Une rentrée surréaliste
L’évènement de la rentrée, c’est bien sûr l’exposition consacrée au surréalisme qui se tient au Centre Pompidou. Un surréalisme qui fête cette année son centième anniversaire et auquel de nombreuses expositions ont été consacrées ces dernières années (comme par exemple, Le Surréalisme et l’objet), mais pas de manière globale. Car l’ambition des commissaires, Didier Ottinger et Marie Sarré, est de montrer à la nouvelle génération l’intégralité de ce mouvement, que l’on a souvent limité à la période allant jusqu’au début de la Guerre, alors que sa dissolution officielle n’a eu lieu qu’à la fin des années 60 et qu’il s’est donc poursuivi sur plus de quatre décennies. Et l’ambition est aussi d’intégrer les artistes femmes, qui ont souvent gravité autour de lui, mais qui ont été la plupart du temps négligées par ses instances décisionnaires (on connaît le machisme et l’homophobie de Breton et la très belle exposition qui s’était tenue l’an passé au Musée de Montmartre, Surréalisme au féminin ?, cf La parole aux femmes – La République de l’Art (larepubliquedelart.com), avait déjà souligné cet aspect des choses). Enfin, le but était de montrer le manuscrit original du document fondateur, Le Manifeste du Surréalisme, qui est prêté à titre exceptionnel par la BNF.
C’est ainsi que le cœur de l’exposition est la salle où est présenté sous vitrines ce document précieux, associé à une sorte de diaporama qui retrace de manière très pédagogique et très claire l’histoire de ce mouvement, par la voix d’André Breton recomposée par l’intelligence artificielle, Tout autour, après une entrée par un sas qui évoque la façade du cabaret L’Enfer, situé sous les fenêtres du poète, les salles s’enchainent, sous la forme du labyrinthe, comme aimait à la faire Marcel Duchamp, le grand ordonnateur des expositions surréalistes. Les principaux thèmes sur lesquels s’est fondé ce mouvement (le rêve, la psychanalyse, Alice au pays des merveilles, les forêts, la nuit, l’érotisme, etc.) servent de pivots à la réunion d’œuvres qui touchent autant à la peinture, qu’à la sculpture, au cinéma ou à la poésie, car, faut-il le rappeler, le surréalisme était pluridisciplinaire et ne se cantonnait pas aux seuls arts plastiques. Il ne se limitait pas non plus à Paris, même à la France, mais essaimait en Europe, voire jusqu’en Asie et en Orient, et c’est ce que montre aussi l’exposition.
Elle fait intervenir ses représentants les plus illustres : Chirico, Dali, Ernst, Tanguy, Magritte, Dorothea Tanning, Leonora Carrigton ou encore Toyen et Wilfredo Lam y sont présents avec leurs œuvres les plus représentatives. En tout, ce sont près de 300 œuvres, tirées des collections du Centre, mais aussi venues des plus grands musées du monde comme le MoMA ou le Kunstmuseum de Bâle, qui la nourrissent. Paradoxalement, elle montre aussi la difficulté qu’il y a à circonscrire un mouvement aussi vaste, car même si bien des préoccupations restent communes, le surréalisme d’après-guerre est bien différent de la première période, celle, par exemple, où il s’oppose violemment au fascisme montant, et il n’est pas exempt de contradictions : c’est ainsi que l’on apprend que l’artiste irlandaise Ithell Colqhoun a été exclue du mouvement parce qu’elle faisait partie de cercles alchimistes, alors que dans le même temps, les surréalistes vénéraient les sciences occultes et la recherche de la pierre philosophale !
A noter que parallèlement à l’exposition du Centre Pompidou, une quarantaine de galeries et une dizaine de librairie parisiennes célèbrent le centenaire de mouvement adepte de l’écriture automatique. C’est le cas, par exemple, de la galerie Pauline Pavec, qui montre, en collaboration avec la galerie Boquet, les œuvres de deux artistes femmes au destin similaire : Jacqueline Lamba, qui fut l’épouse de Breton, et Dora Maar, qui fut la muse de Picasso. Et d’autres galeries présentent des œuvres historiques en lien avec des artistes contemporains, ce qui est passionnant, car même s’il n’existe plus officiellement, le surréalisme continue d’influencer bon nombre d’artistes de notre époque.
A commencer peut-être par Ali Cherri, qui a fait du regard un thème essentiel de son travail (il cite souvent la fameuse scène de l’œil coupé du Chien andalou de Bunuel) et à qui la définition, empruntée à Lautréamont, que les surréalistes donnaient de leur travail (à savoir, « la rencontre fortuite, sur une table de dissection, d’une machine à coudre et d’un parapluie ») semble s’appliquer parfaitement. Car ce qui caractérise la pratique de ce très sensible artiste dont il a déjà souvent été question dans ces colonnes (cf, par exemple, Ali Cherri ensorcelle « Le Barrage » – La République de l’Art (larepubliquedelart.com)) et qui a grandi au Liban pendant la guerre, c’est la question de la greffe, de l’hybridation, de la rencontre entre deux éléments qui n’ont a priori rien à voir l’un avec l’autre, mais qu’il réunit comme pour panser une blessure ou au contraire souligner la fracture. C’est encore le cas dans l’exposition qu’il présente actuellement à la galerie Imane Farès et qui a pour titre : A Monument To Subtle Rot. Là, ce sont deux immenses sculptures qui nous accueillent, faites dans les matériaux les plus antagonistes qu’on puisse imaginer : le bronze, qui est inaltérable et qui est la marque des puissants, et l’argile, qui est au contraire fragile et qui appartient au monde des faibles, que les éléments peuvent engloutir à tout instant. Car c’est d’histoire et de pouvoir dont il est question dans cette petite mais étonnement ambitieuse exposition, de la manière dont les choses peuvent s’inverser, comment le matériau pauvre peut contaminer le matériau fort, comment le dominé peut faire vaciller les structures dominantes ou, à l’inverse, comment celles-ci reposent sur du sable et comment le temps peut modifier la perception qu’on en a.
Au côté de ces œuvres très fortes et immédiatement lisibles (peut-être trop, diront les esprits chagrins), Ali Cherri montre une série d’aquarelles de pommes, qui font référence au travail de Giacometti auquel il s’est confronté récemment (cf Ali Cherri, Jean-Charles de Quillacq: la tête et les jambes – La République de l’Art (larepubliquedelart.com). Mais ces pommes sont toutes à différents stades de pourrissements, elles aussi sont victimes de cette contamination qui va bientôt les amener à la disparition ou à la ruine, comme le sont les oiseaux morts ou les voitures accidentées qui hantent l’univers de l’artiste. Ce qui est fascinant chez lui -et constitue la preuve évidente de son talent- c’est de voir à quel point le sens découle naturellement de la forme et n’est jamais plaqué artificiellement. Peu d’artistes de sa génération parviennent à ce parfait équilibre.
Enfin -et cela n’a pas directement à voir avec le surréalisme, il faut réserver sa journée du jeudi 19 pour se rendre au Musée d’Orsay qui organise, à l’initiative de Thomas Lévy-Lasne, Le Jour des peintres. En fait, depuis plusieurs années et en plus de ses activités propres, l’artiste a lancé une chaîne sur YouTube, Les Apparences, qui donne la parole à environ 80 peintres figuratifs français. C’est une manière, pour lui, de répondre à l’art conceptuel qui a trop longtemps occupé le devant de la scène en France et empêché la peinture d’avoir la place qu’elle méritait. Et il est parvenu à convaincre le Musée d’Orsay d’ouvrir ses portes, le temps d’une journée, à ceux qui n’ont jamais abandonné le médium pictural. Ainsi, le 19, de 14h à 21h30, on pourra déambuler dans les allées de l’institution et rencontrer ces artistes qui ont choisi l’œuvre près de laquelle ils voulaient être vus et à côté de laquelle ils ont accroché la leur. Parmi eux, certains qu’on aime particulièrement : Mathieu Cherkit, Jean Claracq, Nathanaëlle Herbelin, Christine Safa, Gérard Traquandi, Elené Shatberashvili, Agnès Thurnauer, Xie Lei, Thomas Lévy-Lasne, entre autres…
–Surréalisme, jusqu’au 13 janvier au Centre Pompidou (www.centrepompidou.fr). Pour les galeries et librairies participant à l’anniversaire du centenaire, voire la liste complète sur www.comitedesgallariesdart.com.
-Ali Cherri, A Monument To Subtle Rot, jusqu’au 20 décembre à la galerie Imane Farès, 41 rue Mazarine 75006 Paris (www.imanefares.com)
–Le Jour des peintres, jeudi 19 septembre de 14h à 21h30 au Musée d’Orsay (www.musee-orsay.fr)
Images : Grace Pailthorpe, May 16, 1941, Huile sur toile montée sur carton, 38,1 × 48,3 cm, Tate. Purchased, 2018 , Ph © Tate, Droits réservés ; Suzanne van Damme, Composition surréaliste, 1943, Huile sur toile, 90 × 100 cm, RAW (Rediscovering Art by Women), Ph © Collection RAW (Rediscovering Art by Women), Droits réservés ; vue de l’exposition d’Ali Cherri A Monument To Subtle Ro à la galerie Imane Farès, Ph © Tadzio ; Mathieu Cherkit, La grande bagarre, 2022, Huile sur toile, 100 x 81 cm, Courtesy de l’artiste et galerie Xippas Photo: Frédéric Lanternier
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