de Patrick Scemama

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La République de l'Art
Les arts vivants au musée

Les arts vivants au musée

Dans mon précédent billet (http://larepubliquedelart.com/qui-peut-le-moins-peut-le-plus/), je vous parlais de l’exposition qui se tient actuellement au Palais de Tokyo et qui est une sélection des œuvres immatérielles et des performances qui se trouvent dans la collection du Centre national des arts plastiques (CNAP). Certaines de ces performances, comme celle de Noé Soulier, qui sera activée le week-end prochain, renvoient directement à la danse, puisque, en l’occurrence, un danseur y « détourne le travail pédagogique Improvisation Technologies de William Forsythe en tentant d’exécuter les mouvements comme des séquences chorégraphiques ». Mais elles ont néanmoins été pensées pour le musée ou le lieu d’exposition où elles doivent avoir lieu, pas pour une scène de théâtre.

Un nouveau phénomène s’observe depuis quelque temps, qui est l’entrée au musée d’artistes qui ont d’abord travaillé pour la scène. Un des premiers à être passé de l’autre côté est Tino Seghal. Après avoir étudié la danse en Allemagne et pratiqué avec Jérôme Bel ou les Ballets C. de la B., l’artiste anglais d’origine pakistanaise a en effet choisi de ne plus présenter son travail que dans des galeries ou des musées, comme le prestigieux Guggenheim de New York, au point d’apparaître entièrement comme un artiste plasticien (il a même obtenu, et à juste titre, le Lion d’Or du meilleur artiste lors de la dernière Biennale de Venise). En 2000, pour son dernier spectacle destiné au théâtre, il avait conçu et interprété un solo (Sans titre), qui avait pour projet d’exposer théâtralement la « danse scénique » du XXe siècle dans un ordre esthétique proche de celui du musée. Ce solo a d’ailleurs été repris, récemment, par le danseur et chorégraphe Boris Charmatz, qui a triomphé récemment au MoMA en rendant hommage, entre autres, à Merce Cunningham et qui a lui-même fondé le Musée de la danse/Centre chorégraphique national de Rennes et de Bretagne. Un projet qui peut sembler paradoxal, puisque, par nature, la danse, art éphémère, s’oppose à l’idée de conservation qui accompagne celle de musée. Et qui peut paraître mortifère. Mais l’artiste se défend de toute tentative de « muséification ». « Le Musée de la danse, précise-t-il1, est surtout une manière d’aller de l’avant. De prospecter, d’inventer, de dessiner du futur. (…)Le corps pensé comme musée n’est pas seulement un corps qui se penche de manière archéologique sur ce qui le tient, les expériences qui le fondent, les lectures qui l’ont marqué et les identités qui le fixent : il est aussi la masse bouillonnante qui permet de réagir et d’inventer les actions et les postures d’aujourd’hui et de demain. »

Xavier Le Roy, Self UnfinishedUn même rapport au musée et un même refus de figer les choses a lieu dans la Rétrospective de Xavier Le Roy qui se tient actuellement au Centre Pompidou, dans le cadre du Nouveau Festival. Xavier Le Roy fait partie des chorégraphes qui, avec justement Jérôme Bel, Boris Charmatz et quelques autres, ont revivifié le paysage chorégraphique français. De formation scientifique (il est docteur en biologie moléculaire), il est venu à la danse tardivement, avec les méthodes d’un chercheur et a créé de nombreux solos, qui sont souvent plein d’humour. Ce sont ces solos qui forment la matière de l’actuelle exposition, enfin plus exactement le souvenir qu’ils ont laissé. Car Xavier Le Roy ne les interprète plus lui-même, mais les a confiés à une vingtaine de performers qui interviennent pendant tout le temps de l’exposition et qui les réinterprètent complètement, à partir du souvenir qu’ils en ont. Plutôt que de « rétrospective », ne voudrait-il pas mieux alors parler de « prospective » ? « Le titre de cette exposition me semble explicite, dit le chorégraphe. Il ne s’agit ni de se soumettre à la rétrospective comme genre ou comme convention, ni de présenter dans un espace d’exposition une rétrospective de travaux initialement destinés à l’espace du théâtre. (…) A partir des matériaux chorégraphiques empruntés à mes solos, il s’agit de composer d’autres gestes, d’autres histoires, et ainsi mettre en relief les enjeux liés à ma pratique et à celle des artistes qui ont répondu à cette invitation ».

Une démarche qui s’inscrit parfaitement dans le cadre de ce Nouveau Festival, qui a pour thème la mémoire et l’oubli, et qui, outre des expositions, présentes un passionnant  programme de spectacles et de projections (voir le programme sur le site du Centre Pompidou). Et une démarche qui induit une nouvelle relation au spectateur. Car celui-ci n’est plus un simple regardeur assis dans le noir d’une salle, mais un participant qui peut entrer en contact avec les performers (des interactions se font d’ailleurs avec le public). Et un participant qui ne subit plus la durée du spectacle, mais la choisit, en fonction de l’intérêt et de l’attention qu’il lui porte (on peut entrer et sortir comme on le souhaite). La preuve qu’il existe plein de choses à explorer dans ce domaine si stimulant du croisement des arts et des genres ; la preuve aussi que l’avenir ne réside plus dans la pratique d’une seule discipline, mais dans la confrontation et l’hybridation avec d’autres.

1in Jérôme Bel, Boris Charmatz, Emails 2009-2010, Editions les Presses du Réel, 2013

Rétrospective par Xavier Le Roy, jusqu’au 10 mars, dans le cadre du Nouveau Festival du Centre Pompidou (www.centrepompidou.fr)

Archive (lustre), 2013, oil on canvas, 87 x 120 cmPS : J’avais prévu initialement de consacrer ce billet à différentes expositions de peintures que j’ai vues récemment. Mais la Rétrospective de Xavier Le Roy a quelque peu bousculé mes plans. Je voudrais néanmoins vous parler de Reconstitutions, l’exposition de Mireille Blanc qui se tient à la galerie Dominique Fiat. C’est la première exposition personnelle de cette jeune artiste (née en 1985), qui peint à partir de partir de photos de famille ou d’objets, parfois kitsch, du quotidien. Agrandissant les images et laissant apparaître à leur surface des taches ou des imperfections, Mireille Blanc décadre ses sujets et les présente sous un angle inattendu, allant presque, parfois, jusqu’à les rendre difficilement identifiables. Et elle n’hésite pas à reproduire la trace du scotch avec lequel ces photos ont pu être accrochées, un jour, sur un mur. C’est un travail sensible, délicat, qui est encore beaucoup sous influence (en particulier celle de Luc Tuymans et des peintres flamands de cette génération), mais qui tend progressivement à trouver sa propre identité.  Et surtout c’est un beau travail de peinture, qui fait preuve d’un vrai savoir-faire, d’une richesse de la texture et d’un sens troublant du détail.

Reconstitutions de Mireille Blanc, jusqu’au 29 mars à la galerie Dominique Fiat, 16 rue des Coutures Saint Gervais, 75003 Paris (www.dominiquefiat.com)

Images : Rétrospective par Xavier Le Roy , photo Lluis Bover Fundacio Antoni Tapies ; Xavier Le Roy, Self Unfinished, 1998 Photo : © Katrin Schoof ; Mireille Blanc, Archive (lustre), 2013, Huile sur toile, 87 x 120 cm, Courtesy de l’artiste et Dominique Fiat, Paris.

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