de Patrick Scemama

en savoir plus

La République de l'Art
Edgar Sarin, alchimiste à Saint-Nazaire

Edgar Sarin, alchimiste à Saint-Nazaire

Recueillir, protéger, assembler, telles semblent être les principales intentions des œuvres d’Edgar Sarin, cet artiste singulier dont on avait découvert le travail il y a quelques années grâce aux Révélations Emerige et qui a fait bien du chemin depuis (cf Edgar Sarin – La République de l’Art (larepubliquedelart.com)). Recueillir, parce que bon nombre de ses sculptures comportent une niche, un creux, un renfoncement en attente d’un objet qui ne s’y trouve pas, mais qui pourrait facilement y prendre place. Protéger, parce que dans ce recueillement, il a la volonté de les mettre à l’abri, en dehors du monde, quitte à les ensevelir (un certain nombre de pièces ont été mises en terre et ne pourront revoir le jour que dans plusieurs années). Ou parce que l’huile ou le miel les adoucissent et les réchauffent. Assembler, parce que ce qui frappe dans la pratique de cet artiste qui n’est pas issu du sérail (il a une formation d’ingénieur), c’est le soin accordé aux matériaux et la réussite avec laquelle il les met en lien, le bois avec la pierre, la céramique avec le marbre ou la peinture, le tout dans des équilibres souvent précaires, mais qui fonctionnent comme des figures archaïques à l’élégance mystérieuse.

L’exposition qu’il présente actuellement au Grand Café de Saint-Nazaire, Objectif : société, fait suite à celle qu’il avait présentée en 2020 à Clamart, au Centre d’art Chanot. Mais elle a pour sous-titre : Variations Goldberg, ce qui signifie qu’il ne s’agit pas d’une redite, mais d’une nouvelle mouture, d’un remodelage, et qui témoigne aussi du rôle déterminant que la musique (et précisément celle de Bach) joue dans le processus de travail. En commun, surtout, une « Kaaba », architecture couverte de terre locale travaillée en torchis qui s’inspire de l’architecture subsaharienne, en particulier de la Grande Mosquée de Djenné au Mali. La raison d’être de cette Kaaba est de recevoir des graffitis, d’apparaitre comme un palimpseste sur lequel des générations gravant leurs noms, laissent des traces ou des offrandes (d’ailleurs, l’artiste revient régulièrement pour y rajouter des choses). Mais alors qu’à Clamart, on ne pouvait entrer dans la Kaaba – on ne pouvait que tourner autour -, à Saint-Nazaire, une porte basse est aménagée qui permet de s’y introduire. Et là, c’est l’émerveillement, car une fois que les yeux se sont habitués à l’obscurité, ce sont toute une série de signes ou d’inscriptions qui apparaissent, à la seule lueur poétique d’un vitrail rétroéclairé que l’artiste a réalisé à Chartres, haut-lieu de l’art religieux.

Dans cette Kaaba, on peut s’asseoir sur des tabourets en bois brut pour méditer. On peut aussi y voir une sculpture en terre de forme animalière qui est inspirée des haniwa japonais, figures en terre cuite déposées dans les tombes au cours des périodes Kofun et Asuka, vers 250-710 de notre ère. Ces très belles œuvres entre le cheval et le chien se retrouvent à l’étage où un moule est présent, qui permet de les reproduire (et des groupes d’élèves le font régulièrement). Elles s’alignent alors en rangée dans une grande salle (l’ancienne salle de bal de ce qui fut effectivement un « grand café »), où se retrouve à peu près tout ce qui fait le vocabulaire d’Edgar Sarin : un morceau de chêne creusé et brûlé en son centre surmonté d’une sorte de trident en métal, une vasque en pierre, comme un bénitier, qui contient de l’eau, une grande peinture sur laquelle les pigments naturels se répandent comme des fruits éclatés, un bloc de marbre à la forme parfaite qui porte un chiffre sur une de ses faces et dont on ne sait pas s’il doit rester ainsi ou s’il est en attente de transformation, etc.

Enfin, dans l’autre salle du bas, celle qui est la plus ouverte sur la ville, ce sont des bateaux qu’a voulu mettre en avant l’artiste, lui qui prétend que ; « A peine on se retourne, il y a toujours un bateau dans cette ville ». Un Skerry est là, embarcation légère de promenade voile-aviron inspiré des canots anglais et scandinaves, qui semble vouloir faire référence à celle, Ocean Wave, sur laquelle l’artiste Bas Jan Ader a disparu en mer et qu’Edgar Sarin a customisée, lui ajoutant aux extrémités des morceaux de bois sculptés qui la font ressembler à une felouque égyptienne (elle a d’ailleurs été véritablement mouillée lors d’une récente sortie en mer). Et d’autres barques sont taillées dans le bois, de manière brute, dans un chêne ou dans un marronnier comme celui qui a été abattu dans un parc de la ville et offert par celle-ci au centre d’art. Car chez Edgar Sarin, l’exposition non seulement s’adapte au lieu, mais elle est faite pour le lieu, elle prend forme grâce à lui (à Clamart, par exemple, la Kaaba avait été réalisée avec de la terre extraite sur place). En ce sens, elle s’apparente à un écosystème qui fait œuvre plus que les œuvres elles-mêmes individuellement qui bougent et ne sont jamais définitivement figées.

Et ce qui régit tout cela, c’est un souffle, une spiritualité, un sens du religieux. Peut-être pas un renvoi à une religion en particulier (même si l’on sent que l’artiste a été fortement influencé par la culture chrétienne), mais à un esprit en tous cas. Esprit qui fait que les choses banales apparaissent comme transfigurées. Armé de solides références historiques et d’un goût marqué pour l’expérimentation et le mélange des matériaux, Edgar Sarin avance en alchimiste : il transforme en or les substances les plus pauvres et fait de l’exposition un refuge où l’on peut se poser (des bancs ont d’ailleurs été aménagés dans des blocs de bois) et rêver, qui sait ? à un monde dont l’objectif sera la société, c’est-à-dire le collectif, bref, à un monde meilleur.

-Edgar Sarin, Objectif : société (Variations Goldberg), jusqu’au 7 janvier au Grand Café de Saint-Nazaire (www.grandcafe-saintnazaire.fr)

Images : (1 et 2) Edgar Sarin, Sans titre (objectif : société), 2023. Matériaux mixtes, dimensions variables. Production Le Grand Café – centre d’art contemporain. Vue de l’exposition objectif : société (variations goldberg) au Grand Café, 2023. Photographie Fanny Trichet ; (3) Sans titre (objectif : société), 2023. Matériaux mixtes, dimensions variables. Production Le Grand Café – centre d’art contemporain. En haut à droite : Variation primitive sur celui du Lararium, 2017-2021, chêne, laiton et huile d’olive, 30 × 60 × 23 cm, collection privée. Vue de l’exposition objectif : société (variations goldberg) au Grand Café, 2023. Photographie Fanny Trichet.

Cette entrée a été publiée dans Expositions.

0

commentaire

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

*

*