de Patrick Scemama

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La République de l'Art
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« Antigalerie », c’est ainsi qu’on peut résumer sommairement le projet qu’avaient Solène Guillier et Nathalie Boutin en ouvrant gb agency en 2001. « Antigalerie », parce que les deux jeunes femmes, qui venaient toutes les deux de deux grandes galeries traditionnelles (Yvon Lambert pour la première, Almine Rech pour la seconde) connaissaient trop bien leur fonctionnement pour vouloir le reproduire. Et, en ce début du XXIe siècle, elles ne se reconnaissaient pas dans l’art très formel qui triomphait partout, elles avaient le sentiment que de nombreux artistes qu’elles appréciaient, l’une et l’autre, n’étaient pas représentés, que, depuis la chute du Mur de Berlin, une nouvelle époque s’ouvrait, avec des artistes et des esthétiques que les historiens d’art, jusqu’alors, n’avaient pas pris en considération. La Documenta X de Catherine David était passée par là et incitait à une relecture des acquis et des idées reçues. Elles voulaient revenir à l’essence de l’art. Mais comment ?

« Nous n’avions pas de fortune personnelle et n’avions donc pas les moyens de financer un centre d’art ou une fondation, précise Solène Guillier. Il nous a bien fallu revenir à la structure commerciale. » Mais la galerie qu’elles ouvrent dans un premier temps rue Duchefdelaville, dans le XIIIe, à deux pas de la rue Louise Weiss où, depuis quatre ans, grâce à Jacques Toubon, maire de l’arrondissement, se sont installées les galeries les plus novatrices de Paris, n’a rien d’une structure traditionnelle. Partageant un grand espace avec la galerie In Situ de Fabienne Leclerc et Christophe Daviet-Thery (un avocat reconverti dans l’édition de livres d’artistes), elles créent une plateforme, un lieu qui cristallisent des attentes non exprimées. « A l’époque, explique Nathalie Boutin, nous ne présentions que trois ou quatre expositions par an, en alternance avec les expositions de Fabienne Leclerc, Notre luxe était de prendre notre temps. Lorsque nous n’avions pas d’expositions, nous en profitions pour réfléchir, voyager, faire un travail de recherche et de prospection. Ou nous faisions des ateliers avec les centres de loisirs du XIIIe pour ouvrir les enfants à l’art contemporain. Notre but était vraiment d’essayer autre chose, même si, au fond, tout cela était très empirique ; nous ne savions pas très bien où nous allions ni si cela pourrait durer longtemps. »

Et petit à petit va se mettre en place une ligne gb agency. Outre les artistes venus des pays de l’Est (Jiri Kovanda, Julius Koller, Roman Ondak, Deimantas Narkevicius), des artistes historiques (Robert Breer, Mac Adams) tout autant que des jeunes espoirs de la scène française et internationale (Dominique Petitgand, Elina Brotherus, Omer Fast, entre autres) vont rejoindre la galerie. Une esthétique que l’on pourrait qualifier de « conceptuelle » (à l’image du travail de Ryan Gander, une autre vedette de la programmation) va en devenir la marque. « Nous voulions casser le côté galerie française avec des artistes français de la même génération, s’exclament les deux jeunes femmes. Notre but était de mélanger des gens d’horizons et d’âges différents et de faire en sorte qu’il y ait un dialogue entre eux, même s’il ne saute pas directement aux yeux. Et nous ne voulions pas travailler avec trop d’artistes, de manière à pouvoir nous occuper vraiment de ceux que nous représentations. » Une exigence intellectuelle qui ne va forcément de pair avec les impératifs commerciaux. « Oui, les premières années ont été dures et nous avons souvent fait le désespoir de notre comptable, mais il ne nous est jamais venu à l’idée de faire autrement et nous avons eu la chance d’arriver à un moment où des foires comme Art Basel cherchaient des jeunes structures comme la nôtre pour renouveler leur programmation. »

Solene et nathalieAprès plusieurs années de vie communautaire, la galerie déménage dans un local qu’elle occupe toute seule rue Louise Weiss (« mais notre première exposition dans cet espace a duré un an, en se renouvelant régulièrement »). Désormais, elle a pris possession d’un superbe lieu sur deux étages, dans le Marais, là où se concentrent la plus part des grandes galeries parisiennes. « En arrivant dans le Marais, nous avions peur de nous embourgeoiser. Mais le lieu tel que nous l’avons conçu, avec un étage consacré à nos artistes et un autre, Level One, plus expérimental, qui permet de faire encore un travail prospectif, nous a permis d’y échapper. Cela crée une intimité, un côté organique qui fait que des gens restent parfois des heures à regarder nos propositions. Et puis nous avons cherché à préserver notre intégrité, à garder la même éthique dans le travail avec les artistes. Ce n’est pas toujours facile, cela demande des sacrifices, mais c’est le prix à payer pour garder le cap que nous nous sommes fixées. »

Cette galerie dont le sérieux est unanimement loué et qui sert de modèle à de nombreuses jeunes pousses s’inquiète-t-elle alors de la tendance actuelle des autres galeries à vouloir prendre de plus en plus d’importance et à ouvrir des espaces un peu partout ? « Non, parce que nous voulons être libres de faire ce qui nous plaît et que cela n’est possible qu’en restant  souples, réactives, sans pesanteur économique. Il n’est pas question d’infléchir la programmation pour rembourser les frais occasionnés par un trop grand développement. Pas question de mettre le doigt dans un système qui pourrait nous manger. Grandir, mais pas grossir, tel est notre credo. »

Gb agency, 18 rue des 4 Fils, 75003 Paris (www.gbagency.fr)

Jusqu’au 17 octobre, la galerie propose une exposition de Robert Breer, l’artiste américain disparu en 2011 et, à Level One, la première exposition en France de l’artiste portugaise Ana Jotta.

Images : Vue de performance, Jiri Kovanda, Wait, Please, She will Come, gb agency, Paris, 2011, Photo Marc Domage ; Nathalie Boutin et Solène Guillier ©Bernard Saint-Genès

 

Cette entrée a été publiée dans La galerie du mois.

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