de Patrick Scemama

en savoir plus

La République de l'Art
Ernest Pignon-Ernest, l’Histoire retrouvée

Ernest Pignon-Ernest, l’Histoire retrouvée

Le « street art » est à la mode et la côte de certains artistes, comme Banksy, s’envole dans les salles de ventes. Pourtant, cette pratique n’est pas nouvelle et s’inscrit dans l’histoire déjà longue du graffiti ou de l’art éphémère. Ernest Pignon-Ernest, par exemple, l’a faite sienne depuis de nombreuses années. Celui que le Courtauld Institute de Londres a invité en 2012 pour une conférence justement intitulée : « Before Banksy : Ernest Pignon-Ernest » a investi de nombreux lieux afin d’en saisir, comme il le dit lui-même « à la fois tout ce qui s’y voit : l’espace, la lumière, les couleurs et, simultanément, tout ce qui ne se voit pas ou ne se voit plus : l’histoire, les souvenirs enfouis. » A l’aide de sérigraphie qu’il colle sur les murs, de manière sauvage, il s’est attaché à faire revivre des images qui appartiennent au fond culturel ou social du lieu choisi, mais qui ne sont pas forcément des images que tout le monde a envie de revoir, des images qui éveillent les consciences et ou ravivent des conflits. Ainsi en 1979, avec l’intervention intitulée « Expulsés », il a réagi aux nombreuses démolitions que les promoteurs faisaient subir aux quartiers populaires de Paris en collant sur les restes des immeubles détruits des images d’une homme et une femme debout, un matelas roulé sous un bras, une valise dans l’autre. Quelques années plus tard, à Naples, il a couvert la ville d’images caravagesques pour en révéler la part ténébreuse, l’inconscient refoulé, l’omniprésence de la mort. Plus près de nous, enfin, à Lyon, il a rappelé la présence des sans-abris dans des cabines téléphoniques ou salué Antonin Artaud dans la buanderie désaffectée de l’hôpital Charles-Foix d’Ivry, la ville où l’écrivain est mort en 1948. A chaque fois un acte politique, répondant à une révolte et cherchant à dénoncer l’injustice, mis aussi un acte poétique, rappelant l’importance et la nécessité de l’artiste dans les vies et les villes.

5L’exposition qu’il présente actuellement à la galerie Lelong, Prisons, est la trace de son intervention, en 2009, dans la prison Saint-Paul de Lyon. Une prison pas tout à fait comme les autres, puisque Klaus Barbie y a sévi, Jean Moulin, Raymond Aubrac et de nombreux résistants y ont été emprisonnés voire guillotinés. Cette prison est aujourd’hui désaffectée mais, en 2012, elle a été ouverte une dernière fois, lors des Journées du Patrimoine, et des artistes ont été invités à y intervenir. « Avant que la transformation des lieux en campus ne provoque une amnésie collective, j’ai tenté d’y réinscrire par l’image le souvenir singulier d’hommes et de femmes, célèbres ou inconnus, qui y ont été torturés ou exécutés, précise Ernest Pignon-Ernest. Dans différents couloirs, cellules, cours, je me suis efforcé d’inscrire leur visage, leur corps, d’y introduire le signe de l’humain. »

Et sur les murs de la galerie, ce sont donc les traces de cette « réintroduction de l’humain » dans le monstrueux qui sont accrochées. Des photos, d’abord, qui montrent ce lieu aux hauts murs coiffés de barbelés redoutables où les sérigraphies ont été collées. Et les dessins préparatoires à ces dessins, à la pierre noire, d’une virtuosité et d’une expressivité sans pareille. Des dessins qui représentent des linceuls, ou les visages de quelques-uns de ces résistants (Bertie Albrecht, Marc Bloch, entre autres) qui ont été incarcérés ici, ou encore des « yoyos », ces bouteilles en plastique qu’avec l’aide d’une ficelle les détenus tentaient de faire passer en les balançant d’une fenêtre à l’autre et qui étaient tout autant des messages d’amour, de désir, de colère, de désespoir, etc. C’est tout à la fois bouleversant et fort, simple et lyrique, puissant et toujours moderne. La marque d’un artiste véritable et sincère et une leçon pour les jeunes qui se demandent comment être encore percutant sur un mode politique aujourd’hui.yoyos_P1040592

Prisons d’Ernest Pignon-Ernest, à la galerie Lelong jusqu’au 29 mars, 13 rue de Téhéran 75008 Paris (www.galerie-lelong.com)

Un catalogue, Repères, préfacé par Gérard Mordillat, est publié à l’occasion de l’exposition et la libraire de la galerie, au rez-de-chaussée, présente une sélection d’estampes d’Ernest Pignon-Ernest.

 

Images : Ernest Pignon-Ernest, Photo « Ecce Homo » : sérigraphie, collage dans la prison Saint-Paul, Lyon 2012 ; Photo « Linceul », tirage numérique pigmentaire collé dans la prison Saint-Paul, Lyon 2012 ; Photos   « Yoyos » : sérigraphie et pierre noire, collage dans la prison Saint-Paul, Lyon 2012 ; Courtesy Galerie Lelong / Copyright Ernest Pignon-Ernest

Cette entrée a été publiée dans Expositions.

0

commentaire

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

*

*