de Patrick Scemama

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La République de l'Art
Galerie Vincent Sator

Galerie Vincent Sator

Certains mettent du temps avant de trouver leur voie. Ils empruntent même des chemins radicalement détournés avant de comprendre que ce qu’ils honnissaient dans un premier temps était en fait l’univers dans lequel ils allaient s’épanouir pleinement. C’est le cas de Vincent Sator, le directeur de la galerie qui porte son nom, située dans le charmant passage des Gravilliers, à Paris, dans le Marais, qui, au début de sa carrière, ne jurait que par l’institution publique. Littéraire (il avait fait khâgne et hypokhâgne), le jeune homme ne se destine pas à un travail dans l’art lorsque, dans le cadre d’Erasmus, il se rend à Florence pour faire une maîtrise d’histoire sur le nationalisme italien. Mais dans la ville des Medicis, il est frappé par la beauté de ce qui l’entoure et subit, en quelque sorte, le « Syndrome de Stendhal ». De retour en France, sa décision est prise : il veut garder ce rapport au « Beau » et intervenir dans le secteur culturel. Mais comme il n’est pas question de rompre d’emblée avec tout ce qui a été sa formation, il se rend à Strasbourg où il fait un Master de Sciences-Po sur la construction européenne et la politique patrimoniale (deux sujets qui lui tiennent à cœur), qui lui donne la possibilité de faire un stage à la Commission européenne et d’accompagner un programme culturel. L’expérience est enrichissante, mais aussi un peu fastidieuse.

Il entre alors au Ministère de la culture, dans le pôle « Communication », pour accompagner le développement international du « Printemps des Musées », une initiative créée en 1999 pour inviter le public à venir gratuitement dans les musées, un dimanche chaque année, au printemps. Là encore, l’expérience ne manque pas d’intérêt, mais elle se révèle trop bureaucratique. Ce qui lui manque, c’est le contact avec les œuvres, un contact qu’il aura lors d’un stage dans les réserves du Centre Pompidou et qui l’incitera à se présenter au Concours de conservateur du patrimoine, seul moyen, en France, de pouvoir prétendre à un poste à responsabilités dans les institutions muséales. Pendant un an, il s’y prépare, car même s’il a la volonté de se spécialiser dans le XXème siècle, il se doit, pour le concours, de connaître toute l’histoire de l’art. Une première tentative reste infructueuse, mais il ne se décourage pas et fait en sorte d’obtenir des équivalences en histoire de l’art pour consolider sa candidature. Il passe le Concours une seconde fois, obtient des bonnes notes à l’écrit, mais échoue à l’oral : de toute évidence, on ne lui pardonne pas le non conformisme de son parcours.

SatorDéçu, blessé (la douleur est encore sensible aujourd’hui), il recontacte tous les musées pour trouver du travail. Mais on le juge surqualifié pour occuper des postes de moindre importance. Par sa famille, il est mis en contact avec Marc Blondeau, qui dirige une galerie à Genève et qui est surtout conseiller de François Pinault. Celui-ci lui propose de venir passer quelques mois au bord du Lac Léman et Vincent Sator, qui a toujours les questions de marché et de privé en horreur, refuse d’abord, mais il se ravise car, à l’époque, François Pinault a pour projet de bâtir sa fondation sur l’Ile Seguin et il pense qu’il pourra ainsi trouver un job au sein de cette fondation. Finalement, pour les tristes raisons que l’on connaît, François Pinault jette l’éponge (il ira s’installer un peu plus tard à Venise) et le jeune homme se retrouve une nouvelle fois sans perspective ni emploi. Mais grâce à Marc Blondeau, avec lequel il a entretenu de très bons rapports sur les plans professionnel et humain, son regard sur le métier de galeriste a changé : il a compris qu’on pouvait y agir beaucoup plus librement que dans les institutions publiques, y a découvert la joie de travailler en direct avec les artistes (même si Marc Blondeau avait surtout une activité de « second marché ») et s’est rendu compte que les rapports avec les collectionneurs donnaient lieu à des échanges bien plus riches et profonds que ce qu’il imaginait.

De retour à Paris, il est donc décidé à intégrer le monde des galeries. Mais là-encore, on lui fait comprendre qu’il est désormais trop vieux (il n’a pas trente ans !) pour être stagiaire. Par l’intermédiaire d’une amie du ministère, il rencontre alors une historienne d’art américaine, Dianne Beal, qui est spécialiste de l’art contemporain russe et qui projette d’ouvrir une galerie consacrée à ce secteur à Paris. Elle lui propose de l’associer à cette aventure, la galerie Blue Square ouvre ses portes en 2007 dans un bel espace de la rue Debelleyme (tout près de chez Thaddaeus Ropac) et Vincent Sator devient codirecteur d’une structure dédiée à l’art contemporain russe, lui qui n’est jamais allé en Russie et ne parle pas un mot de la langue (dans les faits, c’est Dianne Beal qui traitait directement avec les artistes, tandis que lui s’occupait plus de l’intendance de la galerie). Mais en 2008, la crise financière touche durement ce marché trop spécialisé qui ne concerne qu’une petite poignée de collectionneurs  et, deux ans plus tard, la galerie est obligée de fermer. Vincent Sator pourrait y avoir laissé ses économies, mais paradoxalement, la revente du bail lui permet de réaliser une meilleure opération financière que ses transactions artistiques.

Avec l’argent gagné, il n’attend pas et cherche un autre espace pour lui tout seul, car il est sûr désormais d’avoir trouvé sa vocation et il ne veut plus avoir de compte à rendre, lui qui a toujours fait preuve de tant de respect et d’humilité face à ses supérieurs hiérarchiques. Il le trouve dans ce petit passage du Marais, où d’autres galeries sont installées et où le loyer est encore abordable. D’emblée, il veut donner à sa galerie une ligne internationale, car il a bien conscience qu’aujourd’hui, on ne peut plus se contenter du marché français. De la galerie Blue Square, il reprend deux artistes dont Yevgeniy Fiks qui fait un travail passionnant sur l’homosexualité en Russie. Et il croit beaucoup en la peinture chinoise, en particulier celle de Yan Heng. Mais les français ne sont pas absents pour autant et il montre d’emblée le travail de Raphaël Denis (dont on a pu voir l‘an passé une belle exposition au Musée Picasso) et de Gabriel Léger, deux artistes dont il est heureux d’avoir pu accompagner la carrière. Il ne défend pas un médium ou une esthétique, mais cherche à regrouper des artistes dont il peut s’occuper entièrement (aujourd’hui, la galerie représente 13 artistes, mais il reconnait qu’il ne peut travailler aussi intensément avec tous). Et lui dont le goût pour l’art s’est forgé à la lumière de la Renaissance italienne ne peut se contenter d’œuvres dont la forme serait négligée ou pas complètement aboutie : il a besoin d’un parfait équilibre entre le « beau » et la profondeur intellectuelle. Au début, d’ailleurs, il parlé d’humanisme à propos de sa ligne directrice. Mais il a compris que, dans le monde de l’art contemporain, le mot pouvait sembler suspect et il préfère employer depuis ceux de « mémoire » et « d’identité » qui correspondent plus à ses préoccupations premières.

sator expoMalgré la joie de pouvoir enfin décider seul, les premiers temps de la galerie, qui ouvre en octobre 2011, ne sont pas simples, car Vincent Sator doit se faire connaitre et il réalise rapidement que les collectionneurs qu’il avait pu rencontrer à la galerie Blue Square ne sont pas forcément ceux qui vont soutenir son programme. Mais il sait être patient et bâtir progressivement des relations fidèles avec la presse et les musées. La vraie reconnaissance, elle a lieu lorsqu’il participe pour la première fois aux foires  « Art Paris » et « Drawing Now » et qu’il se sent à l’égal des autres galeries qui s’y trouvent. Et elle vient de se confirmer par la proposition qu’on lui a récemment faite de participer à « Choices », cette manifestation qui a lieu depuis quelques années et qui, pendant quelques jours, en mai, invite les collectionneurs du monde entier à découvrir le meilleur des galeries parisiennes.
Dans l’avenir, Vincent Sator aimerait accroître encore la dimension internationale de son activité en ouvrant un autre espace à Hong-Kong, une ville qui le fascine et où s’active, selon lui, une scène artistique particulièrement excitante. Et il aimerait développer d’autres  activités comme l’édition, un secteur dans lequel il a déjà mis un pied en publiant le livre de Raphaël Denis, La Loi normale des erreurs. Mais il reste très attaché à la galerie (« Un pied dans le local, un pied dans le global », se plait-il à dire), qui doit rester pour lui un lieu vivant, d’échanges, où toutes les formes d’art peuvent trouver leurs places. Pour l’heure, d’ailleurs, il présente le travail de Kristina Irobalieva, une jeune artiste d’origine bulgare qui s’est emparé d’un motif de « jungle » pour faire trente tableaux de format identique et leur donner des éclairages différents, questionnant ainsi l’histoire de l’art (certains tendent vers l’abstraction) et la fabrication de l’image (elle vient d’un pays où celle-ci a été beaucoup manipulée). « Ce qui est passionnant quand on dirige une galerie, c’est qu’il n’y a pas de modèle, c’est que tout est toujours à réinventer. », s’émerveille Vincent Sator. N’est-ce pas la preuve qu’après avoir beaucoup tergiversé, il a trouvé la place qui lui convenait et qu’il ne changerait pour rien au monde ?

-Galerie Sator, Passage des Gravilliers, 10 rue Chapon, 75003 Paris (www.galeriesator.com). L’exposition de Kristina Irobalieva, Iron Palm, se tiendra du 10 mars au 9 avril.

 

Images : œuvre de Pablo Garcia présentée à l’occasion de l’exposition de Pablo Garcia et Jean-Marc Cerino, Les Glaneurs de rêve ; portrait de Vincent Sator par Maxime Dufour;  vue de l’exposition « Iron Palm » de Kristina Irobalieva courtesy Grégory Copitet

Cette entrée a été publiée dans La galerie du mois.

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commentaire

Une Réponse pour Galerie Vincent Sator

Court dit :

Oui, c’est un vrai galeriste. J’avais particulièrement apprécié son artiste persane à Drawing now il y a je crois trois ans. J’avaisaussi apprécié une bonne partie de l’époque Debelleyme…. Pour le reste , je n’ai pas toujours tout suivi, mais au moins ce qu’il présente est en général élaboré et stimulant, meme s’il n’évite pas toujours le nihilisme post-Duchamp.
MC

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