de Patrick Scemama

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La République de l'Art
Myriam Mihindou et Hélène Bertin, découvertes de la Verrière

Myriam Mihindou et Hélène Bertin, découvertes de la Verrière

On avait découvert le travail de Myriam Minhindou, cette artiste née au Gabon en 1964 et qui vit à Paris après avoir arpenté de nombreux territoires de la planète, il a deux ans, à la Verrière Hermès de Bruxelles, pour la dernière exposition que Guillaume Désanges y avait organisée (cf Myriam Mihindou, Dalila Dalléas Bouzar: performer c’est soigner – La République de l’Art). Un travail étrange, intriguant, car l’exposition consistait essentiellement en une série de draps posés au sol sur lesquels le visiteur pouvait s’allonger pour regarder le ciel et se sentir en paix avec lui-même. Car au-delà de l’aspect créatif, il s’agissait de soigner, d’apaiser, de réparer les blessures faites par les traumatismes ou les conflits en tous genres. Comme le disait Guillaume Désanges à l’époque : « La pratique de Myriam Mihindou pourrait être qualifiée de curative ou chamanique autant qu’artistique. Voyageuse et nomade, l’artiste travaille en empathie physique avec des environnements, des situations et des perspectives rencontrées, s’attachant à réparer les blessures des corps et des psychés individuelles et collectives causées par différentes formes d’assujettissement ou de domination. »

Devenu directeur du Palais de Tokyo, ce même Guillaume Désanges a invité l’artiste à une nouvelle exposition, sorte de rétrospective qui réunit ses œuvres de ces vingt dernières années. Elle l’a intitulée Praesentia, titre polysémique qui évoque à la fois la présence, la puissance et la protection. Et elle y a réuni des œuvres de toutes natures, puisqu’elle pratique aussi bien la sculpture que le dessin, l’installation, la vidéo, la photographie ou la performance. On y voit, par exemple, des pièces de la série des « langues secouées », qui sont les œuvres dans lesquelles Myriam Mihindou, qui est aussi présente actuellement à la Biennale de Lyon et dans une exposition au Musée des arts premiers du Quai Branly, fait intervenir le langage, un élément fondamental dans son travail, qu’elle explore de multiples manières. Comme le dit aussi Alicia Knock dans un texte reproduit dans la monographie qu’a publiée sa galerie, la galerie Maïa Muller : « Les langues secouées constituent un corpus continu dans le travail de Myriam Mihindou : plus que des œuvres-objets, il s’agit précisément d’un corps à l’œuvre, son corps d’artiste en dialogue avec le verbe, en passant par la médiation de matériaux énergétiques et de soin comme le coton, le cuivre, la cire pour devenir des entités, « hosties », « mots-médecine ». Partagée entre deux langues et de nombreuses eaux mêlées charriant d’autres idiomes (les tout-mondes insulaires, le sismique des mers et des continents), Mihindou consacre depuis une quinzaine d’années une grande partie de sa pratique (…) à l’exploration de perte et de la reconquête successive puis simultanée de la langue française dont elle est experte-analphabète-indocile. »

Cela se traduit par des œuvres qui sont comme des pensées en mouvement, un peu à la manière de Fabrice Hyber, mais dans un autre registre, qui témoignent de la curiosité et de l’ouverture d’esprit de l’artiste. Fille d’une directrice d’hôpital, habituée aux plantes médicinales et aux remèdes, mais aussi grande lectrice du dictionnaire de langue française, dont elle aime à couper des morceaux, Myriam Mihindou, qui a aussi souffert de dyslexie à l’école, croise ses savoirs et fait vibrer le mot dans tous ses registres et ses possibilités. Chez elle, celui-ci n’est pas seulement porteur de sens, mais aussi de vibration et de musicalité.

Mais on y voit aussi d’autres pièces, qui résultent d’autres pratiques et dans lesquelles le corps est toujours inscrit. Comme dans ces savons qui ont déjà servi et auxquels elle donne une nouvelle forme en gardant la trace de la peau qu’ils ont effleurés (la série Fleurs de peau). Ou dans ses vidéos de performance où c’est son propre corps qui, la plupart du temps, est mis en avant (en particulier ses jambes). Ou dans les photos qui sont les témoins des rituels auxquels elle a participé ou auxquels elle s’est elle-même soumise. Le travail de Myriam Mihindou reste toujours mystérieux, mais il possède une force poétique et un caractère envoûtant qui font qu’on n’a pas envie de le quitter des yeux.

La Verrière Hermès de Bruxelles est décidément le lieu de bien des découvertes. Car depuis que Guillaume Désanges est parti, c’est Joël Riff qui est en charge de la programmation et il nous présente actuellement une artiste que l’on connaît très peu, même si elle a bénéficié de plusieurs expositions dans des institutions. Il s’agit d’Hélène Bertin et c’est une artiste singulière, qui vit dans le Lubéron et s’intéresse au milieu naturel qui l’entoure, mais dans un esprit collaboratif, en faisant toujours participer les gens, artisans ou autres, qu’elle y rencontre. Et qu’elle entraîne dans une danse joyeuse, champêtre, populaire. Car sa pratique pourrait se confondre avec une chorégraphie autour de la cueille, une ronde à laquelle participent des plantes naturelles, des sculptures en bois, des poteries ou des tissus teints à l’oignon, à la garance ou au châtaignier.

Ainsi, l’exposition qu’elle propose à Bruxelles, joliment intitulée Esperluette (le logogramme « & », qui résulte de la ligature des lettres de la conjonction « et »), a été pour partie réalisée à la Villa Médicis de Rome où Hélène Bertin a été pensionnaire. Elle rend hommage à la « tammurriata », une danse de campagne à laquelle on s’adonne traditionnellement pour fertiliser le sol et les sens. C’est la raison pour laquelle le plateau de la Verrière est nu, à l’exception d’un mât de bateau placé en son centre, depuis lequel partent des rubans qui s’accrochent aux murs. Elle a été réalisée, outre Hélène Bertin, avec Anne Blanès qui fabrique des bateaux, Aline Cado qui cueille des fleurs, Caroline Nussbaumler qui fait de la poterie, Lola Verstrepen qui colore les fibres et Marion Coiusin qui met à jour le chant traditionnel. Le jour du finissage, fin novembre, un cours de danse populaire sera organisé dans l’espace, suivi d’un concert. C’est dire si l’exposition est festive et si le spectateur est invité à y prendre sa place.

-Myriam Minhindou, Praesentia, jusqu’au 5 janvier au Palais de Tokyo (www.palaisdetokyo.com)

Hélène Bertin, Esperluette, jusqu’au 30 novembre à la Verrière Hermès de Bruxelles (www.fondationdentreprisehermes.org)

Images : Vue d’exposition, Myriam Mihindou, « Praesentia », Palais de Tokyo, 17.10.2024 – 05.01.2025. Crédit photo : Aurélien Mole © ADAGP, Paris, 2024 ; Myriam Mihindou, série Fleurs de peau, 1999-en cours, Vue de l’exposition « Affinités électives », Galerie Maïa Muller (Paris), 2020Courtesy de l’artiste & galerie Maïa Muller (Paris) © ADAGP, Paris, 2024 ; vue de l’exposition d’Hélène Bertin, Esperluette, jusqu’au 30 novembre à la Verrière Hermès de Bruxelles photo Isabelle Arthuis -Fondation d’entreprise Hermès

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