Golnâz Pâyâni
Au salon de Montrouge qui vient de s’achever, ses œuvres, n’étaient pas les plus spectaculaires : une vidéo et deux broderies et, plus loin – puisque le nouveau commissaire a décidé de partager la présentation en sections -, un incroyable livre d’artistes, Oasis, dans lequel les frontières des 196 pays de la planète étaient reproduites, mais uniformisés à l’échelle et en creux, allant du plus grand au plus petit, comme pour évoquer une béance, une disparation, mais aussi une recomposition. Le film, lui, Mille et une nuits, était un montage d’extraits de films muets dans lequel on voyait des personnages manifester leur étonnement devant quelque chose. Mais devant quoi ? On ne le sait pas et c’est bien ce qui intéresse Golnâz Pâyâni, l’auteur de ces œuvres, le hors-champ, ce qu’on ne voit pas ou qui a disparu et dont elle cherche la trace.
L’artiste est née en Iran en 1986, dans une famille culturellement ouverte (son père a étudié aux Etats-Unis) et c’est là qu’elle commence à étudier la peinture. Mais à la fois en raison des pesanteurs de la société iranienne et parce qu’elle aspire à venir en France, qui a eu une place si importante dans l’histoire de l’art, elle postule dans différentes écoles d’art de l’hexagone. C’est aux Beaux-Arts de Clermont-Ferrand, où la procédure d’admission a été le plus simplifiée (elle a pu passer l’entretien au téléphone, sans avoir à se déplacer) qu’elle est admise. Au début, elle parle mal le français (elle l’a appris un peu avant de partir), mais l’adaptation se fait bien, l’intégration en France n’a rien de violent et elle éprouve même un sentiment grisant de « renouveau » et de « recommencement ».
Ce n’est qu’au bout de quelques années qu’elle commence à sentir l’exil et le mal du pays, au bout de quelques temps que sa famille et ses amis lui manquent, même si elle retourne régulièrement en Iran. Car elle reste plus de cinq ans à Clermont, avant de venir s’installer à Saint-Ouen où elle vit et travaille actuellement. Est-ce la raison pour laquelle le manque, le vide et l’absence sont tellement à l’œuvre dans son travail ? Sans doute, mais elle ne souhaite pas que son travail soit lu à la seule lueur de son itinéraire personnel, ni qu’il ait l’allure d’un manifeste : elle veut qu’il soit riche d’interprétations multiples et que le spectateur le voit de la manière qui lui semble la plus adaptée.
De la même manière qu’elle n’est pas fixée sur un médium. Quand elle commence à travailler, elle ne sait jamais exactement où elle va. Elle a une image en tête, mais elle aime se laisser surprendre. Elle a commencé la peinture en Iran, mais en France, elle a beaucoup pratiqué la vidéo, parce qu’elle aime « travailler dans la durée, faire en sorte que le spectateur reste avec elle ». Et elle a aussi utilisé la porcelaine, en enduisant avec la pâte encore liquide des tissus et en les faisant cuire, de manière à ne garder que l’empreinte du tissu, celui-ci ayant totalement disparu. Le tissu, d’ailleurs, elle l’aime beaucoup, elle y trouve beaucoup de mystère et s’intéresse particulièrement à la question du pli, peut-être parce qu’en Iran, elle était obligée de porter le voile. Les deux broderies qu’elle présentait à Montrouge sont des pièces en tissu. La première, ronde, reprend un motif floral que Golnâz Pâyâni n’a que partiellement brodé. Et en plus, au lieu le faire avec les couleurs de fil indiquées, elle l’a fait avec la couleur du fond, comme pour masquer le motif, « comme si le tissu se censurait lui-même », explique-t-elle. La seconde, carrée, est un tissu froissé avec lequel l’artiste a éprouvé le besoin de travailler, mais plutôt que de masquer ces plis, elle a choisi de les souligner en les brodant de différentes couleurs, comme pour « donner de la valeur aux choses qu’on efface ».
Disparition, absence, deuil, manque, c’est bien la fuite du temps qui est cœur ce travail qui, par certains aspects, pourrit faire penser à celui de Mona Hatoum, mais qui est plus ineffable et poétique que véritablement politique. « Dans ma vie personnelle, avoue l’artiste, il y a eu beaucoup de disparitions, de choses qui se sont évaporées, comme le groupe d’amis que j’avais en Iran et qui vit maintenant complètement à l’étranger ». Pour autant, elle, dont les idoles ont pour noms Tarkovski, Kundera et Beckett, ne ressent pas particulièrement de nostalgie, elle veut que ce vide ne soit pas synonyme de mort et de désespoir, mais qu’il soit porteur d’énergie et ouvre des champs nouveaux. Dans une de ses vidéos, Le Jardin baigné de grappes (2013), elle filme le quotidien d’une famille qui vit dans un cimetière. Mais cette situation n’a rien de tragique, car le cimetière est un jardin luxuriant où l’on prend plaisir à rester. La vie y côtoie donc la mort, mais avec une sérénité et une douceur toutes philosophiques.
On peut voir les œuvres de Golnâz Pâyâni sur son site : www.golnazpayani.com.
Images : Golnâz Pâyâni, Oasis, 38 x 25 cm, papier, 2015 ; Mille et une nuits, vidéo, 5’35’’, 2014 ; Sans titre, 27 cm de diamètre, tissu et fils, 2016 ; Le Jardin baigné de grappes, 22’38’’, documentaire-fiction, 2013
2 Réponses pour Golnâz Pâyâni
très bel article sur une magnifique artiste (enfin de l’authenticité …)
Merci de me faire découvrir ce travail doux-amer, plein de subtilités et de profondeur.
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commentaires