Le musée idéal de Jean-Hubert Martin
IJean-Hubert Martin, le commissaire de l’exposition Carambolages qui s’ouvre aujourd’hui au Grand Palais, est un historien de l’art en avance sur son temps. En 1989, alors qu’il était directeur du Musée National d’Art Moderne, il a été un des premiers à montrer des artistes venus du monde entier, en particulier lors de l’exposition Les Magiciens de la terre, qui est restée célèbre. Quelques années plus tard, lorsqu’il dirigeait le Musée National des Arts d’Afrique et d’Océanie, il a demandé aux artistes d’exposer non seulement leurs propres œuvres, mais aussi des objets représentatifs de leurs cultures, de l’histoire de leurs pays et du contexte de leurs origines. Et en 2000, lors de la Biennale de Lyon intitulée Partages d’exotismes, il a inversé le point de vue que le monde occidental porte sur l’art en général, en présentant des oeuvres qui témoignent de la manière dont le reste du monde perçoit l’Occident. Pour lui, la notion de décloisonnement et de dépassement des genres et des frontières est essentielle, les deux schémas sur lesquels se fonde l’histoire de l’art traditionnelle (l’évolution et l’influence) sont caducs et il est persuadé que si les musées persistent à présenter les œuvres selon les mêmes critères qu’ils le font actuellement, ils n’intéresseront bientôt plus personne. Sa méthode consiste donc à réunir des pièces venant de styles, de périodes et de registres différents, à les faire dialoguer entre elles et à les exposer sans se soucier de chronologie, dans une logique qui relève plus de celle du cabinet de curiosité du collectionneur averti que de celle du directeur de musée, respectueux des dogmes et des traditions.
Elle (sa méthode) trouve d’une certaine manière son expression la plus accomplie dans Carambolages, cette exposition dont le titre a déjà valeur de manifeste. Car Jean-Hubert Martin y a réuni plus de cent-quatre-vingts œuvres, souvent atypiques, de toutes époques et de toutes cultures confondues, qui vont des arts premiers à l’art contemporain, en passant par les arts asiatiques, l’art classique, la statuaire antique, les objets historiques, l’artisanat, etc. Le principe (« le règle du jeu », est-il dit) en est simple : les œuvres ne sont présentées selon la place qu’elles occupent dans l’histoire de l’art, mais selon des affinités formelles ou mentales. On passe ainsi d’une épée des îles Kiribati en Océanie à une sculpture de Bertrand Lavier, Black & Decker, en raison de la ressemblance formelle (la verticalité, l’aspect tranchant) qui unit les deux pièces, et d’autres oeuvres sont regroupées parce qu’elles ont thème commun (l’œil, par exemple, ou d’autres attributs du corps humain liés aux sens, comme la main, le nez, l’oreille, entre autres). Comme dans une séquence interrompue, chaque pièce dépend de la précédente et annonce la suivante. L’exposition est conçue selon un parcours de petites travées qui abordent toutes plus ou moins un thème ou une similitude formelle et à l’intérieur desquelles les œuvres ne sont pas légendées. Ce n’est qu’au bout de ces travées que, sur des écrans, apparaissent les titres et les provenances des œuvres. De la même manière, Jean-Hubert Martin a interdit que des audio-guides commentent l’exposition. Car c’est bien le spectateur qu’il veut rendre responsable et l’obliger à regarder les œuvres en dehors de tous les discours que l’on peut tenir dessus. Quitte à ce que lui-même se fasse son propre accrochage et sa propre lecture (c’est d’ailleurs ce que propose un jeu situé à mi-parcours de l’exposition). En fait, en proposant ce télescopage insolite, Jean-Hubert Martin renvoie au grand historien de l’art Aby Warburg et à son Atlas Mnémosyme (qui juxtapose des images de manière inattendue) en le citant, d’ailleurs, dès le début de l’exposition.
L’initiative est passionnante et fait partie de celles auxquelles on a d’emblée envie d’adhérer. Le problème est qu’elle ne débouche sur rien et devient très vite anecdotique. Car à la différence de Warburg qui tirait des conclusions de ses surprenants rapprochements (la manière dont l’image produit des constantes), Jean-Hubert Martin ne tient pas de discours et laisse le spectateur se débrouiller tout seul. Qu’est-ce qui justifie que des œuvres de provenance aussi diverses soient présentées ensemble ? Outre des similitudes formelles et thématiques, le commissaire a des clefs, qu’il ne livre pas. Il dit, par exemple, que « les vases chinois de la dynastie Tang lui font penser aux « drippings » de Pollock, mais que ce n’est pas important si le spectateur ne le perçoit pas, parce qu’ils ont une beauté intrinsèque ». Et bien d’autres clins d’œil parsèment l’exposition. Certes, mais pour le spectateur qui ne les saisit pas, l’exercice est rude et devient vite lassant. Dans le dossier de presse qui accompagne l’exposition, cette démarche est justifiée par celle, entre autres, d’André Breton et de son grand Mur de l’Atelier (aujourd’hui présenté à Beaubourg), dans lequel des objets très hétéroclites sont mis les uns à côté des autres et prennent sens dans le contexte qui les entoure. Mais plus que les objets, c’est la psyché d’André Breton que cette installation éclaire et, de la même manière, plus que les oeuvres qui sont présentées ici, c’est la subjectivité, le choix et le goût du commissaire (son « musée idéal ») qui sont mis en avant. Comme ils sont ceux d’un amateur éclairé, ils nous permettent de voir des merveilles et souvent des choses très insolites, mais cela ne suffit pas. Un musée a aussi un devoir d’explication et de de pédagogie.
–Carambolages, jusqu’au 4 juillet au Grand Palais, galeries nationales, entrée Clémenceau (www.grandpalais.fr)
Images : Vues de l’exposition Carambolages, scénographie Hugues Fontenas Architecte ©Rmn-Grand Palais / Photo Didier Plowy, Paris 2016 avec, en haut, un monument funéraire en porcelaine du XVIIIème siècle, une toile de Chassériau (Etude de noir, 1838) et une cuirasse d’officier de cuirassiers 1er modèle trouée par un boulet à la bataille de Wagram et, en bas, un Autoportrait (vers 1720) de Nicola Van Houbraken et une oeuvre de Lucio Fontana (Concept spatial, Attentes, 1958).
7 Réponses pour Le musée idéal de Jean-Hubert Martin
j’aime bien la conclusion. une expo au grand palais s’adresse au plus grand nombre et doit donc faire preuve de pédagogie, offrir des pistes sans forcément tenir par la main le visiteur.
il me semble que le reliquaire attribué à Saint Luc de Toulouse serait plutôt celui de Saint Louis de Toulouse
Compliments pour vous billets… tenez bon, les temps sont durs !
Merci. On va faire en sorte.
Non, un musée n’a pas à sombrer dans la pédagouillerie. Il est sain de laisser le spectateur se débrouiller tout seul, car , de toute manière, l’oeuvre passe, ou pas. A fortiori le dialogue entre plusieurs.
Et merci, trois fois merci, à l’organisateur d’avoir supprimé ces audioguides qui transforment les musées en aquariums dont les spectateurs sont les poissons rouges.
pédagouillerie : quel commentaire méprisant… pas étonnant vu la signature
agréablement surprise au début, je me suis cependant rapidement lassée. Une exposition ennuyeuse et pleine de prétentions – en particulier celle de ne pas en avoir
Les pièces présentées méritaient mieux que cet imbroglio. Je ne pense pas que l’art contemporain et les courants de pensée et de sensibilités qu’ils traduisent et que j’apprécie hautement – pas ceux des pseudo artistes, cela s’entend – ne sortira pas grandi de cette exposition.
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