de Patrick Scemama

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La République de l'Art

Entre deux et trois dimensions

C’est une petite exposition, mais qui a le mérite de faire une sélection rigoureuse et de poser les questions justes. Son titre ? Entre sculpture et photographie, parce que rien ne semble plus différents que ces deux médiums, alors qu’ils ont parfois été complémentaires et qu’ils ont été le fruit d’une même pratique. Le cadre dans lequel elle se déploie ? Le Musée Rodin, qui, désormais, accueille en son sein des artistes contemporains pour dialoguer avec l’œuvre de l’illustre sculpteur (Rodin, on le sait, s’est toujours beaucoup intéressé à la photographie et une précédente exposition mettant ses œuvres en perspective avec les photos de Mapplethorpe s’était révélée plus « éclairante » pour le photographe américain que la grande rétrospective qui lui était consacrée au Grand Palais au même moment). Le principe est donc de réunir huit artistes qualifiés a priori de sculpteurs, mais qui ont utilisé la photographie à des fins différentes.

Elle s’ouvre justement par une salle consacrée à Richard Long, le sculpteur anglais représentatif du Land Art. Car c’est cette forme d’art qui, la première, à la fin des années 60, a nécessité l’utilisation de la photographie. Réalisant des sculptures dans la nature, de caractère souvent éphémère et dans des lieux difficilement accessibles, elle a eu besoin du cliché pour témoigner et, d’une certaine manière, attester que l’œuvre avait eu lieu. C’est ce que fait Richard Long, au cours de ses nombreuses marches solitaires, pendant lesquelles il intervient dans la nature avec des éléments tels que des branches, des pierres ou des morceaux de bois et dont seuls de beaux tirages photographiques en noir et blanc gardent la trace. Mais parallèlement, le sculpteur réalise au sein des musées des installations qui semblent reproduire ses interventions en milieu naturel, alors que ce n’est pas le cas. Et c’est ce trouble entre ce qui est vrai (et qui est documenté par la photo) et ce qui ne l’est pas (la sculpture in situ) qui est présenté ici.

10_Mac_AdamsL’exposition se poursuit avec des œuvres de Gordon Matta-Clark. Gordon Matta-Clark, faut-il le rappeler, qui était le fis de Roberto Matta et qui est mort à l’âge de 35 ans, avait été formé à l’architecture et son travail de sculpteur était essentiellement d’intervenir sur des immeubles abandonnés en pratiquant des ouvertures à la scie entre les parois de manière à laisser passer la lumière et à favoriser une nouvelle circulation du regard. Ses œuvres ne pouvaient donc se voir sur place et le seul moyen de les montrer était là-encore de les photographier. Dans l’exposition, on peut voir plusieurs exemples de ces architectures découpés, mais aussi un morceau de sauna, issu d’un immeuble newyorkais, et qui lui intervient comme une véritable sculpture, à l’inverse des photos qui se définissent davantage par le creux.

Un peu plus loin, c’est Giuseppe Penone qui est à l’honneur. Penone, qui est associé à l’Arte povera et donc on peut aussi voir le travail dans l’exposition que le Centre Pompidou consacre à ce mouvement (cf http://larepubliquedelart.com/pauvre-mais-multiple/), n’a pas besoin de la photo pour attester de la réalité de son travail de sculpteur, mais il l’utilise pour des actions parallèles. Ainsi, lorsqu’il met sur ses yeux des lentilles de contact qui font office de miroir, c’est la photo qui est nécessaire pour visualiser tout ce qui se reflète dans son regard. Et lorsque, dans Géométrie dans les mains (2005), il montre en photographie négative l’espace contenu entre deux mais croisées, c’est sur la question du positif et du négatif, autant importante en développement photographique qu’en moulage de sculpture, qu’il place l’attention.

De la même manière que John Chamberlain ou Dieter Appelt font que photographies et sculptures participent d’un même geste ou d’une esthétique qui se complète, le premier en photographiant « à l’aveugle », c’est-à-dire d’une manière qui renvoie à la forme très libre et très colorée de ses sculptures, le second en créant des sculptures pour les intégrer à des « actions » qui seront-elles-mêmes l’objet de photographies. Mais c’est peut-être Mac Adams et Markus Raetz qui font le preuve de la plus grande subtilité dans l’utilisation simultanée de la photo et de la sculpture. Le premier, qui est un grand lecteur de romans policiers, réalise des diptyques laissant suggérer qu’un crime ou un évènement surnaturel est intervenu  (mais peut-être tout cela n’existe-t-il que dans l’imagination du regardeur). Et il crée aussi, avec des éléments disparates, des sculptures qui sont faites pour être éclairées par en haut et qui reflètent ainsi sur le sol des formes que l’on n’attendait pas et qui ne sont pas sans lien avec les pièges tendus par les « fictions » des images. Quant au second, quand il n’utilise pas la photo comme un élément de sculpture qui impose au regardeur un mouvement dans l’espace, il crée des formes ambigües, comme cet objet en fonte, Métamorphose II, 1992, qu’il place devant un miroir et qui, selon l’angle avec lequel on le regarde, devient soit un homme au chapeau (Joseph Beuys), soit un lapin (ce lapin que Beuys a tellement utilisé pour ses performances)…

02_Cy Twombly 1Reste le cas Cy Twombly. C’est vrai qu’on connait plus Twombly pour sa peinture raffinée et hautement poétique que pour ses sculptures et ses photographies, qu’il a réalisées tout au long de son existence. Les premières, pourtant, faites avec des rebuts ou des matériaux volontairement pauvres, semblent participer de la même attirance et de la même vénération pour les mythes et l’Antiquité. Et si les secondes ne reprennent pas un détail ou un angle de vue particulier de celles-ci, elles reproduisent des fleurs, mais dans un cadrage si particulier ou avec une fascination si intense pour la couleur pure qu’elles basculent dans l’abstrait et la contemplation absolue. Une manière de terminer en beauté et avec intensité cette exposition qui, encore une fois, sans en avoir l’air, met à jour un des pratiques qui sont parmi les plus importantes de l’art de ces cinquante dernières années.

Entre sculpture et photographie (commissariat : Michel Fizot et Hélène Pinet), jusqu’au 17 juillet au Musée Rodin, 77 rue de Varenne, 75007 Paris (www.musee-rodin.fr)

 

Images: Richard LONG, A line of Sticks in Somerset, 1974, Photographie, 88 x 124 cm, Inv. : 1995.1, Carré d’art –Musée d’art contemporain, Nîmes, © Adagp, Paris 2016 ; Mac ADAMS, Rabbit, Shadow-Sculpture, 2010, 70 x 56 x 52 cm (cage), Paris, Galerie GB Agency, Nathalie Boutin ; Cy TWOMBLY, Tulips, 1985, Impression sur papier, Cadre : 60 x 45 cm, Collection particulière.

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commentaires

2 Réponses pour Entre deux et trois dimensions

Polémikoeur. dit :

Alors, comme ça, il a fallu transformer
le musée Rodin en galerie, dans la logique
d’exclusion mercantile du quartier !
A quand la concession de la cour carrée
des Invalides à un organisateur « d’événementiels » ?
Enchérissement.

Patrick Scemama dit :

Il ne s’agit nullement de transformer le Musee Rodin en galerie, mais juste d’organiser une exposition qui n’est même pas dans l’hôtel particulier qui abrite les collections.Par ailleurs, bien évidemment, aucune œuvre n’est à vendre.

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