de Patrick Scemama

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La République de l'Art
Alain Séchas, méfions-nous des chats!

Alain Séchas, méfions-nous des chats!

On connaît surtout Alain Séchas pour ses « chats », ses personnages hybrides avec une tête féline, mais un corps humain (ils tiennent sur deux pattes) et qui font penser à Irma Vep, la vampire de Feuillade qui, dans sa combinaison de latex noire, faisait fureur dans les années 20. En fait, de l’aveu même de l’artiste, qui n’en possède pas, ce qui le fascine dans le chat, ce n’est pas tant l’animal que l’espèce de stéréotype qu’il incarne -et qui fait qu’il devient neutre- et ses yeux, qui frappent directement celui qui le regarde et parviennent à retenir son attention. Ses chats, il les met au centre de ses dessins qu’il réalise quotidiennement et qui commentent l’actualité avec beaucoup d’humour (il les poste aussi sur Instagram). Enfin, il en fait des sculptures souvent monumentales, comme celle qui se trouve, par exemple, au Mac Val de Vitry, et qui posent sur le monde un regard à la fois étonné et mélancolique.

C’est par une sculpture non de chat, mais de martien (un avatar de l’animal à moustaches) que s’ouvre l’exposition qu’il présente actuellement à la Maba de Nogent-sur-Marne et qu’il a astucieusement intitulée Ô Saisons, ô Chats !, d’après le vers de Rimbaud Ô Saisons, ô Chateaux ! Pourtant, celle-ci est entièrement consacrée à la peinture et la figure féline y reprend vite sa place. Dès les premières peintures, sur toile ou sur papier, elle y apparait seule ou en couple, à l’intérieur ou à la plage. Plutôt de sexe féminin, en maillot de bain ou robe mini, à la mode des années 60, elle se livre à des activités très civilisées, comme celles de promener son chien (sic !) au gré des saisons, de prendre le frais sur les bords de Marne ou de fumer une cigarette seule à côté de sa plante verte ou de son lampadaire.

Tout cela pourrait paraître très charmant et très humoristique, s’il ne cachait une réflexion assez subtile sur la peinture. En fait, chez Séchas, tout part du dessin, tout se forme à partir du trait (ce qui le rapproche des dessinateurs de presse) et c’est ce dessin qu’il vient colorier, c’est lui qui induit l’acrylique ou l’huile, selon les besoins. Et du coup, une tension naît entre le fond et le dessin, au point que parfois, celui-ci disparaît complètement pour donner naissance à des tableaux abstraits, comme ceux qui sont présentés ici et qui ont été réalisés en appliquant du scotch, de manière à pouvoir obtenir des couleurs très denses. Toute l’exposition a d’ailleurs été conçue en salles, suivant en cela l’architecture même du centre d’art, qui évoquent chacune une atmosphère particulière: après les dessins d’introduction, qui jouent sur le gris et la couleur, on passe à la salle des saisons avec ces grandes toiles aux tonalités différentes, puis aux toiles abstraites, puis aux toiles de fleurs1 et enfin aux toiles d’intérieurs qui font appel au monochrome ou à des fonds à l’intérieur desquels les couleurs débordent ou se contrarient.

Il y a une sorte de jubilation dans cet accrochage qui consiste à faire évoluer la couleur, à la montrer dans toutes ses variations et à la mettre en relation avec le dessin qui la suscite ou la nie. Quand on regarde chaque toile individuellement, on peut ne pas y trouver son compte, la juger trop rapide, manquant de matière ou presqu’esquissée. Mais c’est l’ensemble qui bâtit la structure et fait que chaque tableau apparaît comme une partie du tout, un élément du nuancier. A tel point que l’exposition finit par devenir conceptuelle, d’un conceptualisme non pas austère et janséniste, mais riche, sensuel, joyeux, hédoniste. Comme quoi il faut se méfier de la fausse indifférence des félins et des expositions qui, sous l’humour et la légèreté, cachent des considérations bien plus profondes sur la peinture et ses éternelles potentialités.

1 Un des autres grands thèmes de l’artiste est les fleurs et on peut en voir actuellement, mais carnivores et en volume, dans l’exposition qui se tient actuellement au Frac Nouvelle-Aquitaine de Bordeaux, cf. http://larepubliquedelart.com/dites-le-avec-des-fleurs/

-Alain Séchas, Ô Saisons, ô Chats !, jusqu’au 5 avril à la MABA, 16 rue Charles VII 94130 Nogent sur Marne (www.fondationdesartistes.fr)

Images : Alain Séchas, Arbres rouges, 2019, huile et mine de plomb sur papier, 66 x 50,3 cm, Courtesy de l’artiste et de la galerie Laurent Godin ; Mire, 2017, acrylique sur toile, 130 x 97cm, Courtesy de l’artiste et de la galerie Laurent Godin ; Intérieur rose et vert, 2019, huile sur toile, 190 x 150cm, Courtesy de l’artiste et de la galerie Laurent Godin

Cette entrée a été publiée dans Expositions.

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commentaires

4 Réponses pour Alain Séchas, méfions-nous des chats!

Jean Langoncet dit :

Aux environ de 53-54, Burroughs ne ressemblait pas du tout à K. Dick
@La guerre entre soldats de chair et de sang et des griffes humanoïdes ou robots tueurs, imaginée par Philip K. Dick en 1953

« Le maccarthysme et ses avatars sévissent ici sans vergogne depuis bien plus longtemps que 1953 (et non K. Dick n’est pas l’auteur de Junkie) ; l’alcool doit conserver aussi bien que le formol »

http://images4.fanpop.com/image/photos/24300000/William-S-Burroughs-william-s-burroughs-24376335-500-319.jpg

Patrick Scemama dit :

Mais encore?

Jean Langoncet dit :

On vous lit toujours, quoi.

Patrick Scemama dit :

Très bien. Merci

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