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Le 59e Salon de Montrouge: roulez jeunesse!

Le 59e Salon de Montrouge: roulez jeunesse!

Le 59e Salon d’art contemporain de Montrouge ouvre ses portes aujourd’hui au Beffroi, ce superbe édifice Art Déco situé au cœur de la ville. Il a pour Invité d’honneur Julien Salaud, qui y a été révélé en 2010 et qui y présente deux impressionnantes sculptures, dont un « centaure » qui a été réalisé avec des femmes incarcérées à la maison d’arrêt d’Orléans (pendant quinze jours, elles ont entièrement recouvert son buste de perles). Le jury en est présidé par Jean-Claude Gandur, un grand collectionneur suisse, plutôt porté vers l’archéologie et l’art moderne, mais qui est aussi sensible à l’art contemporain. Et la scénographie en  est comme d’habitude signée matali crasset  qui, tout en offrant une circulation fluide, a créé pour chaque artiste un module lui permettant de mettre le plus en valeur possible ses œuvres.

Ce salon, dont la direction artistique, rappelons-le, a été confiée depuis 2009 à Stéphane Corréard, s’est amélioré d’année en année, en partie grâce à la création d’un collège critique composé de personnalités issues du monde de l’art, qui opère une sélection rigoureuse et accompagne les artistes tout au long de l’aventure. Et cette année encore, près de 3100 dossiers ont été déposés pour une sélection, in fine, de 72 artistes. Même si la plupart d’entre eux sortent à peine de l’école et n’ont donc pas de galerie, certains sont plus âgés et ont déjà fait des carrières un peu surprenantes, comme Véronique Lorimier, qui est voyante, a passé la cinquantaine et présente d’étonnants dessins surréalistes et hallucinés (aucun critère d’âge ou de cursus n’est exigé pour pouvoir postuler). On y trouve donc ceux qui deviendront peut-être les vedettes de demain et il était amusant, hier, jour du vernissage professionnel, de voir galeristes, commissaires et collectionneurs arpenter fébrilement les allées à la recherche du nouveau petit prodige.

Ils avaient d’autant plus raison de le faire que la sélection de l’année est de qualité. Il serait difficile, en une seule visite, de vouloir rendre compte de l’ensemble des propositions, mais quelques-unes  (parmi d’autres, beaucoup plus faibles, tout n’y est quand même pas du même niveau) ont retenu mon attention. On pourrait citer, par exemple, le travail d’Anna Adam, qui est d’origine hongroise et qui travaille sur la mémoire : dans une salle, elle présente une vidéo d’une rescapée de la Shoah qui dit ne plus se souvenir de rien. La vidéo dure à peine quelques secondes. Elle est aussi brève que ce qu’a voulu garder dans sa conscience cette dame dont on sent pourtant sur ses épaules le poids de la tragédie. A côté, une série de clichés en noir et blanc est présentée sur un mur: il s’agit de photos de lieux marqués par l’expérience soviétique qui ont été découpées pour laisser apparaître de la couleur et sur lesquelles des personnages fantomatiques, aux postures parfois érotiques, ont été cousus. C’est beau, simple, émouvant et sensible.

DSC_0064Erotique, le travail que présente David Rodriguez, un peu plus loin, l’est, et même carrément pornographique. Car ce jeune colombien qui vient d’une famille très catholique a choisi, pour se libérer, de se confronter à la sexualité dans tous ses états, c’est-à-dire hétéro, homo, exclusivement blanche ou interraciale. Mais il a choisi de le faire avec humour en présentant, d’un côté, un mur de magnets qui sont autant d’images glanées sur des sites pornos qu’il a retravaillées (à vendre, seulement 20€ chaque) et, de l’autre, une série de boîtes de bonbons ou de biscuits sur lesquelles il a peint des scènes sexuelles et qu’il a délicatement disposées sur une étagère kitsch, comme dans la vitrine d’un magasin suranné.  Le contraste entre la crudité de l’image et la préciosité du support est irrésistible.

On pourrait citer aussi le travail de Steeve Bauras, qui mêle photos, vidéo, musique et sculpture autour de l’idée de racisme communautaire à Dakar dans un dispositif parfaitement maîtrisé. Ou les grands dessins au crayon de Quentin Spohn, qu’on a déjà vus, à Nice, l’été dernier, dans l’exposition des diplômes de la Villa Arson, et qui renvoient aussi bien à la bande dessinée qu’à l’histoire de l’art. Ou l’installation intrigante d’Aymeric Vergnon-d’Alançon qui fait revivre un photo-club d’exilés qui a vraiment existé et qui s’intéressait à la magie et aux arts divinatoires. Mais bien d’autres propositions, comme celle d’Anne-Sophie Yacono (de grotesques et touchantes céramiques qui évoquent le sexe féminin) sont de qualité et mériteraient qu’on s’y attarde.

Le jury, pour sa part, a attribué son grand Prix à Tatiana Wolska, une jeune artiste qui travaille avec des matériaux de récupération évoquant la débrouille dont elle a certainement dû faire preuve pendant son enfance en Pologne. Il se trouve que la jeune femme, qui est représentée par la galerie Catherine Issert de Saint-Paul de Vence, a déjà une exposition en ce moment au Palais de Tokyo, dans les modules de la Fondation Pierre Bergé- Yves Saint-Laurent où elle présente d’ailleurs une très belle sculpture murale constituée d’une ligne de clous. Or la récompense attribuée au lauréat du Salon est justement une exposition dans ces mêmes modules. Cela veut-il dire qu’elle aura deux expositions successives au même endroit ou trouvera-t-on  une solution alternative ?

pressager_louise_2 LAUREATE2014Louise Pressager et Qingmei Yao se sont partagées le Prix Spécial du jury. La première interroge en plusieurs médiums et avec un humour ravageur les différentes croyances (en Dieu, en la religion, la médecine, l’égalité des sexes, etc) ; la seconde réalise des performances et des vidéos déjantées qui ont le communisme pour toile de fond. Et Virginie Gouband a obtenu un Prix du Conseil Général des Hauts de Seine bien justifié: elle réalise des photos de gélatines de couleur qu’elle tire sur des films de diapositives et qu’elle insère entre deux verres posés contre un mur, jouant ainsi avec subtilité sur l‘espace et la lumière.

gouband_virginie_2 LAUREATE2014A propos de jeunes artistes, enfin, la Fondation Ricard vient de révéler la liste de ceux qui concourront pour le Prix décerné à l’automne et qui ont été sélectionnés par le collectif castillo/corrales : Marie Angelleti, Jean-Alain Corre, Audrey Cottin, Hendrik Hegray, Mélanie  Matranga et Camille Blatrix. A part ce dernier, qui vient d’avoir une exposition à la galerie Balice/Hertling,  j’avoue n’en connaître aucun. Les commissaires bellevillois ont donc vraiment fait leur travail de tête chercheuse (c’est après tout la vocation de ce prix) et il y aura de vraies découvertes à faire en septembre rue Boissy d’Anglas.

-Salon de Montrouge, jusqu’au 28 mai (entrée gratuite), Le Beffroi, 2 Place Emile Cresp, Montrouge (www.salondemontrouge.fr)

Images :  Tatiana Wolska, Porte-sculpture, 2013, Chutes de bois, vis, colle. 230 x 470 x 440 cm. Photo : © Karolina Kodlubaj; David Rodriguez, Des choupettes sinon rien!, Huile sur boîte en carton, 16 x 26,5 x 4 cm, ; Louise Pressager, Je crois, 2012, Encre sur papier., 15 x 21 cm; Virginie Gouband, Light Sculpture, 2013,Photographie Ektachrome. 20 x 25 cm. © Salon de Montrouge 2014

Cette entrée a été publiée dans Expositions, Marché.

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commentaire

Une Réponse pour Le 59e Salon de Montrouge: roulez jeunesse!

Caveyrac dit :

Je viens de mettre en ligne deux répertoires gratuits dont le guide 2015 des 400 sites de salons, biennales, foires, festivals, symposium, marchés, ateliers portes ouvertes. Ils sont disponibles en libre téléchargement sur le site : http://www.active-art.net. Je vous remercie de partager et diffuser largement cette information.

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