de Patrick Scemama

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La République de l'Art
Lorsque l’art et la littérature se faisaient fête…

Lorsque l’art et la littérature se faisaient fête…

La rentrée s’annonce et avec elle s’achèvent les expositions qui ont accompagné notre été. Mais il en est une – dont il n’a pas encore été question dans ces colonnes- qui est prolongée jusqu’au 15 septembre et il faut impérativement aller la voir, car c’est une des expositions les plus excitantes qu’on ait pu voir ces derniers temps. Il s’agit de Man Ray, Picabia et la revue « Littérature » (1922-1924), qui se tient dans les espaces du Musée du Centre Pompidou. C’est une petite exposition par la taille, mais d’une richesse exceptionnelle et qui prouve à quel point la première partie du XXe siècle a su être riche en échanges artistiques de toutes sortes.

Le prétexte en est l’entrée dans les collections du Centre, grâce au mécénat de Sanofi, de vingt-six dessins que Picabia réalisa, entre 1922 et 1924, pour la revue « Littérature ». Rappelons que cette revue, créée en 1919 afin de diffuser des poèmes et de la prose, était à l’origine dirigée par Aragon, André Breton et Philippe Soupault, mais qu’à partir de 1922, Breton en devint l’unique rédacteur en chef. Il l’ouvrit alors aux arts plastiques en invitant Picabia et Man Ray à y participer librement, mais aussi en publiant des aphorismes de Marcel Duchamp ou des vignettes de Max Ernst. A partir du quatrième numéro de cette nouvelle formule, donc, Picabia créa un dessin original pour la couverture de chaque nouveau numéro et ce sont ces dessins, que l’on croyait perdus, alors qu’ils étaient dans la collection d’André Breton, qu’on expose, en plus de tous les projets réalisés mais non retenus. Chaque numéro de la revue (il n’y en eut que treize dans cette nouvelle formule) est reconstitué, un sommaire, ainsi que le dessin ayant servi à la couverture sont exposés, mais aussi toutes les contributions des autres artistes invités, dont Desnos, qui se fit à l’occasion dessinateur, Max Ernst et surtout Man Ray, qui fut le portraitiste régulier du « groupe Littérature » et à qui Breton donna carte blanche. Il y répondit en publiant en « hors-texte », c’est-à-dire comme des œuvres à part entière, non des illustrations, cinq photos qui donnent au médium photographique son statut de mode d’expression indépendant : entre autres, une photo faite avec Duchamp à partir du Grand Verre, les premiers photogrammes ou rayographies obtenus en disposant directement des objets sur le papier photosensible, le fameux Violon d’Ingres, commentaire ironique sur le peintre de Montauban réalisé à partir d’une photo du dos de Kiki de Montparnasse.017. Man Ray Le violon d'Ingres

Mais bien sûr ce sont les dessins de Picabia qui tiennent la vedette. Des dessins à l’encre noire, au style très graphique, et qui font preuve de la liberté, de l’insolence et l’inventivité de ce peintre génial. A l’époque, Picabia vient de rompre avec le mouvement dadaïste dont il a été un des principaux acteurs et ce ne sont plus des compositions mécaniques ou liées à la modernité qu’il propose, mais des corps nus, des images associant sexe et religion de manière volontairement provocatrice ou renvoyant à l’univers du cirque auquel il va beaucoup se référer dans ces années-là (Dresseur d’animaux, sa célèbre toile peinte au ripolin en 1923, est aussi présente). Ce qui est amusant, c’est que Picabia, décidément hostile à tout étiquetage, va bientôt s’éloigner de Breton qui fonde le groupe surréaliste et même s’en moquer dans les derniers dessins présentés dans l’exposition avec l’utilisation du mot « Super-réalisme ». Rien que pour eux et pour toutes les autres précieuses contributions de ces artistes qui sont parmi les plus importants du XXe siècle, il faut courir voir cette malle aux trésors aussi lettrée que facétieuse.

Patrick Vilaire Sculptures objets Mythes du Pouvoir Centre Pompidou Bibliotheque Kandinsky photo Beatrice HatalaEn face, toujours dans les espaces du Musée du Centre Pompidou, on pourra aussi jeter un œil sur les Magiciens de la terre, retour sur une exposition légendaire. Car on mesure mieux, aujourd’hui, l’importance qu’a eue cette manifestation présentée en 1989, au Centre même, ainsi que dans la Grande Halle de la Villette, sous la houlette de Jean-Hubert Martin. Pour la première fois, en effet, on s’y intéressait à des artistes qui ne venaient pas exclusivement d’Europe ou d’Amérique du Nord et dont la pratique ne correspondait pas forcément à celles répertoriées dans nos contrées. Cette exposition allait constituer un acte fondateur et, avec d’autres, nous amener à reconsidérer l’histoire de l’art, comme en témoigne Modernités plurielles, l’actuel accrochage des collections permanentes du Centre (cf http://larepubliquedelart.com/les-tops-et-les-flops-de-2013/). La présente exposition ne rend qu’un simple hommage à l’autre, mythique, sous la forme d’une frise réalisée par l’artiste Sarkis, qui en faisait partie, et par la présence de nombreux documents montrés dans des vitrines. Mais peut-être est-ce préférable à une reconstitution à l’identique (de toutes façons impossible), comme ce fut le cas, l’an passé, à Venise, avec la reproduction quasi intégrale, à la Fondation Prada, d’une autre exposition entrée dans l’histoire : Quand les attitudes deviennent formes d’Harald Szeemann.

Man Ray, Picabia et la revue « Littérature » (1922-1924) et Magiciens de la terre, retour sur une exposition légendaire, jusqu’au 15 septembre, dans les galeries du Musée du Centre Pompidou (www.centrepompidou.fr)

Images : Francis Picabia, Sans titre, couverture de Littérature, nouvelle série, n°7, 1er décembre 1922 (1922), mine graphite, encre et papier collé sur papier, 31,1 x 24cm, Centre Pompidou, musée national d’art moderne, Paris, achat grâce au mécénat de Sanofi, 2014 ; Man Ray, Le Violon d’Ingres, 1924, Epreuve gélatino-argentique, tirage d’époque ayant appartenu à André Breton, 31 x 24,7cm, Centre Pompidou, musée national d’art moderne, Paris, Achat 1993 ; Patrick Vilaire (Haïti),Vue de salle, Centre Pompidou , Sculptures objets Mythes du Pouvoir © Centre Pompidou, Bibliothèque Kandinsky,  Photothèque du Mnam / Cci, Paris.  Photo : Beatrice Hatala

 

 

 

 

 

 

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