de Patrick Scemama

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La République de l'Art
Valentin Carron, Catherine Viollet: d’après

Valentin Carron, Catherine Viollet: d’après

On connaissait le travail d’appropriation de Valentin Carron, cet artiste suisse qui s’ingénie à reproduire, mais dans un autre matériau, des éléments vernaculaires de l’environnement, le Valais, dans lequel il évolue. Cela va de monuments anonymes à des sculptures de l’espace public auxquelles il redonne une nouvelle forme d’existence, sans forcément nommer ses sources. Ou à mouler un morceau de bois à la forme particulièrement phallique -sorte de métaphore de la virilité de l’homme d’affaires dans le bureau duquel il l’a découvert- pour en faire une édition en aluminium (Villa Flora, 2008). Tout cela était très intelligent, cultivé, avec une pointe d’humour, un peu de désenchantement aussi, mais surtout une distance, une forme de froideur propre au conceptualisme de la pratique.

L’exposition qu’il présente actuellement chez kamel mennour, Bonjour Monsieur Serpent, rompt avec cette logique. Elle fait preuve au contraire d’une grande tendresse et d’une émotion qui semble résulter de l’expérience personnelle. L’idée en est simple : c’est en puisant dans les relations qu’il entretient, en tant que père, avec ses enfants (un thème pas si souvent exploité dans les représentations familiales) ou avec ses animaux, que Valentin Carron a imaginé une série de sculptures dans lesquelles un homme tient un enfant par la main ou sur ses épaules, ou un chien dans les bras. Et il les a réalisées en pâte à modeler qu’il a empruntée à ses filles. Il les a ensuite cuites dans le four de sa propre cuisine avant de les scanner, de les agrandir et de les resculpter de manière imprécise dans un bloc de mélèze, le bois le plus ancien que l’on trouve dans sa région, celui dont on fait les chalets. Enfin, il les a lui-même peintes en proposant des variations de couleurs.

C’est donc un tournant total dans l’œuvre de l’artiste, car, outre sa sentimentalité assumée, elle revient à la question de la main, de son intervention directe sur le matériau (même si, à l’inverse d’un Stephan Balkenhol, par exemple, il n’a pas lui-même taillé le bois). Pour autant, elle ne constitue pas un renoncement, car bien des aspects sont dans la continuité de ses travaux précédents. C’est ainsi que le rapport au vernaculaire est toujours très présent, puisque le bois sculpté est une tradition des pays de montagnes. C’est ainsi que l’histoire de l’art en est toujours le fil conducteur, puisque Valentin Carron n’a pas seulement imaginé des pères en compagnie de leurs enfants, il s’est aussi approprié des figures de tableaux ou de sculptures célèbres (le fameux « Tireur d’épine » antique et le Pèlerin, cette figure dans laquelle Courbet s’est lui-même représenté dans le tableau surnommé « Bonjour, Monsieur Courbet » et qui est aussi l’image de l’artiste se rendant en Italie pendant la Renaissance, en franchissant les Alpes suisses). Au sous-sol de la galerie, d’ailleurs, une vidéo tranche avec le reste : c’est celle d’une flaque d’eau qui se répand et trace son propre sillage. Et c’est aussi l’image, représentée un peu plus loin, du serpent, un motif que l’on retrouve dans les ferronneries des façades Art Nouveau de Zurich et qui était déjà le moteur de l’intervention de l’artiste dans le Pavillon Suisse lors de la Biennale de Venise de 2013 (d’où le nom de l’exposition). Comme le dit joliment Christian Alandete dans le communiqué qui accompagne celle-ci : « Le reptile permet de tracer une ligne dans l’espace orientant le parcours du visiteur, à moins qu’il n’évoque le passé de skateur de l’artiste « snakant » ses camarades pour mieux leur passer devant. »

Catherine Viollet, elle, ne pratique pas l’appropriation, mais s’inspire de… Cette artiste, dont le nom est un peu oublié aujourd’hui, fut la seule femme à faire partie de la Figuration libre, ce mouvement né dans les années 80 grâce à l’exposition Finir en beauté organisée par le critique Bernard Lamarche-Vadel et auquel participaient François Boisrond, Robert Combas et Hervé Di Rosa. Mais alors que ses confrères masculins s’intéressaient surtout à la BD ou au rock, Catherine Violet se passionnait pour la sculpture et, plus spécifiquement celle de Maillol dont elle pouvait observer les œuvres au Jardin des Tuileries. « Ce qui m’intéressait, dit-elle, dans ces sculptures, c’était la tension et la ligne. Et c’est elles que j’essayais de retrouver dans la peinture ». Elle le faisait sur de grandes toiles, dont certaines étaient des envers de skaï ou de tissus colorés, et où les figures nues sont entourées de motifs décoratifs qui se répètent, comme dans les œuvres des Nabis (une source d’inspiration bien peu dans l’esprit de l’époque).

Continuant son travail de défrichage et de relecture de l’histoire de l’art, Loeve&Co a eu la bonne idée de remontrer ces œuvres qui dormaient depuis plusieurs années (certaines n’étaient même plus sur châssis) en les confrontant aux œuvres de Maillol qui les ont inspirées. Et l’on voit donc différentes sculptures du Maître, mais aussi des peintures, puisque c’est par la peinture qu’il a commencé son parcours. Entre les toiles aux couleurs chatoyantes de Catherine Violet et elles, le dialogue renaît et il célèbre la femme dans sa puissance, dans sa sensualité, dans son autorité formelle. Comme le disait l’artiste à propos de celles qu’elle nomme ses « héroïnes » : « je souhaite que l’on sente qu’elles sont au repos entre deux phases actives : fortes, puissantes, elles apparaissent disponibles après avoir combattu et avant d’entreprendre de nouveaux combats ».

-Valentin Carron, Bonjour Monsieur Serpent, jusqu’au 28 janvier à la galerie kamel mennour, 5 rue du Pont de Lodi 75006 Paris (www.kamelmennour.com)

-Aristide Maillol et Catherine Viollet, jusqu’au 14 janvier à la galerie Loeve&Co Marais, 16 rue de Montmorency 75003 Paris (www.loeveandco.com). A noter que dans son espace sur rue, la galerie présente une belle série de dessins de Beatrice Wood, cette artiste américaine  morte en 1998, à l’âge de 105 ans, qui fut la maîtresse de Duchamp, que l’on surnommait affectueusement « Mama of Dada » et qui attribuait sa longévité au chocolat et aux jeunes hommes.


Images : Valentin Carron, L’homme et l’enfant, 2022, Mélèze, peinture émail, 89,5 x 41,5 x 118 cm, Socle 75 x 127,5 x 51,5 cm ; Le tireur d’épine, 2022, Mélèze, peinture émail, 43,5 x 40,5 x 31,5 cm, Socle 20 x 80 x 70 cm © Valentin Carron Photo. Archives kamel mennour / Julien Gremaud, Courtesy the artist and kamel mennour, Paris; vue de l’exposition Maillol Catherine Viollet à la galerie Loeve&Co Photo Fabrice Gousset

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