de Patrick Scemama

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La République de l'Art
2015 débute en peinture

2015 débute en peinture

Etrange atmosphère, samedi dernier, dans le Marais, pour la rentrée des galeries parisiennes. On était à la fois heureux de retrouver le milieu de l’art, après cette pause des vacances de fin d’année, et profondément perturbés par les évènements qui avaient secoué la France quelques heures plus tôt. Certaines galeries avaient d’ailleurs envisagé de reporter leur vernissage de quelques jours. D’autres affichaient un « Je suis Charlie » sur leur site web et leur devanture (et le Palais de Tokyo laissait carte blanche aux artistes – en particulier ceux du « street art » – pour exprimer leur solidarité). D’autres, enfin, faisaient comme si de rien n’était, ce qui est peut-être une des meilleures réponses à apporter à la déstabilisation et au dysfonctionnement que souhaitent engendrer les terroristes. Mais le cœur n’y était pas vraiment et on avait un peu de mal à se concentrer sur les œuvres, entre deux coups d’œil sur les smartphones pour avoir de nouvelles informations sur l’actualité en cours.

S’il est une constatation qui s’impose, en tous, cas, dans ces premières expositions de l’année 2015, c’est la présence très forte de la peinture. Longtemps délaissé en France ou considéré comme passéiste, ce médium est en train de retrouver la place qui lui est due et que ne lui ont jamais contestée les autres pays européens comme l’Allemagne et l’Angleterre. Il y a d’ailleurs en France toute une génération de jeunes peintres talentueux, certains (Mathieu Cherkit, Guillaume Bresson, Armand Jalut, Mireille Blanc, etc) dont il a déjà été question dans ces colonnes, d’autres (Thomas Lévy-Lasne, Damien Cadio, Emmanuel Bornstein, entre autres) dont il faudra parler bientôt. Mais pour l’heure, c’est un allemand qui ouvre le bal, Jonathan Meese, qui présente chez Daniel Templon sa nouvelle exposition : Parsifal de Large. Jonathan Meese, on le connaît pour ses outrances, ses provocations, sa peinture trash et pleine d’empâtements, sa manière de surfer sur l’histoire de son pays pour faire l’apologie, mi sérieux, mi ironique, de « la dictature de l’art ». Depuis quelques temps, le peintre, qui est aussi sculpteur, s’intéresse beaucoup au spectacle vivant et il a signé les décors, entre autres, d’une Médée de Charpentier présentée il y a deux ans au Théâtre des Champs-Elysées, dans une mise en scène de Pierre Audi. Fort de ces succès, il avait même été pressenti par la direction du prestigieux Festival de Bayreuth pour réaliser, en 2016, la mise en en scène et les décors de la nouvelle production de Parsifal. Mais pour des raisons qui nous échappent (le motif invoqué serait le coût trop excessif de la production, mais on imagine bien que d’autres éléments, d’ordre artistique ou politique, sont aussi entrés en jeu), le festival wagnérien est revenu sur sa décision et a décidé d’annuler cette participation.

meese_die_kleine_frischzllenkur - copieL’exposition qu’il propose chez Daniel Templon est donc un ensemble de peintures et de dessins qui ont servi à la préparation de ce spectacle et auquel il associe le héros ultra-violent d’Orange mécanique de Stanley Kubrick, Alex de Large (d’où le titre de l’exposition : Parsifal de Large). Car pour Jonathan Meese, le « festival scénique sacré » wagnérien renvoie au caractère énigmatique et à la puissance formelle qu’il associe à sa propre création ; la spiritualité qui s’en dégage serait aussi celle qui irrigue son propre travail.  On y voit ainsi les différents personnages du drame (Parsifal, Amfortas, Kundry, Klingsor et les autres, mais aussi lui-même), transfigurés dans des tableaux rageurs et lyriques, où les références mythologiques, historiques et politiques abondent, où les allusions sexuelles sont nombreuses, où l’humour et le grotesque ne sont jamais loin. Jonathan Meese met beaucoup d’énergie et de créativité dans son travail et, dans cette série d’œuvres, il use d’une palette particulièrement riche et brillante et fait preuve d’une réelle inspiration. Mais à voir certaines toiles, comme celle du « bébé » de Kundry (?) avec des mains de crapaud en plastique, on comprend que la direction du Festival de Bayreuth ait pu s’affoler de ce qu’il envisageait de montrer sur le scène mythique et qu’elle ait préféré couper cours à l’expérience. Et puis, quelques mois plus tôt, au cours d’une performance, l’artiste n’avait pas hésité à faire le salut nazi. Traduit en justice, il a été relaxé depuis, mais on imagine que, pour cette œuvre à la portée symbolique déjà très ambigüe, le Festival ne voulait pas prendre de risque supplémentaire…

Plus soft et plus élégiaque est la peinture de Guillaume Mary, cet artiste qui avait bénéficié d’une belle exposition l’an passé à Ivry (cf http://larepubliquedelart.com/decouvertes-ivry/) et qui expose aujourd’hui chez Frédéric Lacroix, le galeriste qui le représente. A l’inverse de Jonathan Meese, Guillaume Mary ne charge ses toiles ni en matière ni en références multiples, mais joue la transparence, la légèreté, la fluidité, la trace, au prix d’une discrétion parfois presque trop grande. Dans cette nouvelle exposition, intitulée Extérieurs, il présente une série de peintures de différents formats qui sont, comme il le dit lui-même, « des extérieurs divers, des constructions de bois temporaires, des clochers, des pilotis, un parc de juillet, des maisons enneigées, des fleurs amples, des fabriques désertées, des plantes grasses, des habitats de toiles, une barque plate et une route de la jungle ». C’est à la fois simple et délicat, poétique et raffiné, et, dans un choix de couleurs peut-être plus restreint que d’habitude, il y a comme une fraîcheur à entrer dans ce monde qui n’en a pas complètement fini avec l’enfance.

Simple, le travail du californien Matthew Chambers, qui expose à la galerie Praz-Delavallade, l’est dans le principe, qui consiste à découper des lanières dans des toiles déjà peintes et à les assembler pour créer de nouveaux tableaux, tous de format identique. Mais sur le plan du concept, il se révèle plus complexe, car le but de ce jeune artiste (il est né en 1982) est de faire en sorte que les images qu’il crée ne se perdent jamais, qu’elles entrent dans un mouvement perpétuel. Et plutôt que la qualité intrinsèque d’un tableau, ce qui lui importe est le temps qu’il y a passé et qui lui a permis de ralentir son processus de création à une époque où, justement, tout s’accélère. « J’ai voulu défaire l’objet de son ego, précise-t-il dans le communiqué de presse, pour ainsi vaciller entre réussi et raté, bon ou mauvais, des catégories qui vont de pair avec la tentation de la perfection. Avec ceci à l’esprit, je n’ai jamais eu à me demander si ce que je réalisais était de l’art ou ce que mon travail pouvait apporter, parce qu’il n’y avait pas d’obligation de résultat. La question que ma création pose est de savoir comment chaque moment a été vécu. » Le résultat peut sembler formaliste, mais il crée une belle dynamique à l’intérieur des toiles et invite le spectateur à une multitude de lectures possibles.

Pour preuve de l’omniprésence de la peinture en ce début d’année, il faut aussi citer The Shell, l’exposition conçue par Eric Troncy à la galerie Almine Rech. Là, le commissaire s’inspire d’une réflexion du critique américain Peter Schjeldahl  sur la possibilité que l’on a aujourd’hui d’appréhender l’histoire de l’art pour construire une exposition qui rassemble une vingtaine d’artistes de différentes générations sur un mode « Google », c’est-à-dire sans ordre ni hiérarchie, dans un panorama sans chronologie, avec des styles totalement disparates, tels qu’il peuvent apparaître sur le moteur de recherches. Bref, dans les différentes salles de la galerie, les tableaux sont à touche-touche, sans qu’aucune raison apparente ne semble déterminer l’accrochage. On peut trouver un peu léger l’argument curatorial (la permanence du médium « peinture » par rapport au flux d’images que l’on ingère quotidiennement), mais il permet de voir de bons artistes (David Hockney, Bridget Riley, John Currin, Bertrand Lavier, Erik Lindman, etc) à côtés de stars du marché ou de phénomènes de mode (Christian Rosa, David Ostrowski, Josh Smith et Alex Israel, Richard Phillips, entre autres).

Rober ZandvlietEnfin, une des expositions les plus marquantes de cette immersion dans l’art rétinien est celle de Robert Zandvliet présentée à la galerie Jean Brolly. Robert Zandvliet n’est plus ce qu’on peut appeler un jeune peintre (il est né en 1970), mais son travail est mal connu en France, alors qu’il a déjà été montré dans de nombreuses institutions à l’étranger (il a déjà bénéficié, en 2002, d’une présentation au Musée d’art moderne et contemporain de Strasbourg, mais cette exposition est sa première à Paris). Hollandais, il se nourrit de la tradition picturale de son pays pour créer une œuvre originale, à mi-chemin entre abstraction et figuration. Nocturne, l’œuvre qui donne son titre à cette exposition et qui en est aussi la pièce maîtresse, semble bien résumer son travail. Il s’agit d’un triptyque de 231 x 560 cm qui associe trois sujets différents : un bloc de pierres, un paysage et au centre, une fenêtre qui est aussi le châssis du tableau sur lequel un suaire comme on le trouve dans les représentations religieuses a été accroché. Aucun lien ne semble relier les trois sujets, mais l’artiste parvient à leur donner une cohérence formelle, en partie liée à la technique utilisée (de larges brosses industrielles qui donnent une impression de mouvement et qui renvoient à une pratique très gestuelle). Il y a une sorte de piège dans ce travail qui consiste à montrer et à cacher, à donner une piste de figuration pour mieux l’engloutir dans un magma ensuite, à jouer avec les représentations les plus traditionnelles de la peinture pour les confronter aussitôt à l’informel. Dans une palette hivernale (brun, bleu, noir), qui ne cherche pas la séduction, c’est un art sérieux, cultivé et documenté, hors des modes et des affectations de l’époque.

-Jonathan Meese, Parsifal de Large, jusqu’au 21 février à la galerie Daniel Templon, 30 rue Beaubourg, 75003 Paris (www.danieltemplon.com)

-Guillaume Mary, Extérieurs, jusqu’au 28 février à la galerie Frédéric Lacroix, 13 rue Chapon, 75003 Paris (www.galeriefredericlacroix.com)

-Matthew Chambers, jusqu’au 28 février à la galerie Praz-Delavallade, 5 rue des Haudriettes 75003 Paris (www.praz-delavallade.com)

The Shell, jusqu’au 14 février à la galerie Almine Rech, 64 rue de Turenne 75003 Paris (www.alminerech.com)

-Robert Zandvliet, Nocturne, jusqu’au 14 février à la galerie Jean Brolly, 16 rue de Montmorency 75003 Paris (www.jeanbrolly.com)

Pour être plus complet sur le sujet, il faudrait aussi mentionner Eurasia. A View on Painting, la magnifique exposition qui tient jusqu’au 7 février à la galerie Thaddeus Ropac à Pantin. Conçue par Norman Rosenthal, elle rassemble des œuvres d’artistes majeurs tels que Georg Baselitz, Anselm Kiefer, Sigmar Polke, Gerhard Richter, Ilya et Emilia Kabakov, Yan Pei-Ming, Imi Knoebel, etc. C’est une exposition qui aurait tout à fait sa place dans un musée et, en plus, c’est gratuit (69 avenue du Général Leclerc à Pantin –www.ropac.net).

 

Images : vue de la devanture de la galerie Claudine Papillon, le 10 janvier 15 ; Jonathan Meese, DIE KLEINE FRISCHZELLENKUR « SCHNURRZN » GREIFT DIE WALDMEISTER BEDINGERLT BONONON, 2014, Huile, acrylique, pâte à modeler et techniques mixtes sur toile/ oil, acrylic, acrylic, modelling paste and mixed media on canvas, 210,7 x 140,4 cm / 83 x 55 ¼ in., Courtesy Jonathan Meese et Galerie Daniel Templon, Paris .Photo Jan Bauer ; Robert Zandvliet, NOCTURNE, 2014, acrylique sur lin – triptyque 231 x 180 cm chaque. Courtesy Galerie Jean Brolly

 

 

 

 

 

 

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commentaire

Une Réponse pour 2015 débute en peinture

Joachin Du Balai dit :

Un retour de la peinture ! Pour ma part, la meilleure nouvelle depuis le début de cette année 2015.

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