de Patrick Scemama

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La République de l'Art

Garouste, peintre lettré

On ne juge pas l’œuvre de Gérard Garouste, qui est présentée cet été à la Fondation Maeght de Saint-Paul de Vence, selon les mêmes critères que l’on juge celles d’autres peintres ou d’autres sculpteurs. Car l’artiste occupe une place à part dans le paysage culturel français de ces quarante dernières années, celle d’un OVNI qui a tracé un chemin qui n’appartient qu’à lui. Il est peintre, mais un peu par défaut, parce que, de son propre aveu, « il ne savait rien faire d’autre » et qu’il avait besoin de la peinture pour calmer les angoisses qui le rongeaient (bipolaire, il a fait de nombreux séjours en hôpitaux psychiatriques). Et lorsqu’il a commencé les Beaux-Arts, il ne connaissait de celle-ci que ce qu’il avait vu au Louvre. A l’époque où triomphait l’art conceptuel et où Buren et Parmentier réduisait l’art pictural à des lignes, Mosset à des cercles et Toroni à des empreintes de pinceau, Garouste fit le choix de la figuration, ce qui pouvait sembler suicidaire. Malgré tout, le succès fut vite au rendez-vous : exposition à feue la galerie Durand-Dessert, création du décor du « Privilège », le restaurant du Palace, réalisation du plafond d’une chambre des appartements présidentiels de l’Elysée, et, reconnaissance suprême, exposition à la très prestigieuse galerie de Leo Castelli à New York, qui allait désormais le représenter… Pendant cette période, Garouste élaborait un vocabulaire – palette sombre où dominent le brun et le bleu, glacis et techniques héritées des maîtres anciens, corps disloqués avec des membres hypertrophiés, présence d’animaux qui sont en dialogue constant avec l’homme – qui allait être la marque de son travail et que l’on peut voir dès les premières salles de l’exposition à la Fondation Maeght.

(Photo supprimée)

Ce vocabulaire n’a pas beaucoup changé depuis. Car ce n’est pas tant la peinture qui intéresse Garouste que ce qu’elle permet de dire, que la pensée qu’elle met en action. C’est la raison pour laquelle le peintre, qui aurait pu triompher à New York où l’on aime le formalisme, a préféré en partir et c’est aussi celle pour laquelle il se situe à l’écart de toutes les écoles, de toutes les modes ou de toutes les tendances.  Garouste, qui est aussi auteur (en particulier d’un livre, L’Intranquille, paru il y a quelques années aux Editions L’iconoclaste et dans lequel il dénonce à la fois l’antisémitisme de son père et raconte ses premières crises de démence) et comédien, veut que son art ne soit pas que de l’art et qu’il serve à quelque chose. C’est à cet effet qu’il a créé La Source, une association qui a pour mission d’aider les jeunes en difficulté et en situation d’exclusion, dans laquelle il s’investit pleinement. Dans une interview publiée dans le très beau catalogue qui accompagne l’exposition (coédition Fondation Maeght/Flammarion), il précise : « Aujourd’hui, ce qui m’importe, c’est la construction d’un avenir. L’art au service d’autre chose. Je me nourris des propos du Bauhaus et j’ai confiance dans l’action développée à la Source depuis sa création. Non, ma vie ne prétend pas être une œuvre. Mais j’ai envie que mes tableaux et mes sculptures puissent servir une politique sociale, écologique ou une éthique à laquelle je crois plus qu’à la valeur de mes œuvres. Je n’ai aucune envie d’être iconoclaste ou marginal. Le métier de peintre est un métier comme un autre. »

Si l’œuvre de Garouste a donc pour mission d’intervenir sur le champ de la société, elle cherche aussi à éclairer l’homme sur les origines de son histoire, sur ses mythes fondateurs, sur les énigmes de son existence. Garouste est un artiste cultivé et lettré, dont les meilleurs amis sont, entre autres, Jean-Michel Ribes, Patrick Modiano et François Rachline qu’il a rencontrés à l’internat de l’école du Montcel et il a étudié et illustré les textes essentiels de la culture occidentale, ceux de Dante, de Rabelais et de Cervantès en particulier (d’où son travail, par exemple, et son identification au personnage de Don Quichotte). Dans ses tableaux, le livre est très souvent présent, symbole du savoir dont on extrait la substance et vers lequel on revient en permanence. Il s’y met lui-même aussi souvent en scène, ainsi que ses amis proches, ou y transcrit ses rêves, comme s’il était évident que c’était bien de sa vie dont il était question et que son histoire personnelle s‘y fondait complètement (certaines toiles renvoient d’ailleurs explicitement à des épisodes survenus lors de ses internements en hôpitaux psychiatriques). Mais Garouste cultive aussi le goût de l’énigme et ses peintures et sculptures s’apparentent parfois à des rébus qu’une bonne connaissance de la littérature, mais aussi des textes sacrés comme la Bible, le Talmud ou la Tora aide à déchiffrer (lui-même étudie l’hébreu depuis plus de vingt ans).

(Photo supprimée)

On retrouve tous ces aspects de l’œuvre dans l’exposition de la Fondation Maeght, En chemin, qui regroupe les toiles par thèmes et par cycles de pensées. Mais un des aspects les plus intéressants en est sans doute la présentation des carnets de l’artiste qui permettent de comprendre les processus de création et la manière dont les œuvres s’hybrident (lui-même prétend avoir une mémoire défaillante et prendre des notes pour ne rien oublier). Car il faut bien avouer que les thèmes développés par Garouste ne sont pas simples, qu’ils posent plus de questions qu’ils n’apportent de réponse et provoquent chez le spectateur un sentiment d’incertitude, à l’image de l’expérience du chat de Schrödinger, qui est d’ailleurs évoquée dans une toile. Celui-ci peut facilement se laissait déboussoler et ne voir que distorsion, inconfort, intranquillité ou tout simplement incompréhension dans cet univers où tout semble en perpétuel mouvement, où le grotesque côtoie le sublime, où l’anamorphose et le masque sont des figures récurrentes qui brouillent encore la lisibilité de l’œuvre.

Il pourra alors se reporter au catalogue dont il a été question plus haut et qui constitue une analyse approfondie du travail de l’artiste. Outre les reproductions des œuvres présentées, il pourra y lire, en plus des contributions d’Adrien Maeght et d’Olivier Kappelin, le commissaire de l’exposition, un très intéressant texte d’Hortense Lyon, qui analyse justement les carnets et permet de comprendre la valeur symbolique d’un certain nombre de sujets (l’âne, le chien, le nid, la figue, etc) que l’on retrouve régulièrement dans la peinture de Garouste ou un important et passionnant texte, en quatorze variations, du philosophe et rabbin Marc-Alain Ouaknin, qui analyse les liens de celle-ci avec le Talmud. Ainsi éclairé, il pourra aussi regretter que, sur un plan purement, formel, l’œuvre de Garouste ne soit pas plus novatrice, que tout en voulant faire avancer des questions sociétales, elle joue l’hermétisme et le mystère (on pourrait aussi évoquer les instruments maçonniques, le compas et l’équerre, qui apparaissent souvent sur les toiles), qu’à force de vouloir penser, elle laisse à la peinture un rôle presque subsidiaire. Mais encore une fois, Garouste n’est pas un artiste comme un autre et plus que le simple peintre et sculpteur, c’est l’homme dans sa globalité qu’il faut considérer, avec ses doutes, ses pensées, sa foi dans l’avenir, son engagement, son érudition, mais aussi ses faiblesses, ses failles avouées, bref, ce qui le rend attachant et humain.

-Gérard Garouste, En chemin, jusqu’au 29 novembre à la Fondation Maeght, 06570 Saint-Paul de Vence (www.fondation –maeght.com). Catalogue coédité par la Fondation et les Editions Flammarion, format 22 x 30 cm,  288 pages, 39,90€.

Images :

Gérard Garouste, Dérive, 2010,   huile sur toile, 114 x 195 cm. Collection particulière. © Courtesy Galerie   Daniel Templon, Paris. Photo Bertrand Huet/Tutti. © Adagp Paris 2015.Gérard Garouste Le Masque de   chien, 2002, huile sur toile, 92 x 73 cm, FNAC 03-057. Centre national   des arts plastiques, Paris. © CNAP / Photo André Morin © Adagp Paris 2015.
Gérard Garouste, Don Quichotte,   2013, bronze, 64 x 37 x 37 cm.© Courtesy Galerie Daniel   Templon, Paris.Photo Bertrand Huet/Tutt© Adagp Paris 2015

 

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commentaires

4 Réponses pour Garouste, peintre lettré

court dit :

Un grand monsieur, auquel il est justement et dignement rendu hommage.
MCourt

Paul Edel dit :

Garouste c’est vraiment formidable!

coup de froid dit :

Court et Edel : ça c’est de la critique, de la vraie !

coup de froid dit :

j’ai écrit cela car en ce qui concerne MCourt il est plus disert lorsqu’il s’agit de dézinguer tout ce qui lui déplaît et est donc systématiquement mauvais

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