de Patrick Scemama

en savoir plus

La République de l'Art
Duchamp dans son élément

Duchamp dans son élément

On ne sait pas avec certitude si Marcel Duchamp a jamais visité le Musée des Arts et Métiers, même si certains historiens suggèrent que ce fut le cas. Quoiqu’il en soit, même s’il ne l’a pas fait, il aurait pu s’y rendre et s’y serait trouvé parfaitement dans son élément, lui qui, lors d’une visite au Salon de la Locomotion, en 1912, avec Léger et Brancusi, affirmait, voyant une hélice d’avion : « C’est fini la peinture. Qui ferait mieux que cette hélice ? » Il était donc cohérent qu’à l’occasion du 50e anniversaire de sa mort, ce musée rende hommage à Duchamp en lui consacrant une exposition. Et il était aussi cohérent que, pour ce faire, il fasse appel à deux artistes spécialistes de l’auteur du « Nu descendant un escalier » : Mathieu Mercier, qui a reçu le Prix Duchamp, dont le travail est nourri de l’esprit duchampien et qui a réédité récemment la fameuse « Boîte-en-valise » (une boîte dans laquelle Duchamp avait réuni des images de toutes ses œuvres) et François Olislaeger, qui vient du monde de la BD et qui a publié, en 2014, sous la forme d’un leporello à lire recto verso, Marcel Duchamp, un petit jeu entre moi et je (éd. Actes Sud BD/entre Pompidou).

Tous les deux ont infiltré les collections permanentes du musée pour y déposer des offrandes au père de l’art « non rétinien ». Le premier, Mathieu Mercier, a conçu des vitrines ressemblant à celles déjà existantes (mais dans un bois plus clair) et réunissant tout autant des objets de sa propre collection que des objets appartenant au musée. En fait, il a surtout travaillé autour du Grand Verre, cette œuvre emblématique de Duchamp, qu’il entreprit après avoir renoncé, justement à la peinture, que l’on put qualifier de « projection « machinique » du désir amoureux » et des nombreuses notes que celle-ci lui inspira (recueillies en volume, les Notes sont consultables dans l’exposition). Car pour la concevoir, Duchamp, qui avait pris un emploi à la Bibliothèque Sainte-Geneviève, entreprit de nombreuses recherches sur la perspective, les mathématiques et la mécanique, c’est-à-dire des domaines que recouvrent parfaitement les objets ou inventions conservés aux Arts et Métiers. Dans les vitrines et dans les tiroirs qui sont en dessous et que l’on peut actionner, c’est donc tout un ensemble d’objets et de documents qui ont été rassemblés, faisant référence aussi bien aux premiers ready-made de Duchamp (l’urinoir, le porte-bouteille, etc.) qu’aux études pour le Grand Verre (le mètre-étalon, la broyeuse de chocolat, des cartes postales érotiques, etc.). Mathieu Mercier ne donne jamais d’explications, n’indique jamais précisément à quelle œuvre de Duchamp renvoie tel ou tel objet, mais laisse le spectateur deviner, jouer les détectives et tenter de se frayer un chemin dans la pensée complexe, mais toujours pleine d’humour, du génial Marcel.

Ç Monsieur Duchamp nous a dit que lÕon pouvait jouer ici È, une exposition de Mathieu Mercier et Franois Olislaeger dans les salles Madame de Genlis, collection MŽcanique et collection Energie, porte monumentale.

Le second, François Olislaeger, est, lui, plus explicite. Il fait de sa bande dessinée un mobile suspendu dans l’espace autour duquel on peut tourner et qui n’est constitué que de citations du « Maître ». Ou il place subrepticement au sein des collections des dessins et des maquettes en papier qui renvoient directement aux œuvres (un petit escalier descendu par Duchamp lui-même, par exemple) et n’hésite pas à intervenir sur les vitres, comme sur le Grand Verre. En tous cas, sa proposition, comme celle de Mathieu Mercier, relève du jeu de piste, de l’inspection, de la participation du public. L’exposition s’appelle d’ailleurs Monsieur Duchamp nous a dit que l’on pouvait jouer ici. Ce titre renvoie à l’exposition First Papers of Surrealism qui se tint à New York en 1942. Pour le vernissage, Duchamp invita des enfants à jouer au ballon et à la marelle. Lorsque les visiteurs, contrariés par le bruit et l’agitation, leur demandèrent d’arrêter, ceux-ci répondirent : « Monsieur Duchamp nous a dit que l’on pouvait jouer ici. »

Bien sûr, il vaut mieux bien connaître le père de l’art conceptuel et les mille et une histoires qui jalonnent son travail pour vraiment prendre du plaisir à l’exposition. Ceux qui auraient préféré une approche plus pédagogique et grand public auraient dû se rendre à Rouen, la ville où l’artiste étudia et passa sa jeunesse, où se tint cet été un « Duchamp de A à Z », qui permettait de tout comprendre de l’œuvre et du personnage (cf http://larepubliquedelart.com/duchamp-de-z/). Mais ceux que l’ésotérisme et l’érotisme du Grand Verre, tout autant que les inventions mi facétieuses mi géniales de Duchamp, laisseront de marbre pourront toujours se rabattre sur les collections du musée, à la fois surprenantes et d’une fascinante richesse (on y voit les ancêtres des avions et des automobiles, par exemple)…

Monsieur Duchamp nous a dit que l’on pouvait jouer ici, une exposition de Mathieu Mercier et François Olislaeger, jusqu’au 17 février au Musée des Arts et Métiers, 60 rue Réaumur 75003 Paris (www.arts-et-metiers.net)

 

Images : vue de l’installation de Mathieu Mercier © Mathieu Mercier ; vue de l’installation de François Olislaeger Dircom Cnam © Sandrine Villain

Cette entrée a été publiée dans Expositions.

1

commentaire

Une Réponse pour Duchamp dans son élément

Udnie dit :

 » En tous cas, sa proposition, comme celle de Mathieu Mercier, relève du jeu de piste, de l’inspection, de la participation du public. »

Et boom, un sempiternel lieu commun de l’ art contemporain !Piètre élève ou suiveur du très complexe et ironique Marcel.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

*

*