et la sensibilité n’en sont pas non plus absents.
On pourrait aussi citer Sigurd Rompza, cet artiste né en
1945 en Allemagne. Combinant peinture et sculpture, ses œuvres jouent en toute
géométrie entre surface et espace, entre hauteurs et profondeurs, couleurs et
expériences lumineuses. Ami de longue date de Gottfried Honegger et Sybil
Albers, il a souhaité compléter le fonds de ses œuvres déjà présentes dans la collection
en donnant à l’eac, en 2019, un relief blanc du début des années 1980, ainsi
qu’un de ses derniers travaux jouant sur les modulations colorées (Farb-Licht-Modulierung 2018-8, 2018).
Avec ses variations sur les volumes et les différentes nuances de la couleur
bleu, celui-ci fait aussi partie des pièces qui retiennent l’attention.
Ou John Cornu qui propose une esthétique héritée du minimalisme et du modernisme (monochromie, sérialité, modularité). Invité en 2012 à choisir au sein de la collection une œuvre avec laquelle il entrait en « résonnance », il avait décidé de dialoguer avec une œuvre de Niele Toroni : Empreintes de pinceau n°50 répétées à intervalles de 30cm, 1975. Et il avait conçu une sculpture évoquant l’univers fantastique de l’ouvrage La Fièvre d’Urbicande autant que les productions de Mondrian et du groupe De Stijl, sculpture dont il a fait don à la collection. Celle-ci, avec des œuvres de Jean-François Dubruil, Gerhard Frömel, Fritz Glarner, Imi Knoebel, Guillaume Millet, Valery Orlov, Henri Prosi, Nelly Rudin, entre autres, est au centre de cette exposition, imaginée par Fabienne Grasser-Fulchéri, qui réserve de belles surprises et permet de poursuivre une expérience originale commencée il a près d’un siècle.
A noter que parallèlement, dans la galerie du Château se poursuit une exposition qui aurait dû s’arrêter en mai, mais qui a été interrompue à cause du confinement. Elle est consacrée à l’artiste espagnol Francisco Sobrino, un important représentant de l’art cinétique, co-fondateur du G.R.A.V. (Groupe de recherche d’art visuel) en 1961. Moins connu que les Julio Le Parc ou François Morellet avec lesquels ce groupe fut fondé, Sobrino n’en est pas moins un de ses représentants les plus emblématiques. Comme le dit le dossier de presse : « il explore le rythme et les systèmes combinatoires chers à l’art concret pour répondre, non pas à des problématiques de composition mais aux questionnements fondamentaux dans la création des années soixante, que sont la perception et le mouvement ». A découvrir donc.
–Nouvelles donnes, La collection Albers-Honegger, jusqu’au 7 mars 2021 à l’Espace de l’Art Concret, Château de Mouans 06370 Mouans-Sartoux (www.espacedelartconcret.fr)
Images : Jean-François Dubreuil, QXH2-Neue Zürcher Zeitung n°54 des 6/03/10, 2010, FNAC 2012-133, Centre national des arts plastiques, Espace de l’Art concret, Donation Albers-Honegger, © droits réservés ; EMMANUEL, Sans titre, 2009, FNAC 2012-135, Centre national des arts plastiques, Espace de l’Art concret, Donation Albers-Honegger, © droits réservés ; Francisco Sobrino, Labyrinthe de onze cubes peints blancs et noirs, 1985-2019, Prêt de la Famille Sobrino, Courtesy Galerie Mitterand, Paris, © photo eac © Adagp, Paris 2019
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