de Patrick Scemama

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La République de l'Art

Au-delà du pop, l’art

L’été, c’est l’heure des expositions ludiques, rafraîchissantes, gaies. C’est la raison pour laquelle à côté de l’exposition Hantai, plus subtile et  raffinée, le Centre Pompidou propose une exposition d’un peintre célèbre, mais qui n’avait jamais eu de rétrospective complète à Paris et qui est a priori d’un accès plus facile : Roy Lichtenstein. A priori, mais a priori seulement, car – et cela, cette version parisienne d’une exposition qui a déjà été montrée aux Etats-Unis et à Londres le montre bien -, l’œuvre de cet artiste est plus complexe qu’il n’y paraît. Né en 1923, Lichtenstein s’est fait connaître dans les années 60, grâce à ses tableaux qui reprenaient des images de livres pour enfants (dont le fameux Look Mickey, qui met en scène Mickey Mouse et Donald Duck et qui ouvre l’exposition). A cette époque, le pop art, dont il va devenir avec Warhol un des principaux représentants, fleurit, les frontières entre culture savante et culture populaire s’estompent et l’art du commerce et des publicités envahit l’art tout court. En quelques années et grâce à d’autres tableaux inspirés d’histoire de guerre ou de portraits de femmes issues de bandes dessinées sentimentales pour adolescents, Lichtenstein va devenir une star, ses toiles vont s’arracher à prix d’or (ce qui rendra d’ailleurs Warhol férocement jaloux) et devenir des icônes de la culture contemporaine, à tel point qu’on en reconnaît certaines aujourd’hui sans savoir même qu’elles sont l’œuvre du peintre. Mais ce succès et cette immédiateté vont masquer la recherche et le long processus dont elles sont le fruit.

Car elles ne sont pas une simple reproduction du sujet choisi. Pour les composer, l’artiste sélectionnait des images qu’il découpait dans la presse ou les bandes dessinées et les collait dans des cahiers d’écolier qu’il appelait compositions books. Puis il en dessinait certaines qu’il projetait sur la toile à l’échelle du tableau et il peignait sur un chevalet tournant, de biais ou à l’envers, pour ne pas se concentrer sur la question de la figuration. « Ce ne sont pas les sujets qui retiennent mon attention », aimait-il à dire.  Pas les sujets (même s’il reconnaissait la force et l’énergie de ces stéréotypes de la culture américaine), mais la manière de le traiter. Avec cette méthode de travail, il entendait donner une unité formelle à des images qui ne faisaient que « représenter ». Tout en reprenant la texture industrielle plate et sans modulation du visuel d’origine (d’où les fameux points qui reproduisent les trames d’impression) et  les couleurs primaires appliquées en aplat, Lichtenstein cherchait donc à aller à l’essence de l’image et à en révéler presque le caractère abstrait.

Lichtenstein 2Cet aspect de l’œuvre, l’exposition du Centre Pompidou, dont le commissariat a été assuré par Camille Morineau, le met particulièrement bien en avant et la première salle est sans doute une des plus éloquentes. Outre le Look Mickey déjà cité, on y voit une série de peintures en noir et blanc, réalisées entre 1961 et 1965, qui représentent des objets manufacturés isolés sur un fond neutre et qui, justement, en poussant à l’extrême la simplification de la forme, tirent l’objet banal vers une représentation quasi abstraite.  Et les salles suivantes révèlent les autres aspects, moins connus en France de l’œuvre de Lichtenstein  (les emprunts aux bandes dessinées n’auront duré que quelques années) et en particulier son dialogue avec les maîtres de la peinture moderne. Car à l’instar d’autres peintres comme Picasso qui n’ont cessé de revisiter leurs classiques, l’artiste a consacré une partie de sa carrière à peindre d’après des reproductions d’œuvres de ce même Picasso, de Mondrian, de Cézanne ou de Brancusi, en simplifiant toujours les formes et les couleurs pour les réduire à de quasi symboles. Et dans ce regard sur l’art, une des démarches les plus intéressantes et encore une fois les plus révélatrice de la démarche de Lichtenstein est la représentation du coup de pinceau (brushstroke) : pour lui, le coup de pinceau est « presque un symbole de l’art », il représente la spontanéité de l’expressionnisme abstrait (qui a été sa première école) et qui s’oppose tant à sa démarche personnelle, apparemment mécanique et froide. Lichtenstein va donc s’appliquer à reproduire froidement et de manière calculée ce qui normalement relève du geste pur et de l’expressivité. Et non content de l’appliquer sur des toiles, il va en donner une version sculpturale, donnant ainsi à voir en volume ce qui, par nature, relève uniquement de la peinture.

C’est là un des autres intérêts de cette exposition (mais ils sont nombreux !) : montrer le travail sculptural, mais aussi graphique, de Lichtenstein. Dès les années 60, il a pratiqué la sculpture où, comme dans ses tableaux, il a cherché à unifier la forme. Comme le dit Camille Morineau dans un article du très beau catalogue : « Le trait simplifié, synthétique, détoure un motif toujours iconique sans jamais se défaire d’une étonnante bidimensionnalité, qui fait de ces sculptures, dans la lignée de Picasso et de Calder, des dessins colorés découpés dans l’espace. » Quant à la gravure, il y a accordé une importance aussi importante qu’à la peinture, reprenant  en écho des thèmes de ses tableaux pour mettre son travail à la portée du plus grand nombre (démarche caractéristique du pop art). La gravure, souvent pratiquée sur des matériaux inattendus comme le plexiglas, lui a d’ailleurs permis d’atteindre une illusion de reproduction mécanique à laquelle la peinture ne parvenait  qu’imparfaitement.

Pour toutes ces raisons et bien d’autres, il faut aller voir l’exposition du Centre Pompidou. On peut être – et c’est mon cas – moins sensible à la production de la seconde moitié de la vie de Lichtenstein, mais on y découvre pas moins un artiste exigeant et savant, bien différent de l’image qu’une partie de son œuvre peut parfois donner de lui.

 

-Roy Lichtenstein, Centre Pompidou, Galerie 2, niveau 6, jusqu’au 4 novembre 2013 (www.centrepompidou.fr). Catalogue sous la direction de Camille Morineau , 240 pages, 39,90€.

A noter qu’une exposition de Roy Lichtenstein consacrée à sa relecture de l’expressionnisme allemand se tient à la Galerie Gagosian,  4 rue de Ponthieu, 75008 Paris, jusqu’au 12 octobre.

Images :

Look Mickey [Regarde Mickey], 1961,Huile sur toile, 121,9 x 175,3 cm, National Gallery of Art, Washington, Dorothy and Roy Lichtenstein Gift of the Artist, in Honor of the Fiftieth Anniversary of the National Gallery of Art, © Estate of Roy Lichtenstein New York / ADAGP, Paris, 2013; Brushstrokes [Coups de pinceau], 1965, Huile et Magna sur toile, 122,5 x 122,5 cm, Collection particulière,© Estate of Roy Lichtenstein New York / ADAGP, Paris, 2013

 

 

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