de Patrick Scemama

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La République de l'Art
« Coming Soon », l’avenir à travers les artistes

« Coming Soon », l’avenir à travers les artistes

C’est le genre d’expositions qu’on aime bien. De celles qui mêlent des pièces archéologiques venues du Louvre à un dessin de Füssli ou des documents de Jules Verne, même si l’essentiel relève de l’art contemporain, puisque telle est la vocation du lieu où elle se tient, la fondation Lafayette Anticipations. Elle a pour titre Coming Soon et se base sur une phrase de Barbara Kruger qui dit, non sans ironie, que « l’avenir appartient à ceux qui peuvent le voir ». Car c’est d’avenir qu’il est question ici, de la manière dont les artistes l’ont questionné, ce qui fonde leurs doutes, leurs espoirs et aussi leurs pressentiments. « Le désir et le besoin de dire l’avenir, de décrypter les signes et de donner une forme à l’inconnu s’est traduit par la création d’innombrables gestes, paroles et objets dans l’histoire de l’humanité », explique Rebecca Lamarche-Vadel, la directrice de l’institution, qui est aussi commissaire de l’exposition.

Celle-ci s’ouvre ainsi par une stèle dédiée au dieu égyptien Ptah, dans laquelle une oreille est gravée, qui permettait à la divinité d’entendre les requêtes des humains venus lui confier leurs désirs pour l’avenir. Elle inaugure une partie consacrée aux oracles, ces figures dotées d’une capacité à lire dans le futur et que traduisent autant des dessins de plantes de Marguerite Humeau qui sont révélatrices de la terre où elles grandissent qu’une peinture de Chino Amobi représentant une personnalité, la photographe Liz Johnson Artur, que l’artiste considère comme un oracle ou qu’une œuvre de la roumaine Alexandru Chira qui envisage des prédictions météorologiques pour le monde agricole.

Suit une autre partie qui cherche à « déchiffrer l’inconnu », en particulier à travers les tarots imaginés tant par Leonora Carrington que par la médium Lisa Signorini, qui a été en résidence à la Fondation. Puis une autre, « voir venir », qui montre des œuvres prémonitoires comme – oh surprise !- le dessin animé Les Simpson dans lequel sont évoqués des évènements qui ont vraiment eu lieu quelques années plus tard ou la vidéo de Neil Beloufa, Screen Talk, réalisée en 2014, qui faisait état d’une pandémie ressemblant étrangement à celle qu’on a connue avec la Covid. La partie suivante est consacrée à l’attente, celle, éprouvante, qui est caractérisée par l’appréhension du temps à venir. Celle d’après, « habiter le futur », s’applique à montrer celui-ci comme un lieu de pouvoir, qui n’accueille pas les êtres et les communautés de manière égale (avec des pièces de Nina Beier et de John Akomfrah, entre autres). Celles d’après encore tentent soit de « prévenir l’avenir », avec des œuvres qui cherchent à influer sur son cours (George Widener, Mimosa Echard), soit de lui « échapper » avec des pièces sur le refus (No more reality de Philippe Parreno) ou la disparition (Bas Jan Ader). Enfin, la dernière partie incite à « l’admettre » avec essentiellement des sculptures qui s’effondrent inexorablement et que leur auteur, Bridget Polk, s’efforce de reconstruire, comme dans le mythe de Sisyphe, en fin d’après-midi, pendant toute la durée de l’exposition.

En tout, ce sont près de 35 artistes qui sont présents dans cette exposition qui recèle bien des surprises et qui peut se parcourir comme un cabinet de curiosités (la semi-obscurité dans laquelle est plongé y invite). S’il est bien sûr impossible de mentionner toutes les œuvres, on voudrait mettre l’accent sur deux, qui sont voisines l’une de l’autre dans la section sur l’attente, et qui nous ont particulièrement touchés. La première a déjà été vue dans ce lieu lors de l’exposition consacrée à Xinyi Cheng (cf Xinyi Cheng, magicienne de la couleur – La République de l’Art (larepubliquedelart.com) : il s’agit d’une toile de la jeune et brillante peintre chinoise réalisée pendant le confinement et qui montre un chat tentant d’accéder à une fenêtre. Mais dans cet extraordinaire flou chromatique choisie par l’artiste et que n’auraient pas renié les impressionnistes, la fenêtre est comme bouchée et n’ouvre sur aucune perspective.

La seconde, à l’instar de quelques autres pièces, a été créée spécialement pour l’exposition. Il s’agit d’une installation de Benoît Piéron, cet artiste dont on parle beaucoup actuellement et qui a fait des nombreuses maladies dont il souffre depuis l’enfance et du milieu hospitalier où il a souvent séjourné l’essence même de son travail. Elle reproduit une laverie automatique où sont installées des chaises et où trois machines à laver tournent en permanence. Lieu caractéristique de l’attente, où l’on rêve et s’ennuie, tout en « lavant son linge sale en public », la laverie fait aussi penser à la salle d’attente d’un cabinet médical où l’on se demande quelles sont les nouvelles, bonnes ou mauvaises, qui vont nous tomber dessus. Mais Benoît Piéron parvient à la rendre poétique en insérant des gyrophares de couleur à l’intérieur des machines et en créant ainsi une sorte de chorégraphie lumineuse rassurante, qui peut évoquer un organisme humain, même si cela ne lui enlève pas totalement son caractère anxiogène. A noter que ce même Benoît Piéron bénéficie actuellement d’une exposition personnelle à la galerie Sultana où il décline avec autant de tendresse, de pudeur et d’humour cet univers terrible, qu’il parvient à rendre attachant. Un artiste sur lequel il faut désormais compter, de toute évidence.

Coming Soon, jusqu’au 12 à Lafayette Anticipations, 9 rue du Plâtre 75004 Paris (www.lafayetteanticipations.com) . L’entrée est libre et gratuite.

Images : Stèle à oreille dédiée par Iouny à Ptah, 1550 – 1069 avant J.-C. (Nouvel Empire, XIXe dynastie). Calcaire gravé, 11,4 x 9,8 x 3,5 cm. Collection Musée du Louvre, Paris. Département des Antiquités égyptiennes © 2017, Musée du Louvre / Christian Décamps ; Chino Amobi, ORACLE I (LIZ JOHNSON ARTUR), 2021. Huile et acrylique sur toile, 100 x 100 cm. Courtesy de l’artiste et de Fitzpatrick Gallery, Paris © Aurélien Mole ; Xinyi Cheng, Window, 2021. Huile sur toile de lin, 79 × 56 cm. Collection privée. Courtesy de l’artiste et Matthew Marks Gallery, New York © Xinyi Cheng

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