de Patrick Scemama

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La République de l'Art
Quête de soi, ouverture sur le cosmos, exploration des rêves…

Quête de soi, ouverture sur le cosmos, exploration des rêves…

La quinzaine qui commence est sans doute la plus chargée de l’année pour l’art contemporain, avec l’ouverture de la Foire Art Basel Paris, le 16 octobre dans un Grand Palais enfin restauré. Vernissages, nouvelles expositions, rencontres en tous genres, les événements se succèdent à un rythme effréné. Parmi eux, trois n’ont a priori rien à voir sur le papier, mais se rejoignent dans une quête de soi, d’une ouverture sur le cosmos, de l’exploration des rêves…

Le premier est l’ouverture du Musée d’Art et de Culture Soufis à Chatou, près de la Seine, là où venaient peindre les Impressionnistes. Il s’agit du premier musée soufi au monde, qui a vu le jour grâce à l’école de soufisme islamique Maktab Tarighat Oveyssi Shahmaghsoudi (MTO), et son emplacement a donné lieu à de longues recherches, car il fallait trouver un endroit qui soit un peu à l’écart, qui bénéficie d’un jardin et dans lequel le visiteur puisse trouver la paix et la sérénité. Car qu’est-ce que le soufisme ? « Le soufisme, nous est-il indiqué, communément considéré comme la dimension mystique de l’islam, peut également être décrit comme une voie et une méthode de connaissance intérieure ». Et pourquoi un musée sur le soufisme ? « Parce que « tout au long de l’histoire, les soufis ont influencé l’art, la culture et l’architecture du monde entier et y ont apporté d’importantes contributions, qu’il s’agisse des traditions musicales inspirées par des poètes tels que Rûmi (1207-1273) ou de l’architecture islamique majeure, comme l’Alhambra en Espagne ». Enfin, que voit-on dans ce musée ? « Le musée invite le public à s’engager dans le soufisme à travers une collection permanente d’objets historiques qui ont une signification symbolique et qui ont inspiré les chercheurs soufis pendant des siècles, présentés en dialogue avec l’art contemporain », nous est-il encore précisé.

Dans un hôtel particulier de la fin du XIXe siècle qui a été entièrement rénové et qui, de l’extérieur, ne se différencie guère des paisibles maisons qui l’entourent, on effectue donc un parcours sur trois niveaux qui va du premier, qui est le plus matériel et le plus chargé d’histoire, au troisième qui est le plus épuré et le plus spirituel. L’exposition inaugurale, due à Alexandra Baudelot (il y aura en moyenne deux expositions par an dans le musée), s’intitule Un ciel intérieur et elle réunit les travaux de sept artistes contemporains sélectionnés pour leurs liens avec les valeurs soufis et leur relation avec la contemplation. Le plus proche et le plus représentatif de cette pensée est sans doute Younès Rahmoun, qui présente une œuvre dans le jardin et trois autres, qui sont placées aux trois niveaux de l’ascenseur et nécessite donc d’emprunter celui-ci pour les voir (on aura compris la portée symbolique de cet accrochage) : il s’agit d’un ensemble de petites maisons en résine, les deux premières étant associées au cuivre, les sept autres de l’étage intermédiaire formant un tout qui reprend les couleurs du spectre et la dernière, transparente, est elle-même au sommet de trois niveaux. « La base, c’est l’islam, explique Younes Rahmoun, la pratique, ce qui est le plus simple à atteindre, le deuxième niveau, c’est la foi. Le troisième niveau, c’est la spiritualité, c’est connaître Dieu. C’est le niveau le plus élevé, un idéal de pureté totale difficile à atteindre. »

Mais les autres artistes, qui montrent leurs pièces au milieu des objets historiques passionnants de la collection du musée (des cadenas qui rappellent à quel point le soufi doit se libérer des biens matériels et de son ego, des récipients traditionnels en pierre qui représentent le soufi qui, après s’être libéré des ses désirs terrestres, devient réceptif à la direction spirituelle du maître, des manteaux brodés qu’un maître spirituel remet à son successeur, etc.), n’en font pas moins preuve d’ambition : Bianca Bondi présente ses œuvres où la nature est transformée par des expériences chimiques qui font souvent appel à l’eau et au sel ; Seffa Klein, la petite-fille d’Yves Klein, ses peintures nées d’observations scientifiques et dans lesquelles elle utilise le bismuth, un métal non radioactif formé lors des événements les plus énergétiques de l’univers ; Chloé Quenum transcrit en verre soufflé, donc lié à l’énergie vitale, trois mots liés à la pensée soufie : Suf (Laine), Safi (clarté, limpidité) et Sama (sagesse) ; Troy Makaza utilise le silicone tissé pour évoquer les grands thèmes soufis de la transformation des éléments et du symbolisme des plantes ; et Pinaree Sanpitak conçoit une nouvelle série de peinture qui reprend la forme et la dimension symbolique des Kashkūls, ces récipients qui étaient à la base destinés aux aumônes et à contenir de la nourriture et de l’eau. « Le musée, tient à préciser Alexandra Baudelot, crée un espace de dialogue entre les publics et les artistes, pour les personnes de toutes confessions ou sans appartenance religieuse ».

La connaissance de soi, le cosmos, c’est aussi ce qui caractérise (mais un peu par hasard comme le dit Jeanne Brun, la commissaire de l’exposition), le travail des quatre artistes retenus pour le Prix Marcel Duchamp 2024 qui, comme chaque année désormais, se tient au Centre Pompidou et qui sera décerné le 14 octobre. Et comme chaque année : deux garçons et deux filles (enfin, pas tout à fait, car cette année, un duo constitué d’un garçon et d’une fille a été sélectionné). Gaëlle Choisne montre son univers fait d’hybridation, de métissage, de collage qu’elle projette dans un monde futur, plus accueillant et plus bienveillant ; Abdelkader Benchamma dessine à même les murs des tracés géologiques, mi abstraits-mi-figuratifs, qui passent du monde visible au spirituel ; Noémie Goudal se nourrit de paléoclimatologie pour concevoir une installation vidéo qui parle « d’extinction et de renaissance du monde » ;  et le duo fille-garçon, Angela Detanico et Rafael Lain, transpose dans un langage visuel les noms des mers de la lune ou d’autres astres et joue sur la manière dont les sciences anciennes envisageaient la correspondance entre microcosme et macrocosme. C’est cette dernière proposition, très poétique, élégante, et qui utilise parfaitement l’espace qui lui est imparti, qui nous semble la plus réussie.

Enfin, si vous passez par le Centre Pompidou, ne manquez pas la surprenante exposition d’Apichatpong Weerasethakul dans l’espace dans lequel se trouvait il y a peu l’atelier de Brancusi. Apichatpong Weerasethakul, on le connait pour ses films de cinéma, comme Tropical Malady ou Oncle Boonmee, qui sont à mi-chemin entre la fiction et le film d’art et qui plonge le spectateur dans un état hypnotique, où le temps semble être aboli. Mais on connait moins bien son travail purement plasticien, qui est encore plus expérimental. C’est ce que montre l’exposition du Centre Pompidou, qui a complètement occulté l’espace de jour et de lumière qu’était l’atelier Brancusi pour en faire un espace sombre et nocturne. Là, les seules lumières qui apparaissent sont celles des vidéos qui sont projetées tout au long du parcours, tantôt sur de grands ou de petits écrans, suspendus ou visibles des deux côtés d’une même paroi. Et ce que montrent ces vidéos, ce sont des phénomènes naturels, des effets de soleil sur l’eau, des yeux qui rappellent les expériences surréalistes ou des fragments de vie qui constituent un journal intime. C’est comme un rêve éveillé, où la musique joue aussi un rôle essentiel, une sorte de parcours où les images se superposent, sans lien les unes avec les autres, mais qui finissent par constituer une expérience immersive dans laquelle on perd ses repères. C’est beau, contemplatif et presque plus convaincant, d’une certaine manière, que les longs-métrages de l’auteur. A noter d’ailleurs que ces derniers seront projetés en intégralité, lors d’une rétrospective organisée par le Centre (du 2 octobre au 9 novembre).

-Musée d’Art et de Culture Soufis MTO, 6 avenue des Tilleuls 78400 Chatou (à deux cents mètres du RER, www.macsmto.fr)

-Prix Marcel Duchamp et Apichatpong Weerasethakul, Particules de nuit, jusqu’au 6 janvier 2025, au Centre Pompidou (www.centrepompidou.fr)

Images : Façade, MACS MTO. Avec l’autorisation du Musée d’Art et de Culture Soufis MTO. Photo par Flint Culture ; Younes Rahmoun, Manzil-Tayf (House-Spectrum), 2021. Courtesy of the artist and Galerie Imane Farès. Photo by Tadzio; Chloé Quenum, Untitled, 2024, verre soufflé., Avec l’autorisation du Musée d’Art et de Culture Soufis MTO, l’artiste et Martina Simeti. Photo par, Flint Culture; Angela Detanico et Rafael Lai,  Flowering of Light, 2024, Double projection, 26 min 45 sec, Courtesy des artistes et de la Galerie Martine Aboucaya, Photo © Centre Pompidou, MNAM-CCI/Bertrand Prevot/Dist. GrandPalaisRmn ; Apichatpong Weerasethakul, For Bruce, installation vidéo DR

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