de Patrick Scemama

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La République de l'Art

Manguin/Bonnard, l’amitié à double tranchant

Comme Bonnard, Henri Manguin (1874-1949) eut une passion pour la couleur, qu’il fit chanter tout au long de sa carrière. Comme Bonnard, il eut pour principal modèle son épouse, Jeanne, qui lui donna trois enfants, puis plus tard, sa belle-fille, que, par pudeur, il fit d’abord poser de dos. Comme Bonnard, il peignit de nombreux paysages, son œuvre étant tout entière tournée vers la nature et vers l’idée d’harmonie que l’on peut y trouver. Les deux hommes étaient d’ailleurs liés d’amitié, Manguin avait été sensible, dès 1896, à la première exposition personnelle de Bonnard présentée chez Durand Ruel (il en avait gardé le catalogue) et c’est lui qui le fit venir pour la première fois dans le Sud, en 1909, à Saint-Tropez, où il avait pris l’habitude, grâce à Signac, de séjourner. Ce sont ces affinités qui expliquent  l’exposition, Henri Manguin, un fauve chez Bonnard que le Musée Bonnard du Cannet, ce bel établissement qui, d’année en année, consolide sa réputation, lui consacre cet été. Des affinités, certes, mais aussi de nombreuses différences.

Car Bonnard ne fut jamais vraiment fauve, alors que Manguin – on a un peu tendance à l’oublier – fut avec Matisse, Derain et Vlaminck une des figures éminentes du mouvement. Et les tempéraments de deux hommes étaient radicalement différents. Manguin avait commencé ses études aux Arts décoratifs où il avait rencontré Marquet, Rouault et probablement Matisse. Puis il les avait poursuivies aux Beaux-Arts, dans l’atelier de Gustave Moreau, où il avait suivi les cours de modèle vivant. Après son mariage, en 1896, avec Jeanne Carette, il s’était installé rue Boursault, dans le quartier des Batignolles à Paris, et il avait fait installer un atelier démontable dans le jardin. L’hiver, pour partager le coût du modèle, Marquet, Matisse, De Mathan et Puy (d’autres artistes rencontrés dans l’atelier de Moreau) venaient travailler dans l’atelier de Manguin. Ils entouraient le modèle et le représentaient à chaque fois sous un angle différent, n’hésitant pas à « s’inclure » dans les oeuvres. Ainsi, dans une toile attribuée à Matisse, on voit Marquet peindre à l’arrière-plan,  et, réciproquement, dans une toile de Marquet, c’est Matisse qui apparait, le pinceau à la main (les deux œuvres sont d’ailleurs présentes dans l’exposition).

(Photo supprimée)

Manguin et ses amis admiraient les Nabis, le mouvement auquel appartenait Bonnard, mais sa génération cherchait une autre voie plus proche de Van Gogh, Gauguin et surtout Cézanne. Aussi lorsqu’une exposition du maître hollandais se tint, en 1901, chez Bernheim-Jeune, elle eut une influence considérable sur les futurs fauves. La même année, les instances officielles refusèrent les toiles de ces jeunes artistes. Mais en 1902, Manguin exposa huit peintures et un pastel au Salon des Indépendants, dont il devint, en 1905, membre du comité et, avec Matisse, désigné à la commission d’accrochage. Au Salon d’automne de cette même année, un groupe d’artistes appartenant à la même école fut réuni dans la salle 7. Le critique Louis Vauxcelles les baptisa « fauves » en raison de l’exubérance des tons. Ainsi, était né le fauvisme, ce mouvement qui prolongeait l’impressionnisme, n’avait pas de théoricien, relevait de l’instinct pur et de l’amour de la couleur pour la couleur et qui ne devait durer que quelques années.

Ce sont les œuvres d’avant la Première Guerre, c’est-à-dire celles réalisées à l’atelier de la Rue Bourseault, puis celles nourries de la lumière du Sud (les toiles fauves) et enfin celles qui marquent un retour à la simplification cézanienne  qui sont exposées au Musée Bonnard. On y constate la vigueur, la puissance et l’appétit de vivre de Manguin. Mais aussi l’équilibre, le goût de la forme et de la composition (surtout dans les dernières), d’une certaine manière, le classicisme (il gagnait aussi sa vie en faisant des copies des chefs d’œuvre du Louvre). Jamais, en effet, Manguin ne se noya dans l’excès de couleur et d’effet, jamais il n’osa aller au-delà d’une certaine limite (ce qui explique peut-être l’aspect plus conventionnel de sa seconde partie de carrière). Après l’exubérance fauve, il revint d’ailleurs à une conception plus harmonieuse et arcadienne du monde et, en cela, plus proche de la conception de Bonnard. Comme l’a écrit Charles Terrasse dans son Eloge à Henri Manguin : « Les tons, jusqu’alors juxtaposés, se relient les uns aux autres. La mosaïque se transforme en tissu. L’harmonie colorée s’enrichit de verts, de bruns, de noirs et surtout de violets. Le violet : Manguin lui fait jouer un rôle souvent majeur. Il en utilise et varie toutes les nuances. »

(Photo supprimée)

Dans l’exposition, une toile de Manguin, L’Amandier en fleurs, 1907, est présentée à côté d’une toile de Bonnard qui représente un autre amandier, L’Amandier, vers 1930, qui vient de rentrer dans les collections grâce à un don de la Fondation Meyer pour le développement culturel et artistique. Véronique Serrano, la conservatrice, a cru bon de les juxtaposer pour montrer les préoccupations communes de deux peintres, surtout celles concernant la lumière du Sud. Mais elle met aussi en avant les différences de traitement et leur différence de conception générale. Chez Manguin, l’arbre s’inscrit dans un paysage provençal horizontal et permet très efficacement de le découper en plan, dans la tradition cézanienne. Bonnard, lui, concentre tout sur l’amandier (la toile est verticale) qui se fond dans le contexte environnant. Les deux toiles sont difficilement comparables, puisque plus de vingt ans les séparent, mais elles révèlent deux idées presqu’antagonistes  de la peinture : la première vise à la clarté, la précision, la lisibilité. Le seconde cherche la vibration, le trouble, la fusion avec le monde. Le premier est un bon peintre, le second un poète.

Henri Manguin, un fauve chez Bonnard, jusqu’au 31 octobre au Musée Bonnard, 16 bd Sadi Carnot 06110 Le Cannet (www.museebonnard.fr)

 

Images : Henri Manguin, Pinède à Cavalière, 1906, huile sur toile, 65 x 81 cm, Collection particulière © Adagp, Paris, 2015 © Fabrice Lepeltier ; La Petite italienne, 1903-1904, huile sur toile, 61 x 50 cm, Collection particulière, Lausanne, Suisse © Adagp, Paris, 2015 © Atelier Bétant, Lausanne ; Pierre Bonnard, L’Amandier, vers 1930, huile sur toile, 51,1 x 34,9 cm, musée Bonnard, Le Cannet, don de la Fondation Meyer pour le développement culturel et artistique, 2014 © Adagp, Paris, 2014

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commentaires

2 Réponses pour Manguin/Bonnard, l’amitié à double tranchant

radioscopie dit :

« …et il avait fait installé un atelier démontable dans le jardin. »

« installer », pour parfaire un article soucieux d’orthographe.

Patrick Scemama dit :

Juste, je corrige. Merci

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