de Patrick Scemama

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La République de l'Art
Terry Haass, l’amie du couple Hartung Bergman

Terry Haass, l’amie du couple Hartung Bergman

Située un peu à l’écart, sur les hauteurs d’Antibes, dans un jardin de 1500 m2 planté d’oliviers, la Fondation Hartung Bergman a ouvert ses portes en 2022 et elle est dirigée par Thomas Schlesser, l’auteur du roman à succès Les Yeux de Mona (cf « Les Yeux de Mona » ou le mariage difficile de l’histoire de l’art et de la fiction – La République de l’Art (larepubliquedelart.com). Depuis son ouverture, elle est devenue une étape incontournable dans le parcours « arty » de la Côte d’Azur. C’est la maison dans laquelle vécurent et travaillèrent Hans Hartung et Anna-Eva Bergman, bâtie dans un style architectural cubique et blanc leur rappelant la maison qu’ils avaient habitée, avant la Guerre, à Minorque, et qui leur avait laissé à la fois d’excellents et de mauvais souvenirs (on les avait pris pour des espions). On y trouve leurs ateliers respectifs et celui de Hartung est resté en l’état : constellé de taches de peinture (à la fin de sa vie, il peignait avec un ingénieux système de pistolets qui éclaboussaient littéralement les toiles), avec son fauteuil roulant spécialement conçu pour lui au milieu et tout autour tous les ustensiles (brosses, pinceaux traditionnels, mais aussi outils en tous genre) dont il se servait pour obtenir les effets voulus, il donne l’impression que l’artiste vient de le quitter et qu’il s’apprête à revenir sans tarder terminer le tableau qu’il a entrepris.

D’ordinaire, ce sont les œuvres des deux anciens habitants de la maison, qui héberge aussi un centre de recherche, qui sont présentées. Mais cette année, l’exposition qui vient d’ouvrir, Le Partage du sensible (le titre est emprunté au philosophe Jacques Rancière), intègre une troisième personne : l’artiste Terry Haass, qui fut une intime du couple. Elle fit la connaissance d’Anna-Eva Bergman en 1951 en Norvège et devint rapidement son amie. Avec elle, elle partageait un destin tragique et une vie d’exil : née en 1923 en Tchécoslovaquie, elle a dû fuir son pays, parce que juive, et que les nazis ont assassiné son père. Comme elle, elle a pâti du fait d’être une femme dans un milieu très masculin et comme elle, elle s’est sentie déracinée jusqu’à sa mort à Paris en 2016 (les deux femmes s’exprimaient entre elles en allemand). Après qu’Anna-Eva Bergman et Hans Hartung se soient séparés une première fois, elle servit d’intermédiaire pour les remettre en contact et faire en sorte que leur couple se ressoude.

Mais ce ne sont pas que les aléas de l’Histoire qui firent qu’elle se sente proche des deux artistes. Avec Hartung, elle partageait un goût pour l’abstraction lyrique, pour le chaos et le moment précis où les formes émargent et se fondent, qu’elle traduisait dans des estampes qui sont parfois étrangement proches de celles du Maître allemand. Mais en revanche, elle n’était jamais complètement abstraite comme l’était Hartung et c’est là où elle rejoignait Anna-Eva Bergman qui partait toujours de phénomènes naturels, de paysages ou de choses vues. Elles avaient en commun une même passion pour les pierres (Terry Haass avait été aussi archéologue), la psychologie (elles se conseillaient mutuellement certains livres), la spiritualité et la science, mais faisaient aussi preuve d’humour et d’un même sens de la dérision. Enfin, il faut se souvenir qu’Anna-Eva Bergman, jusqu’il a y peu, n’était pas reconnue à l’égal de son compagnon et que Terry Haas était une des seules à la soutenir, voire à lui rendre hommage, comme elle a pu le faire sous la forme d’un portfolio composé de collages lithographiés et d’une importante sculpture qui est au Centre d’art Henie-Onstad d’Høvikodden en Norvège (outre la gravure, son médium privilégié était la sculpture, particulièrement en plexiglas).

En fait, Anna-Eva Bergman avait fait cadeaux de plusieurs toiles à Terry Haass et c’est à l’occasion d’une donation issue de la succession de celle-ci que l’exposition a vu le jour. On y voit donc, outre un ensemble d’archives, de lettres et de photos relatives aux trois amis, des œuvres d’Anna-Eva Bergman, d’autres de Hartung et d’autres, enfin de Terry Haas. Et si les estampes du début font peut-être un peu trop penser à celles de l’élément masculin du trio, les collages plus tardifs et qui sont donc plus proches des compositions plus structurées d’Anna-Eva Bergman étonnent par leur rigueur et leur modernité : réalisés en plans nets, qui se superposent de manière très lisible, jouant sur les différentes valeurs des couleurs, rappelant des paysages ou des vues du ciel, ils font aussi penser à la poésie, à la simplicité et à la grande sagesse d’une Etel Adnan.

Le partage du sensible, Hans Hartung, Anna-Eva Bergman, Terry Haass, jusqu’au 27 septembre à la Fondation Hans Hartung et Anna-Eva Bergman, 173 chemin du Valbosquet 06600 Antibes (www.fondationhartungbergman.fr)

Images : Terry Haass, Fragments of Spitsbergen, 2007, lithographie en couleur en hommage à Anna-Eva Bergman, Revue K, Paris (1) ; Anna-Eva Bergman, N19-1981 Double horizon, 1981, acrylique et feuille de métal sur toile, 97 x 162 cm ; Anna-Eva et Terry Haass, 1984, Antibes, épreuve gélatino-argentique, 33,4 x 16,2 cm, photographie Hans Hartung

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